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Si la Fondation Gianadda nous a habitués depuis plus de quarante ans à des expositions magnifiques, celle-ci est exceptionnelle. «Anker et l’enfance» met en scène les œuvres majeures du peintre suisse à travers un hymne aux enfants. Bel hommage à Léonard Gianadda, décédé en fin d’année dernière, qui a préservé l’enthousiasme de la jeunesse sa vie durant. Derniers jours d’une exposition qu’il faut se presser d’aller voir pour se laisser toucher par ces petites bouilles tendres et adorables.



Les expositions chez Gianadda ont connu de plus grands noms que celui d’Anker: Chagall, Van Gogh, Picasso, Monet, j’en passe et des meilleurs. Dès le 12 juillet prochain, ce seront encore les immenses Cézanne et Renoir qui feront briller les murs du musée. Quel que soit le nom de l’artiste, il est pourtant des expositions dont les œuvres vous atteignent d’une façon particulière. Ce fut bien le cas pour moi avec les tableaux d’Albert Anker dont je connaissais à peine le nom.

«Anker et l’enfance»

L’exposition s’articule en huit parties, dont les trois dernières sont les plus puissantes au niveau émotionnel. «Les enfants de la crèche», «Frères et sœurs» et «Jouer et apprendre» mènent à son paroxysme le parcours proposé en ce moment à la Fondation. Il n’en demeure pas moins que chacune des parties garde son intérêt propre et compte son lot de véritables chefs-d’œuvre.

Qu’est-ce qui rend alors cette exposition si forte et élève sa valeur? C’est bien évidemment son thème: l’enfance. Cette enfance qui était aux yeux d’Albert Anker (1831-1910), peintre tardif après un parcours de théologie, originaire d’Anet puis monté à Paris, son sujet préféré. Celui-ci écrivait en effet: «J’ai toujours eu sous les yeux une foule de petits modèles. Leur présence me réjouit et me divertit. Toute ma vie je n’aimerais pas non plus être obligé de recourir à d’autres modèles, sauf quelques vieillards  qui me racontent des histoires du temps jadis…»

Néanmoins, un tel thème n’assure pas une réussite ni ne constitue une véritable œuvre artistique. Des images de bébés chats ou humains, bien que mignons, affichés sur les réseaux sociaux ne sont pas forcément mesure de créer la cohérence d’une exposition ni de pénétrer le cœur du visiteur. «Anker et l’enfance» a ceci de génial que les toiles présentées se distinguent par un style maîtrisé et fin, qu’elles portent en elles un message profondément humain et qu’elles racontent en somme toute une histoire.

Sans prétendre à une critique d’art, à de l’analyse scientifique ou à un avis sur les tableaux qui se voudrait le bon, voici un florilège de quelques toiles exposées qui furent des coups de cœur parmi d’autres. Il ne s’agit ici en fait que du simple regard ému d’un spectateur, en l’occurrence moi, qui est raconté à travers quelques impressions déposées sur le papier après avoir visité l’exposition.

Ruedi Anker sur son lit de mort (1869)

Si l’on croit qu’en exposant l’enfance, l’on se confine à ne dépeindre qu’un monde joyeux et idyllique, les quelques tableaux traitant de la mort des enfants nous ramènent à une réalité bien plus crue. C’est notamment le cas de Ruedi Anker sur son lit de mort, où Anker représente le corps de son propre fils mort à l’âge de deux ans. Qui dit enfance dit aussi fragilité: c’est ainsi que cette œuvre très personnelle nous rappelle aujourd’hui que la mortalité infantile était autrefois un fléau massif, qui donnait aux endeuillés un autre rapport à la vie et à la mort. Le peintre vit son deuil par l’art. Chaque coup de pinceau, chaud et coulant, ramène aux larmes d’un père qui perd son petit.

