Culture / Le mythique Chelsea Hotel revit à Fribourg
Enfouies dans les archives du célèbre reporteur-photographe Yves Debraine (1925-2011), des images qui racontent le mythique Chelsea Hotel de New York sont ressuscitées dans l’Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle à Fribourg grâce à son fils journaliste, Luc Debraine, également auteur du magazine-album qui accompagne l’exposition.
Le Chelsea Hotel
Vétuste, quasi-insalubre, bruyant, le Chelsea Hotel dégageait pourtant un charme auquel les artistes n’étaient pas insensibles, un charme d’autant plus apprécié que le propriétaire, le légendaire Stanley Bard, les aimait et acceptait souvent d’être payé en nature. La liste des écrivains, réalisateurs, acteurs, musiciens et artistes visuels qui y séjournèrent, parfois plusieurs années, ressemble au palmarès des plus vifs talents du 20e siècle ayant œuvré de l’autre côté de l’Atlantique. Milos Foreman y séjourna 2 ans gratuitement avant de devenir célèbre.
«Le Chelsea Hotel était le centre névralgique de la création artistique», rappelle Luc Debraine. Les chambres et appartements étaient spacieux et permettaient aux artistes de se mêler entre eux et même d’y faire des expositions. Quand Yves Debraine s’y rendit, l’ambiance y était effervescente.
«Les années soixante étaient une période de grandes remises en question et d’expérimentation, y compris dans les modes de présentation. Les codes étaient chamboulés»
Yves Debraine, années 1960. © Archives Yves Debraine
Debraine, Tinguely et New York
Yves Debraine connaissait Jean Tinguely au moins depuis la création d’Eureka, l’œuvre emblématique de l’exposition nationale suisse de 1964; ils partageaient une passion pour les bolides et une amitié pour Jo Siffert, le pilote suisse de Formule 1.
Debraine allait régulièrement à New York en raison des reportages qu’il réalisait pour les magazines Life et Time. Le premier tirait à l’époque à 8 millions d’exemplaires chaque semaine. Le photographe était également spécialisé dans les reproductions d’art destinées au même éditeur américain Time-Life.
En mars 1965, il rendit visite à son ami au Chelsea Hotel, où Tinguely lui servit de guide jusque sur les toits de l’immeuble.
Réalisé en mars 1965, le reportage du Chelsea Hotel immortalise un moment clé dans l’évolution de l’art de l’après-guerre, lorsque des artistes, qui allaient devenir parmi les plus importants de leur siècle, s’y retrouvèrent en même temps. Le couple Tinguely-Saint Phalle croise les Nouveaux Réalistes, Daniel Spoerri et Arman, fréquente Larry Rivers et Claes Oldenburg, rencontre Christo et Jeanne-Claude. Ils figurent tous dans l’exposition de Fribourg.
Christo & Jeanne-Claude dans les couloirs du Chelsea Hotel. © Archives Yves Debraine
Archives précieuses
Luc Debraine connaissait quelques-unes des images de ce reportage, dont celles présentées lors de la rétrospective de Niki de Saint Phalle à Beaubourg en 2010. A l’occasion de l’année Tinguely en 2016, il replongea dans les archives. «C’est là que j’ai trouvé cette série assez cohérente et essentiellement inédite».
Le reportage à New York réalisé par Yves Debraine s’ouvre comme les pages d’une histoire. Il permet de redécouvrir l’inventivité du photographe, toujours en état d’exploration, il témoigne de son amitié avec Jean Tinguely et révèle l’influence d’un cadre un peu fou, un peu minable sur la créativité d’artistes singuliers.
Niki de Saint Phalle réalisant ses Nanas. © Archives Yves Debraine
C’est là que Niki, inspirée par le gros ventre de la femme de Larry Rivers, allait inventer ses exubérantes Nanas. Quant à Tinguely, auréolé du succès médiatique d’un fiasco invraisemblable (l’autodestruction programmée de sa machine «Homage to New York» en 1960 dans les jardins du Museum of Modern Art (MoMA) fut suspendue par l’intervention non-programmée des pompiers de service), le Suisse de la campagne fribourgeoise construisait sa carrière américaine.
Jean Tinguely dans le lobby du Chelsea Hotel. © Archives Yves Debraine
Immersion
Organisée en collaboration avec Caroline Schuster Cordone, directrice adjointe du Musée d'art et d'histoire de Fribourg, l’exposition propose une immersion dans le Chelsea Hotel, une immersion amplifiée par l’effet aquatique d’un objectif «fisheye» qu’Yves Debraine expérimentait (et qui était parfait pour les chambres d'hôtel). Le format mini-poster du catalogue de l’exposition rend bien cet étrange effet qui capturait les scènes à 180° pour la première fois.
Lors du même reportage, Yves Debraine documentait l’exposition que préparait Jean Tinguely à la Galerie Alexandre Iolas, du fantasque danseur grecque reconverti en chantre sublime de l’art contemporain – un des premiers défenseurs de Tinguely et de Niki. Il observa également les visiteurs d’une exposition Op-art, où son talent d’observateur cisaillait des perles d’images et, enfin, il se baladait dans les rues de New York la nuit, où des drames à la Weegee (du nom du photographe qui se rendait sur les scènes de crime) se produisait devant ses yeux, et son objectif.
En ramenant à la vie des images importantes pour leur valeur de témoignage d’une époque folle, Luc Debraine redevient aussi l’historien de l’art qu’il est. L’exposition Chelsea Hotel New York 1965 n’est pas seulement un hommage du fils au père, elle est surtout une pierre nouvelle essentielle à l’édifice Tinguely – Saint Phalle.
Chelsea Hotel New York 1965, Espace Jean Tinguely -
Niki de Saint Phalle, Fribourg, jusqu'au 2 septembre 2018
Le photographe Yves Debraine (1925-2011)
Reporter-photographe suisse, Yves Debraine a collaboré dès les années 1950 à L’Illustré, la Schweizer Illustrierte, Paris-Match, L’Express et plusieurs autres titres de la presse internationale. Il a travaillé comme correspondant européen des magazines américains Life et Time. Il a été pendant vingt ans le photographe attitré de Charlie Chaplin, au service également de Georges Simenon et de la famille de savants-aventuriers Piccard. Etabli à Lausanne, Yves Debraine a lancé plusieurs publications, dont L’Année Automobile et le mensuel pour seniors Aînés, plus tard renommé Générations.
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1 Commentaire
@stef 01.04.2018 | 18h14
«Joli pan d’histoire »