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Culture / «Quand la guerre arrive»: plongée dans l’hyper-nationalisme violent

Jacques Pilet

10 avril 2018

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Le film de Jan Gebert, cinéaste et journaliste tchèque, lance une alarme saisissante. Pendant plus de deux ans, il a suivi un groupe de jeunes gens réunis dans une milice nommée «Recrues slovaques». Il montre de l’intérieur, dans l’action et l’intimité, le mécanisme d’un nouveau fascisme. Avec pour moteur la haine des immigrés, des Etats-Unis et de l’Union européenne. Avec pour mode d’action les exercices militaires et le martèlement des slogans. Avec pour idéal: l’exaltation de la Slovaquie et de l’appartenance slave. A ne pas manquer au festival «Vision du Réel» à Nyon.



On commence à savoir, à l’ouest de l’Europe, que son versant est s’agite autour des fantasmes nationalistes. Chez les conservateurs polonais du parti PIS. Chez le Hongrois Orban qui garde le monopole du pouvoir. Chez les Tchèques livrés aux oligarques. Dans la malheureuse Slovaquie corrompue par la mafia italienne. Ces gouvernements en froid avec l’Union européenne et ses principes tiennent néanmoins aux liens avec elle et se gardent de trop déborder de son cadre. Ce que l’on sait moins ou pas du tout, c’est que dans ces pays, des petits groupes extrémistes rêvent de la grande castagne. Ils enrôlent des jeunes, tolérés, parfois aidés par les régimes en place. 

Le film de Gebert montre des images fortes mais bien plus: il démonte les mécanismes profonds de ce phénomène, certes dans le cas particulier de la Slovaquie, mais dans une dimension plus large: la fascination de la militarisation, l’envie de guerre. Les «Recrues slovaques» ont 22 ans en moyenne, ils sont une ou deux centaines mais ils trouvent des sympathisants, ils organisent des fêtes, ils plaisent à une part de la population désorientée, ils préparent leur entrée sur la scène politique.

Flamme et détestation

Jan Gebert, cinéaste et journaliste tchèque. © DR

Le cinéaste a réussi à entrer dans la vie de ces jeunes gens qui se livrent avec une franchise ahurissante. Et cela bouscule bien des idées toutes faites. D’abord avec un constat: ce n’est pas la détresse économique qui les pousse. La plupart font des études, ils ont de bons jobs et belles voitures. Et aussi d’aimables amies qui admirent leur virilité militarisée. Ils ont certes tous une allergie belliqueuse à l’endroit des immigrés, aussi rares soient-ils dans ce pays. Mais une autre flamme les anime: la slavitude. Qui n’est pas slave est étranger. Une détestation aussi: les Etats-Unis, accusés d’avoir étendu son emprise sur les pouvoirs européens. Comme par hasard, quelques leaders du groupe ont suivi des entraînements en Russie, dans un groupe appelés les Cosaques. Cette démangeaison anti-américaine a manifestement la faveur de Moscou. Rien n’indique pas cependant que les «Recrues slovaques» soient manipulées ou financées par les Russes. La réalité est sans doute pire: cette attirance pour une organisation hiérarchisée, militarisée, haineuse, naît des profondeurs de la société. Comme si celle-ci ressentait un vide intérieur que des jeunes veulent dépasser dans les émotions fortes et les affirmations simples. 

Il faut les voir dans le plaisir du drill, du combat, de l’humiliation réciproque. Il faut voir ce jeune chef qui revendique sa personnalité dominante devant sa professeure, qui exprime une jouissance viscérale à hurler des ordres… avant de mettre une cravate sous son uniforme pour recevoir les invités à une manifestation publique de propagande.

Un regret: le substrat historique n’est pas évoqué. Il sous-tend pourtant l’éruption décrite. A la différence de la Tchéquie et de la Pologne, la Slovaquie a été l’alliée de l’Allemagne nazie pendant toute la Seconde guerre mondiale. Son président, le prêtre catholique Josef Tiso, prônait une conception nationale-catholique de l’Etat et honnissait le «cosmopolitisme». Les «Recrues slovaques» lui ont, semble-t-il, rendu hommage. Mais à sa différence, ils ajoutent à leur catalogue politique la solidarité slave.

Quand les Européens de l’ouest sortiront-ils de leur indifférence aux agissements de tels groupes? Il est piquant de voir l’Union européenne réglementer la détention d’armes – en Suisse aussi! – sans protester auprès du gouvernement de Bratislava qui laisse ces grands gamins hurler dans la forêt avec des fusils en mains.


Bande d'annonce


Projections de «When the war comes» à Nyon, Visions du Réel

Dimanche 15 Avril 21:00 - Capitole Leone
Lundi 16 Avril 18:30 - Capitole Fellini - Projection suivie d’un débat


VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@stefans 16.04.2018 | 23h52

«Terrifiant ! Merci de nous avoir éclairé sur la persistance et le renforcement de la bête immonde, 70 ans après la deuxième guerre mondiale certains n'ont toujours rien compris... Et chapeau à l'auteur du documentaire.»


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