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Le controversé cinéaste autrichien revient avec «Sparta», film jumeau de son récent «Rimini». Avec ces portraits de deux frères aux modes de vie problématiques, un chanteur irresponsable et un ingénieur à tendances pédophiles, il poursuit certes son grand projet de dévoilement des tares de son pays. Mais avec «Sparta», il a peut-être poussé le bouchon un peu loin.



Avec 200 spectateurs en Suisse romande et 2'000 dans tout le pays, on ne peut pas dire que Rimini d'Ulrich Seidl, sorti chez nous en janvier, avait cassé la baraque. Voici que sort néanmoins en salles son jumeau Sparta, un film que tout le monde semble s'être refilé comme une patate chaude. La fiction Rimini nous ramenait pourtant l'auteur d'Import Export (2007) et de la trilogie Paradis (2012-13) en grande forme misanthrope. Dans ce portrait d'un certain «Richie Bravo», chanteur quinquagénaire vivotant minablement en Italie dans une station balnéaire fantômatique, on croisait un instant son frère Ewald, dans le sous-sol de leur maison familiale pleine de souvenirs d'enfance. Voici ce dernier promu héros de ce deuxième volet quant à lui tourné pour l'essentiel en Roumanie. Le problème de ce nouveau film? Un sujet tabou entre tous: la pédophilie.

Fort de sa répution de cinéaste qui cartonne dans les festivals, Seidl ne semble pas avoir eu trop de difficuté à se faire financer ces deux films, en co-production avec l'Allemagne et la France mais aussi une participation helvétique (Dan Wechsler, Jamal Zeinal Zaide et Michel Merkt). C'est après le tournage en Roumanie, en 2018-19, que les problèmes ont commencé. Des accusations de méthodes de tournage inappropriées avec des enfants mineurs ont surgi, dont a eu vent le magazine allemand Der Spiegel, qui a monté l'affaire en épingle début septembre 2022. Résultat: le Festival de Toronto a retiré Sparta de son programme et le film a connu sa première mondiale à celui de San Sebastian, en Espagne, en l'absence de Seidl. Dans la foulée, celui de Hambourg maintenait ses projections mais renonçait à remettre au cinéaste un prix à la carrière. Enfin, en janvier de cette année, le Festival de Rotterdam projetait un nouveau montage combiné des deux films, d'une durée de près de trois heures et demi, intitué Böse Spiele – Rimini Sparta.

Victime de l'auto-censure?

En Suisse, le distributeur Xenix Films est resté fidèle au réalisateur, qui s'est défendu comme un beau diable (cf. son site officiel). Mais le mal est fait, et une année après sa première, même si la polémique est retombée, Sparta paraît commercialement mort. Dernier échelon du jeu, la plupart des exploitants de salles se sont en effet défilés. C'est ainsi que le film sort à Genève au Cinérama Empire après que Les Cinémas du Grüli (qui avaient projeté Rimini) ont renoncé, tandis qu'ailleurs, il doit se contenter des mini-salles de Laurent Toplitsch (Zinéma à Lausanne, Cinéma Minimum à Neuchâtel). Et ce n'est guère mieux de l'autre côté de la Sarine. Comme le dit le cinéaste dans une interview accordée au journal Le Monde en juin: «On vit une époque où il devient difficile de sortir des films qui dérangent.»

Alors, Ulrich Seidl victime du politiquement correct? En bon provocateur, il pourrait bien s'en accomoder. Sauf qu'à découvrir le film, on comprend aussi le peu d'empressement des salles à le programmer. Et à vrai dire, cela vaut pour toute sa filmographie – fictions comme documentaires –  qui se complait dans le glauque. Voici un cinéaste certes original, qui signe des films frappants qui dénoncent des travers et des injustices avec un style reconnaissable entre tous, mais dont il convient néanmoins de se méfier. A ne montrer l'humain que sous son pire jour avec une prétendue «neutralité objective» du regard, il devient vite suspect de manipulations. Malin, il sait d'habitude se couvrir lorsqu'il emploie des amateurs pour des scènes discutables. Mais on peut bien imaginer que des gens de la campagne roumaine n'aient pas parfaitement compris ses intentions ni mesuré l'impact de sa méthode sur leurs enfants.

