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Sébastien-D. Bernier a étudié la création littéraire à l'Université du Québec à Montréal. Son premier roman paru aux éditions Sémaphore sous le titre «Asphyxies» nous plonge dans un univers futuriste impitoyable et déshumanisé, régi par des intelligences artificielles.



Selon les règles du genre, l’auteur de cet ouvrage de science-fiction commence par exposer, habilement, les codes qui régissent la société. Une société qu’on découvre à travers trois protagonistes aux prises avec la précarité, la narratrice Régine, apparemment soumise à son frère mais prête à le trahir à la première occasion, son mari Charles, qui se caractérise par sa mollesse, et ce fameux frère, ironiquement nommé Patrice Lajoie, qui sitôt sorti de prison n’a de cesse de récidiver en entraînant son comparse dans le jeu, auquel il s’adonne compulsivement, malgré le caractère illégal de cette source d’évasion.

Car tout ce qui constitue l’activité humaine, le travail comme la conversation, le jeu ou le simple fait de mettre le nez dehors semble avoir été banni de cette société dirigée par des intelligences artificielles. L'art, réputé susciter des allergies chez la plupart des sujets humains, est strictement prohibé. Il n’en subsiste que quelques formes consensuelles, insipides et hypoallergéniques. La publicité déversée en un flux continu sur tous ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir le silence tient lieu de principal divertissement.

Parmi les rares activités lucratives encore accessibles aux humains, il y a la prise en charge des aînés selon un protocole très réglementé qui détermine le minutage de chaque soin et autorise les «protecteurs» à couper les cordes vocales de leur «bénéficiaire» si celui-ci les importune.

Régine n’a pas le choix. Obligée d’héberger son frère à sa sortie de prison, elle est également contrainte d’accepter le placement d’une vieille dans son foyer pour éponger la dette qu’elle a contractée envers la société en se faisant prendre, par la faute de son frère, en flagrant délit de jeu. Or, la dame en question, prénommée Stéphanie, est une rebelle de 117 ans qui écoute de la musique au nez et à la barbe de ses protecteurs. C’est aussi la seule à porter un regard critique sur la société actuelle, car elle en a connu une autre.

Entre ces deux femmes forcées de se côtoyer, il va se passer quelque chose de totalement insolite et étranger au monde dans lequel elles évoluent: la naissance d’une amitié.

Cette dystopie est la transposition d’une pièce écrite et dirigée par Sébastien-D. Bernier. Après les deux ans de pandémie et le strict confinement imposé aux pensionnaires de nos EMS, parfois enfermés dans leur chambre et privés de visite pendant des semaines, elle résonne particulièrement avec l’actualité. Stéphanie, qui doit éviter de trop rire pour ne pas s’étouffer, n’est pas la seule à avoir, au fil des pages, de plus en plus de peine à respirer. Mais qu’on se rassure, l’histoire se passe dans un futur encore bien éloigné et les dialogues truffés de québécismes permettent de la situer de l’autre côté de l’Atlantique.


«Asphyxies», Sébastien-D. Bernier, Editions Sémaphore, 184 pages.

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