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Culture / Ils entrent sans frapper pour une impro à domicile


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On pouvait déjà convoquer dans son salon un concert ou une pièce de théâtre. Voici des improvisateurs qui viennent s’asseoir dans votre canapé. L’yverdonnoise Compagnie du cachot met dans le mille avec une formule prisée des familles et des soirées entre amis.



C’est un samedi soir à 20 heures. Philémon et son épouse Marley franchissent le seuil de la porte. Ils reviennent d’une séance de thérapie de couple. Lui est architecte et elle travaille pour une célèbre enseigne de parfumerie. Ils s’assoient sur le canapé du salon. La discussion prend vite une tournure dramatique.

Assise autour de la table de la salle à manger, une vingtaine de personnes les observent le temps d’un apéritif. Daniela et Aaron Salazar, les maîtres de maison, les ont conviées dans leur appartement d’Orbe pour assister à un spectacle d’improvisation. Le thème de ce soir: un couple de pros bien partis dans la vie rentre chez lui après une séance de thérapie…

Cette performance intitulée «Entrez sans frapper» est proposée depuis trois saisons maintenant par La Compagnie du Cachot, troupe résidente du Théâtre l’Echandole à Yverdon.

Les prénoms des protagonistes, leur profession ainsi que le type de soirée dont ils reviennent ont été suggérés par les spectateurs quelques minutes auparavant au «joker», le membre de la troupe qui officie comme maître de cérémonie. Ici, pas de lever de rideau; les acteurs entrent en scène par la porte de la maison. Et n’hésitent pas à faire comme chez eux, excepté dans les endroits indiqués par les hôtes et dont le joker interdit l’accès à l’aide d’un ruban rouge. Le spectacle peut alors commencer.

Ici, pas de lever de rideau; les acteurs entrent en scène par la porte de la maison. Et n’hésitent pas à faire comme chez eux. © 2018 Bon pour la tête / Domenica Canchano Warthon

Succès sans script

L’idée d’«Entrez sans frapper» a plusieurs sources d’inspiration, explique Yvan Richardet, membre de la compagnie, qui officie tantôt comme acteur-improvisateur, tantôt comme joker. «Nous avons d’abord été frappé par le succès des concerts en appartement. Puis, il y a environ cinq ans, par celui du spectacle «Ariane dans son bain» où Aline Papin interprétait le monologue intérieur d’Ariane dans «Belle du seigneur» étendue dans le bain moussant de salles de bains privées. Nous avons alors imaginé reprendre l’idée du spectacle à domicile mais en proposant quelque chose de différent».

Daniela Salazar, elle, est conquise par une formule qui lui a permis de convier une assemblée de parents et amis de tous âges: «Des enfants aux aînés, tout le monde a aimé et s’est amusé. Les comédiens ont été formidables, j’ai surtout admiré leur maîtrise du rythme de la soirée.» Il est vrai que tenir la cadence sur une heure entière d’improvisation, c’est costaud.

Comme chez Daniela et Aaron, ce type de spectacle attire un public plus diversifié que celui du théâtre en salle: les comédiens-improvisateurs sont sollicités lors de fêtes d’anniversaire ou de soirées particulières entre amis. Une fois l’exhibition terminée, l’hôte a la possibilité de faire circuler un chapeau ou de payer lui-même l’addition: 250 francs (minimum suggéré) lorsque le spectacle est proposé par l’Echandole, qui le cofinance.

«Avant de nous lancer, nous avons organisé un spectacle test chez un de nos amis, raconte encore Yvan Richardet. Cela nous a permis d’explorer différents registres. Nous nous sommes rendu compte que nous devions coller à un certain réalisme et rester proches du quotidien des gens.»

«L’objectif premier est de raconter une histoire et de faire rire», dit Yvan Richardet, qui déclare un penchant pour l’humour «engagé et respectueux d’une certaine éthique».  © 2018 Bon pour la tête / Domenica Canchano Warthon

Ça marche, le public est au rendez-vous. Cette saison, les trois dates de spectacles à domicile proposées au programme de l’Echandole ont très vite affiché complet. La troupe y a ajouté quelques représentations pour son propre compte (donc plus chères) suite à des demandes de particuliers.

La nouvelle vie de l'impro

Si l’improvisation est aussi vieille que le théâtre lui-même, si elle a fait les beaux jours de la Commedia dell’arte, elle a pris ses habits contemporains dans les années 1970 au Canada, avec les matches d’improvisation, calqués sur ceux de hockey: une patinoire, deux équipes, un minutage implacable et un public surchauffé. La formule a essaimé en Suisse romande, avec la constitution de ligues d’improvisation et l’enseignement de la discipline dans les cours facultatifs des écoles secondaires. Puis elle a conquis les scènes, mais sous une forme débarrassée de toute connotation sportive: adieu le match et la patinoire, bonjour le spectacle d’impro tel que le propose, par exemple, à guichets systématiquement fermés, la troupe Avracavabrac où Vincent Veillon et Vincent Kucholl ont fait leurs premières armes.  

Aujourd’hui, avec la compagnie du Cachot, le spectacle d’improvisation s’invite dans les appartements. Et relève un nouveau défi: celui d’un longue prestation des comédiens sur un thème unique, là où Avracavabrac et les autres proposent des soirées à sketches.

«Le rire ensemble»

 «L’objectif premier est de raconter une histoire et de faire rire», dit Yvan Richardet, qui déclare un penchant pour l’humour «engagé et respectueux d’une certaine éthique». Et une nette réticence envers «l’humour d’exclusion, où l’artiste joue sur la connivence avec son public pour pointer du doigt les autres, ceux qui sont dehors.»

A cette manière très en vogue de rire de l’autre avec arrogance, «le rire contre», il oppose l’autodérision, «le rire ensemble»; de nos faiblesses, de notre vulnérabilité. En proposant une galerie de personnages dans lesquels chacun peut se reconnaître, avec les hauts et bas de leurs couples, leurs mesquineries et leurs petites grandeurs.

Daniela et Aaron ne diront pas s’ils se sont reconnus. En tous cas, ils comptent bien remettre ça. A moins qu’ils ne suggèrent à leur employeur la formule «improvisation entre les plats» pour leur prochaine soirée d’entreprise. La Compagnie du cachot a quelques autres cordes à son arc.


Yvan Richardet à l'interview.


Renseignements et tarifs: compagnieducachot.ch

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