Culture / La conquête de soi
Dans son roman «Zone de contrôle» qui paraît chez Plaisir de lire, Hélène Dormond creuse une interrogation qui la poursuit de livre en livre: dans quelle mesure est-il possible de s’affranchir de son conditionnement et de se définir en dehors de ses balises?
Difficile de parler du troisième roman de cette auteure sans évoquer d’abord les deux précédents, tant Zone de contrôle semble constituer le dernier volet d’une trilogie qui s’articule autour de la question de l’identité, à définir entre déterminisme et liberté.
En effet, chacun de ces trois ouvrages met en scène des protagonistes victimes de ce qu’ils sont à outrance: pathologiquement timide pour ce qui est de Marcel dans L’envol du bourdon, tête brûlée en ce qui concerne Mathias et dévouée jusqu’au sacrifice pour Magali dans Liberté conditionnelle et maintenant psychorigide s’agissant de Marianne dans Zone de contrôle.
Avec un sens de l’observation aiguisé et un don pour extraire le comique de la vie, Hélène Dormond campe une galerie de personnages touchants. Notons au passage que les prénoms de ces antihéros aux prises avec eux-mêmes commencent toujours par les lettres MA, ou AM comme Amandine, miroir inversé de Marcel. Mais venons-en au personnage de Marianne.
Dressée dès son plus jeune âge au respect de l’ordre, persuadée que les règles ont été édictées pour le bien public, elle est adulte et mère à son tour quand le lecteur de Zone de contrôle fait sa connaissance. Adulte, mais encore bien marquée par l'empreinte d'un père tyrannique.
On la découvre à un tournant de sa vie, quand forcée par une allergie à renoncer à son métier de fleuriste, elle réussit son entrée dans la police. Un milieu de prédilection pour cette veuve inconsolable, pétrie de principes, qui s’emploie non sans mal à inculquer ses valeurs d’ordre et de fidélité à sa progéniture. De quoi obtenir enfin la reconnaissance paternelle tant convoitée? Par sûr, car c’est par la toute petite porte qu’elle entre dans la police, en qualité d’auxiliaire, avec le sentiment de n’être jamais à la hauteur des attentes qui pèsent sur ses épaules.
Même si elle est convaincue de participer à son niveau au bon fonctionnement de la société, ce n’est pas en distribuant des contraventions à longueur de journée qu’elle pourra espérer susciter l’approbation de l’inflexible et sévère Charles-Armand, son père. Aussi s’invente-t-elle une enquête à mener à partir d’un billet doux trouvé dans les vestiaires.
Mais c’est la vie qui va la bousculer au point de faire éclater d’un seul coup le carcan très strict dans lequel elle s’est toujours enfermée. Acculée par la douleur et la désillusion à s’affranchir de cet atavisme, Marianne va passer d’un extrême à l’autre et vivre à Barcelone quelques scènes de débauche jubilatoire en totale rupture avec son éducation très rigide. Une nuit torride qui se transformera en nouveau fil à la patte quand son amoureux d’un soir la retrouvera en Suisse et réussira à s’incruster dans son quotidien bien huilé comme une tique dans l’aine.
A travers de nombreux flash-backs, Hélène Dormond revisite les anecdotes et les principes éducatifs qui ont forgé la personnalité de sa protagoniste, donnant ainsi de l’épaisseur au personnage.
Comme toujours chez cette auteure doublée d'une assistante sociale, des sujets aussi graves que la part de déterminisme et de liberté sont traités avec humour et légèreté et ce sont les plus humbles qui occupent les rôles de premier plan.
Ce livre suggère qu’on met une vie à se remettre de son enfance. Si tant est qu’on y parvienne. Et qu’être adulte, c’est réussir à se définir en dehors des carcans de notre éducation.
Face à une actualité qui amène la société à se déchirer entre l’appel à la désobéissance et le souci sécuritaire, le troisième roman d’Hélène Dormond propose une voie médiane: sortir de la dichotomie docilité versus rébellion pour identifier les raisons qui nous poussent à agir comme on le fait et se trouver à travers elles.
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