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Culture


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La dernière exposition du Musée de l'Elysée de Lausanne, un des deux seuls musées suisses consacrés à la photographie, donne le sentiment qu'on s'est trompé de porte. Au-delà même du contenu de l'exposition et du «message» de l'artiste espagnole Laia Abril, un fait s'impose: on doit lire, et non pas contempler.



Des textes sont disposés un peu partout, accrochés à des portes-documents le long des murs peints en noir, parfois sous forme d'essais que le visiteur doit éplucher. D'autres textes sont imprimés à même les murs. Seules quelques images sont disposées çà et là, recouvertes pour beaucoup de phrases – en anglais. Le contenu de ces textes et de ces images se retrouve sur un féminisme militant et sur une critique historique du traitement des femmes dans le cadre de ce que les cliniciens dénommaient autrefois «l'hystérie». Ce féminisme-là – il en existe d'autres – ne me concerne qu'à la marge, en tant que représentant d'une classe d'âge qui a fait ses choix depuis trente ans. Voilà une question de jeunes – Laia Abril a moins de 40 ans – pour les jeunes et qui doit être résolue par les jeunes. Et en dépit de certains excès, cette cause n'a jamais provoqué chez moi que de la sympathie.

Ce qui n'a pas rencontré ma sympathie, en revanche, c'est que l'on exige de moi, non pas que je regarde, ou que je contemple, mais je lise. C'est une tendance croissante dans les musées, et je la déplore. J'aime lire, j'aime découvrir une parole qui me force à mettre pied à terre. Mais je ne vais pas au musée pour lire. C'est presque le contraire: j'y vais pour ne pas lire, et pour offrir à mes yeux l'occasion d'exercer leur fonction première sur des objets qui, grâce à eux, provoqueront chez moi des émotions, et non pas des réflexions. La photographie est l'une de mes passions. J'en collectionne, de jeunes photographes surtout, dont les œuvres m'enchantent. Les développements technologiques et sociaux ont permis à ce média d'évoluer vers des domaines d'une richesse esthétique et de contenu encore impensable il y a quinze ans. Depuis des décennies, je tente de rester fidèle au Musée de l'Elysée, dont certaines expositions m'ont marqué à jamais. 

C'est pourquoi je peine à trouver les mots pour évoquer ma déception en découvrant des expositions qui ne font honneur, ni au pedigree de cette institution, ni aux possibilités qu'offrent désormais les jeunes photographes, dont on peut découvrir les œuvres plus aisément sur Instagram qu'à l'Elysée. Laia Abril peut sourire. Son succès est prouvé, elle n'a nullement besoin de se justifier. Mais son exposition à Lausanne fait plusieurs victimes collatérales.

La première victime est la direction du musée, qui n'a pas fait un travail de sélection mais a tenu un concours de popularité. La seconde est plus regrettable. Car en étant contraint de devoir lire des volumes entiers sans avoir le répit de quelques images originales, le découragement et la frustration vous saisissent, tandis que c'est la compassion et la curiosité qui étaient attendues. Ça n'est pas un musée, c'est un laboratoire de recherche en sciences sociales.

Alors je suis sorti, et j'ai salué les deux gardiens, qui étaient deux fois plus nombreux que le visiteur. Et je suis monté de deux étages pour retrouver la magie du Mudac, qui consacre une exposition au design libanais. Une exposition qui a le double avantage de présenter des objets d'une grande beauté, et de proposer une récit informatif et enthousiasmant sur un pays dont on n'évoque que ce qui afflige. Le Mudac, il est vrai, reste un musée.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@GFTH68 21.07.2023 | 15h35

«Lire debout, c'est fatiguant!»


@TIFF 28.07.2023 | 23h06

«Excellent article de David Laufer. Je crois que tout est dit, et bien dit.»


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