Chronique / Le coup du proverbe chinois
Non, le sérieux n'est pas toujours là où l'on croit. Cette chronique d'Anna Lietti paraît tous les mois dans 24heures. Excepté le dessin de Pascal Parrone, en exclusivité pour Bon pour la tête.
L’horreur est humaine, disait Coluche. Le mauvais goût aussi. Pour saluer le coup diplomatico-médiatique réussi par son président de père à Singapour, Ivanka Trump nous refait le coup du proverbe chinois bidon. Elle tweete un truc pour dire, en substance, que les mauviettes étreintes par le doute doivent se la coincer et laisser faire les vrais mecs, ceux qui agissent.
Il y a quatre ans, elle nous gratifiait d’une pseudo citation de Confucius, affirmant que la clé du bonheur réside dans le choix de son travail. C’est bien connu: dans la société chinoise du 5e siècle avant J.-C., les sujets du prince avaient le libre choix de leur orientation professionnelle et la mobilité sociale était garantie. C’est minable, Ivanka. Pour bien mentir, il faut réfléchir. (An-Li)
Mais laissons là la fille du président étasunien et voyons en quoi cet épisode peut nous rendre plus sages. Les faux proverbes, c’est un vieux truc, très prisé des princes de l’humour. Sur mon podium perso, la médaille d’or va à Pierre Desproges – Noël au scanner, Pâques au cimetière – talonné par Coluche – Plus il y a de fous, moins il y a de riz.
Mais avec la sage phrase bidon qui se fait passer pour vraie, on change de catégorie: on est dans la pollution informative ordinaire. Alimentée, en l’occurrence, par notre fascination béate pour tout ce qui relève, de près ou de loin, de la spiritualité extrême-orientale: à y bien réfléchir, le proverbe chinois, bref comme un tweet, flou comme une effluve d’encens, est un fétiche virtuel idéal pour Occidental fragilisé.
Le proverbe chinois en toc, je veux dire? Haha! Mais comment savoir, dans la masse des inspirantes phrases en circulation, laquelle est authentique? Ce n’est sûrement pas Ivanka qui a commencé à verser de l’eau de vaisselle dans la source pure de la sagesse chinoise en ligne, la chasse au fake proverbe est ouverte, la suspicion pèse désormais sur le corpus tout entier.
Finalement, j’aime bien cette idée: ça va nous obliger à réfléchir avant de gober tout cru le premier proverbe chinois venu. Parce que, même s’il est authentique, on peut ne pas être d’accord avec. Prenez celui-ci: Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. C’est beau, d’accord, mais encore? Regarder le doigt, n’est-ce pas se préoccuper de savoir qui émet le message? Par exemple, au hasard, Ivanka ou Confucius?
Bon, allez, une dernière pour la route: Où le sage voit du vide, l’idiot voit du profond. Et vice versa. (Anonyme facétieux)
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@gwperrin 18.06.2018 | 13h03
«A quand l'édition l'édition complète des proverbes d'An-Li? Pas besoin d'en rajouter beaucoup: les deux réversibles m'occupent l'esprit, émoustillé pourtant par la perspective de renverser le premier cité: faudrait-il mentir pour bien réfléchir? bien mentir pour réfléchir?
Pauvre pub, combien d'esprit disponible BPLT va t-il lui laisser? (Geo-Pe)»
@do 21.06.2018 | 10h26
«Je peux enfin me connecter à bon pour la tête et quel plaisir de retrouver l'humour d'Anna Lietti.»