Culture / Tout Leonard Cohen dans une chanson
Documentaire exceptionnel, «Hallelujah - Leonard Cohen, a Journey, a Song» trouve une manière originale de raconter ce géant de la musique, à travers sa chanson la plus populaire. Au fil des ses mutations, elle exprime parfaitement l'art et le destin du génial poète-chanteur canadien, tiraillé entre le profane et le spirituel.
Disparu en 2016 à 82 ans, Leonard Cohen n'a pas pu participer au présent documentaire, mais c'est tout comme, tant sont nombreux les documents d'archives le concernant. Cela fait désormais partie du destin des pop-stars que de se voir consacrer des films de montage posthumes, en plus des usuelles biographies écrites ou filmées sous forme de biopic. Mais pour que le résultat soit digne d'être montré en salle plutôt que sur le petit écran, il aura aussi fallu que les cinéastes affinent leur art. Après les réussites de Kevin McDonald (Marley), Asif Kapadia (Amy), Ron Howard (Pavarotti), Brett Morgen (Moonage Daydream, sur David Bowie) ou Giuseppe Tornatore (Ennio), la barre est désormais placée haut. Heureusement, Daniel Geller et Dayna Goldfine, couple de documentaristes américains actif depuis 1989, n'ont pas failli avec Hallelujah.
Pour commencer, ils ont trouvé un fil rouge original pour raconter Cohen, en se concentrant sur la genèse et la postérité de la chanson qui donne son titre au film. Apparue fin 1984 sur l'album Various Positions, «Hallelujah» aurait tout aussi bien pu disparaître avec cet album maudit, refusé par le label qui l'avait commandité (Columbia) avant de ne sortir qu'à l'international puis sur un label confidentiel aux Etats-Unis. Sept années de travail et plus de 150 vers (Cohen lui-même avoue un processus plus laborieux que jamais) pour ça? Heureusement, elle n'est pas tombée dans l'oreille de sourds, quelques éminents collègues tels que Bob Dylan et John Cale commençant à l'interpréter en concert avant que l'étoile filante Jeff Buckley ne la popularise (elle figure sur son unique album, Grace, de 1994). Puis c'est Cohen lui-même qui la reprend en live... avec de nouvelles paroles!
Une profonde quête spirituelle
A partir de là, il y a l'avant et l'après à raconter, largement pris en charge par le critique et ami Larry Sloman, mais aussi quantité d'autres témoins. Le documentaire survole ainsi comment ce fils de la bonne bourgeoisie juive de Montréal, d'abord poète et romancier, est arrivé tardivement à la chanson, à 32 ans, poussé par la chanteuse folk Judy Collins. Comment il a rencontré puis lâché l'arrangeur John Lissauer, retrouvé plus tard pour devenir son co-auteur d'«Hallelujah». Les images d'archives montrent un jeune Cohen immensément séduisant avec son grand calme, sa belle voix grave et sa parole réfléchie teinté d'une douce ironie. Mais on devine aussi sa nature tourmentée, ses dépressions, sa réputation d'homme à femmes et sa profonde quête spirituelle, si difficiles à concilier. Ainsi, la photographe française Dominique Issermann, compagne de Cohen durant les années 1980, témoigne d'une part inaccessible de l'homme qu'elle a aimé.
«Hallelujah», la chanson, est avant tout nourrie par un retour vers ses racines juives, partant d'un roi David louant le Dieu d'Israël. Mais s'y mêlent ensuite des considérations profanes et même des vers clairement sexuels selon des associations typiquement mystérieuses. Ce n'est pas par hasard que John Cale a ressenti le besoin d'en offrir une version épurée, laquelle a à son tour inspiré Buckley. D'autres interprètes, comme Brandi Carlile, viennent attester la qualité universelle de cette chanson qui l'aurait aidée à accepter son homosexualité tandis que le bien-nommé Ted Church reste sidéré par sa capacité à créer une ambiance d'église.
Troisième acte exemplaire
Pendant ce temps, Cohen laisse faire, se retirant au cours des années 1990 comme... moine bouddhiste sur une montagne de Californie auprès de son guide spirituel. Mais la transformation n'est qu'apparente, car même là, à côté de ses méditations zen, il continue de composer des chansons. Et lorsqu'il redescend six ans plus tard pour enregistrer l'album Ten New Songs, «Hallelujah» a encore muté. Expurgée du moindre mot problématique, elle a accompagné, chantée par Cale, la peine du monstre Shrek dans un dessin animé au succès planétaire (2001). Et sur le disque de la bande originale, c'est une nouvelle version par Rufus Wainwright qui cartonne! Dès lors, l'emballement est inarrêtable. De concours de chant télévisés en acccompagnement de mariages, en passant par les chanteurs dans le métro, la chanson est partout.
Jolie revanche pour Cohen, qui remonte contre toute attente sur scène à 70 ans suite à des déboires financiers (sa fille a découvert que sa comptable a siphonné ses comptes). Reprenant le mot de Tennessee Williams selon lequel «la vie est comme une pièce en trois actes dont seuls les deux premiers sont relativement bien écrits», Cohen s'invente alors un dernier acte qui force le respect: il faut le voir se livrer totalement sur scène, avec un répertoire encore en pleine évolution, à un âge où tant d'autres ont depuis longtemps raccroché toute ambition, créativité ou même dignité. De même que «Hallelujah» résiste miraculeusement à sa trivialisation, le chanteur compense son déclin physique par un sagesse durement acquise – une forme de transcendance, assurément.
Il y aurait sans doute dix autres films possibles sur Leonard Cohen, tant celui-ci ne gratte à l'évidence que la surface. Et pourtant, l'émotion qui nous étreint à l'approche de la fin ne trompe pas: ses auteurs ont réussi à toucher à l'essentiel. Malgré les raccourcis et omissions, c'est toute une vie qui a défilé devant nos yeux, mais surtout un parcours artistique exemplaire dont on comprend dès lors mieux pourquoi les œuvres résonnent si profondément.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Clear 26.03.2023 | 14h46
«Vous faites bien d’en parler car c’est un personnage admirable, très beau film aussi celui tourné suite à son passage dans ce monastère en Californie, Il est plein d’humour sous ses apparences mélancoliques Leonard !»