Protecteur plutôt que prédateur

En réalité, le plus problématique reste le discours du film lui-même. Malgré qu'il se soit inspiré d'une affaire de pédophilie avérée, Seidl se contente dans Sparta de montrer un homme à «tendances pédophiles», qui ne passe pas à l'acte. A suivre Ewald de l'EMS autrichien de son vieux père à son quotidien morose dans une Roumanie hivernale, on s'attend pourtant au pire. Lorsqu'il ne manifeste plus de désir pour son amie barmaid et qu'il passe son temps à observer des garçons sur les places de jeux, on voit déjà le prédateur. Un jour, il file en prétextant une visite à son père malade et ne rentre pas, cherchant plutôt à acquérir une école abandonnée dans l'arrière-pays. Et à l'été, on le retrouve qui ouvre un centre de judo pour jeunes garçons. Si les enfants semblent apprécier, la méfiance des villageois, elle, ne tarde pas à s'éveiller...

Avec ses plans parfaitement cadrés et le plus souvent centrés, l'absence de musique ajoutée et son lot de séquences embarrassantes, la méthode Seidl n'a pas changé. Cette fois, malgré un récit patiemment bâti, on a cependant quelque peine à croire à la réalité de ce personnage incarné par le solide Georg Friedrich (rompu au cinéma de Seidl depuis Dog Days, en 2001), affublé d'une voix haut perchée. Le film devient plus prenant avec la construction de sa petite utopie nommée Sparta (référence à la ville de Sparte ainsi qu'au personnage de Spartacus) et la prise sous son aile du petit blondinet Octavian, victime d'un père alcoolique. Mais c'est aussi là qu'il devient vaseux.

Relents nazis

Car qu'est-ce donc que ce gaillard qui se douche tout nu avec des petits garçons et qui visionne le soir, projetées sur son mur, les photos qu'il a prises de ses petits protégés? Un vrai gentil, selon le scénario de Seidl, qui finit par lui nier un peu commodément toute libido. Pas d'érection, pas de problème! Du coup, ce sont les parents et les villageois qui deviennent les méchants, se mettant à imaginer le pire – un renversement pour le moins problématique. Certes, Luis Buñuel et Ettore Scola nous avaient déjà révélé une méchanceté des miséreux. Pourtant là, comme pour disculper le pédophile (qui s'en ira poursuivre ses troubles activités ailleurs), cela paraît trop facile.

Mais le plus douteux est encore le lien établi, comme dans Rimini, avec ce vieux fond nazi autrichien, jamais purgé par une grande auto-critique nationale comme en Allemagne et incarné ici par le vieux père sénile. Après l'irresponsabilité de Richie Bravo et sa fixation sur des tubes d'après-guerre aseptisés c'est donc la nostalgie de l'enfance d'Ewald et son attirance pour les petits garçons qui en seraient les conséquences indirectes? Mouais... On suggèrerait plutôt à un Ulrich Seidl désormais septuagénaire de faire à présent un pas de plus vers la réflexivité. Et si c'était plutôt son cinéma lui-même qui en était le symptôme le plus clair? Tant de dégoût de soi, de son pays, de l'humain en général, doit bien avoir une origine...


«Sparta» et «Rimini» de Ulrich Seidl (Autriche / Allemagne / France / Suisse, 2022), avec Georg Friedrich, Michael Thomas, Hans-Michael Rehberg. 1h41 et 1h54

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Chan clear 16.09.2023 | 15h49

«Un sujet très actuel, merci de votre suggestion perso je ne connaissais pas du tout Ulrich Seidl et peut être tentée de voir un de ces films avec distance …»


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