Les gamins qui se baignent à l’ancien Crêt (1888)

Plus joyeux et insouciant, l’un des tableaux qui met en scène une communauté d’enfants. Si Anker privilégie pour ces scènes la réalité paysanne, il se tourne pour cette peinture sur un monde plus bourgeois. Les gamins qui se baignent à l’ancien Crêt explose de vitalité et de lumière. Ces jeunes garçons qui jouent, plongent, nagent ou discutent évoquent le besoin de communauté des enfants. Il n’y a pas d’enfance sans camarades de jeux. Les parents de jeunes addictes aux écrans devraient se laisser inspirer par une telle scène.

Vieillard et deux enfants (1881)

Quelle tendresse! Un grand-père avec ses petits-enfants, c’est l’illustration de la vie qui se transmet dans les familles et de la dépendance dans celles-ci. Une famille, c’est des naissances et des morts. C’est une communauté, avec ses joies et ses dysfonctionnements, où les uns sont en pleine ascension alors que les autres descendent tranquillement vers la sortie. Le Vieillard et deux enfants nous évoque des souvenirs d’enfance où demeurer auprès des grands-parents était une fête, par besoin quand les parents travaillaient, par plaisir quand il s’agissait de visiter les aînés.

Les petits ont besoin de se nourrir de références dans leurs familles, autres que celles des parents uniquement. Ils ont besoin de connaître leurs racines et de grandir en sagesse à l’ombre des récits des vieillards. Ces derniers ont en revanche besoin de s’assurer que la relève est là et qu’ils peuvent partir en paix. Ils voient à travers leurs descendants la fécondité de vie, qu’elle soit biologique ou morale.

Le premier sourire d’un enfant (1885)

Avec Le premier sourire d’un enfant, on est évidemment touché par la joie manifestée par le bébé, mais surtout par le cadre. Matériellement, le cadre dans lequel se trouvent les trois protagonistes est plutôt sombre. Le mobilier est pauvre et sobre. La lumière est fixée sur les trois enfants qui nous montrent la plénitude de ces êtres malgré la pauvreté de leur condition. Ces deux sœurs avec leur petit frère nous ramènent aussi à l’absence des parents qui, hier comme aujourd’hui, voient à peine leurs enfants grandir, occupés au travail à assurer un revenu pour la famille. La joie des sourires est portée par la mélancolie du cadre et du contexte.

Jeune fille se coiffant (1887)

Coup de cœur parmi les coups de cœur, cette jeune fille qui tresse en toute délicatesse sa blonde chevelure. Ce tableau, bien qu’exceptionnellement beau à mes yeux, reste représentatif des autres toiles, presque toujours prises en action, en somme des scènes bien vivantes où l’enfant s'attelle à une tâche du quotidien. En ce sens, Anker est à la peinture ce que Cartier-Bresson, avec ses scènes mythiques d’enfants dans les rues, est à la photographie. Ce n’est pas la scène léchée et posée qui touche le visiteur, mais bien la scène en action, face à laquelle on assiste à un déroulement d’une histoire. La Jeune fille se coiffant par les mains à l’œuvre et le visage tendre et sérieux ramène à l’application des enfants dans la solitude qui pour lesquels un simple tressage est un devoir de la plus haute noblesse.

L’enfance célébrée

A travers cette exposition, plus encore qu’Anker ou la peinture, c’est l’enfance qui est célébrée. L’enfance dans son innocence mais aussi l’enfance dans sa vitalité. L’enfance dans sa légèreté, mais aussi dans sa gravité. L’enfance dans ses rires, mais aussi dans ses drames. C’est une représentation complète qui est offerte aux visiteurs pour qu’ils n’oublient jamais que ces enfants face auxquels ils s’émerveillent, c’étaient eux autrefois. Qu’ils se souviennent de qui et d’où ils viennent, qu’ils retrouvent en eux la flamme de l’enfance qui doit leur donner, aujourd’hui encore, l’élan vital pour cheminer dans les beaux comme dans les mauvais jours.


«Anker et l'enfance», Fondation Pierre Gianadda, Martigny, jusqu'au 30 juin 2024.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@LEFV024 24.06.2024 | 16h10

«Très belle exposition, effectivement!»