Culture / Romanens, Voisard et le corps nu de la poésie
Avant de mettre Ramuz en musique cet automne au TKM, Thierry Romanens reprend à Genève «Voisard, vous avez dit Voisard… ». C’est ce spectacle saisissant qui a inauguré le travail profondément original de rencontre entre littérature et musique qu’il mène avec ses complices jazzman de Format A’3. Secrets de fabrication.
© Mercedes Riedy
C’est un spectacle né il y a dix ans qui se joue quelques jours encore au Théâtre de l’Orangerie à Genève. Thierry Romanens, acteur-chanteur-orchestre franco-suisse en quête d’aventures, y empoigne les textes du poète jurassien Alexandre Voisard avec ses complices du trio électro-jazz Format A’3. Le résultat est saisissant et assez difficile à décrire autrement qu’avec des «ça». Ça pulse. Ça déménage. Ça remue. Ça nous donne à toucher le corps nu de la poésie. Le poète lui-même en a été troublé: «J’ai été ému d’un bout à l’autre et ça ne m’était jamais arrivée à la lecture de mes textes par des tiers», écrit-il (voir ci-dessous sa lettre en fac-similé.)
Avec Voisard, vous avez dit Voisard…, Thierry Romanens a inauguré un travail profondément original d’accouplement entre le dire et le chanter, le texte littéraire et la musique. La quête s’est poursuivie en 2017 avec l’époustouflant Courir, basé sur le roman biographique de Jean Echenoz consacré au coureur de fond Emil Zatopek. Elle connaîtra un prochain épisode très attendu cet automne au TKM à Lausanne avec Et j’ai crié Aline d’après…. CF Ramuz, bien sûr.
«On fait une jam!»
Pour le spectateur émerveillé, la chose est claire: il assiste à la naissance d’une créature texto-musicale inédite. Mais comment est-elle conçue? Pas jaloux de ses secrets de fabrication, Thierry Romanens raconte: «On procède comme à une répétition de jazz... J’arrive avec un texte et on démarre, en toute liberté, chacun avec son instrument. Sauf que mon instrument, c’est le bouquin. En réalité, ce qu’on fait, c’est une jam (une improvisation musicale, ndlr)!»
La rencontre entre Romanens et Voisard remonte à 2007. «C’est la première fois que je rencontrais un poète vivant, j’étais ému. C’était aussi un moment de mon parcours où je cherchais à sortir du format de la chanson classique... », explique-t-il encore. L’homme de scène plonge dans l’œuvre, dans un tête-à-tête solitaire et désordonné. Intuitivement, il s’arrête sur les textes qui «touchent au plus intime» le poète lui-même. Cet espèce d’état de grâce se poursuit ensuite avec la mise en musique, qui, par des voies créatives qui restent largement mystérieuses, parvient à servir le texte mieux qu’une lecture.
Voisard lui-même l’a confié à ses interprètes: des spectateurs viennent lui expliquer qu’ils trouvent d’habitude ses poèmes un peu ardus. Mais que là, avec ce spectacle, ils entendent tout tellement mieux..
Thierry Romanens sourit. Il se demande si, finalement, plus encore que auteur-chanteur-interprète, son destin, depuis le départ, n’était pas d’être «un passeur.» Ça lui va. A nous aussi. Très très bien.
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