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Culture / Deux pépites coréennes dans le tout-venant mondial…


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Deux séries télévisées récentes, «Save me» et «Partners of justice», illustrent, dans la foulée du renouveau cinématographique sud-coréen amorcé dans les années 80, la vitalité, tant artistique que documentaire, de ce pays revenu de loin où un esprit critique non dogmatique souffle où il peut, souvent mêlé d’intense poésie visuelle et d’empathie humaine. Et quelles mises en scène! Quelles images et quels interprètes!



Bien entendu, vous ne savez à peu près rien – en tout cas c’est mon cas – de la Corée du sud, en dehors d’images de surface et de brèves infos, et pas grand chose non plus, ou peu s’en faut, de ses gens et de sa culture, même si vous vous rappelez vaguement  que le pays revient de diverses occupations aliénantes et de guerres civiles meurtrières, ou, vous intéressant au cinéma, si vous vous souvenez des noms de quelques réalisateurs et de quelques films vus à la faveur de tel ou tel festival, jusqu’à la palme d’or décrochée à Cannes, en 2019, par le Parasite de Bong Jon-ho, dont le réalisme incisif et l’humour doux-acide, le sens conjoint du tragique et du comique paraissent représentatifs d’un ton particulier.

C’est en tout cas ce qu’on peut constater dès les premiers épisodes de Save me, série dirigée par Kim Sung-soo d’une intensité émotionnelle immédiatement saisissante et constante, dont le thème est l’emprise implacable d’une secte sur la famille d’un petit entrepreneur en faillite parti de Séoul avec femme et jumeaux (Sang-mi la fille et Sang-jin le garçon) pour se «refaire» dans la ville provinciale de Moji, où ces citadins de la capitale suscitent illico de vives jalousies. A cette enseigne, le jeune Sang-jin, malingre et boiteux adolescent, est en butte aux ignobles persécutions du «roi» de son lycée et de sa clique qui le poussent au suicide, lequel plonge sa mère dans un désespoir tel que le père cède aux offres de protection du «pasteur» à la trouble suavité qui dirige la secte.

Mélodrame tire-larmes? Bien plus que ça: tableau social très diversifié aux jeunes personnages extrêmement attachants, à commencer par l’intraitable Sang-mi que son intelligence et son courage dressent contre les «apôtres» de la secte qui ont pris sa mère en otage. Pour la défendre, quand elle demandera du secours, un quatuor de jeunes lascars, d’abord divisés, s’unira pour affronter le redoutable «Père spirituel», du genre pervers narcissique de très haut vol, et les deux gangsters avérés qui lui servent de bras armés. Passons sur le détail des péripéties à multiples rebondissements, car l’essentiel est ailleurs…     

L’impact de la ressemblance humaine

L’essentiel est dans la détresse intolérable vécue par une jeune fille assistant d’abord, impuissante, aux persécutions subies par son frère, et voyant ensuite mère et père sombrer dans la folie sous l’influence de manipulateurs leur promettant le salut dans leur «Arche du Salut», nous rappelant évidemment les menées délirantes du Temple solaire.

L’essentiel, dans un pays aux cultes mêlés, réside dans la parodie para-chrétienne que représente cette secte du Nouveau Ciel Tout-Puissant, dont les bienfaits publics d’assistance sociale dissimulent des intentions financières prédatrices, entre autres crimes. Côté délire hystérique du prédicateur à tignasse blondasse, on retrouve la folie du Malin de John Huston, d’après le roman de Flannery O’Connor. En outre,  et de façon plus explicite que dans la série (excellente au demeurant) de La Servante écarlate, d’après Margrit Atwood, Save me documente puissamment l’arrière-plan social coréen où conflits de classes, corruption à tous les niveaux et désespérance juvénile cohabitent. Mais rien là-dedans de la thèse édifiante dans la mesure où les personnages sont perçus, dans leur complexité lumineuse ou maléfique, avec des nuances souvent inattendues.

Bien entendu, les standards du feuilleton à l’américaine y figurent, et parfois outrés jusqu’au fantastique frisant parfois le comique – de cascade folles en «bastons» épiques –, mais là encore l’essentiel tient plutôt à  la ressemblance humaine détaillée, au fil de situations «universelles»,  par des personnages finement étoffés et de magnifiques acteurs. Transcendant ainsi les lois du genre, Save me nous fait compatir, enrager ou sourire comme au temps où l’injustice, la vilenie, le machiavélisme ou la générosité, la loyauté et la pureté de cœur nous faisaient chialer ou rire en lisant les feuilletons de nos bonnes vieilles barbes à la Hugo ou Dickens… 

La jolie procureure et le légiste grincheux en «Kdrama»

Vous qui êtes imbus de génie occidental et de culture européenne séculaire (et moi donc!), vous donneriez probablement toutes les webséries asiatiques actuelles pour un roman de Balzac ou de Tolstoï, toutes les sitcoms américaines pour une nouvelle de Maupassant ou de Tchekhov, et pourtant…

Pourtant le moment est peut-être venu, sans comparer tout et n’importe quoi,  d’en rabattre sur notre morgue supérieure, par rapport aux «sous-genres» et autres produits industriels de la «culture populaire», à la recherche d’éventuelles pépites d’or fin dans le tout-venant mondial.

Le cher Freddy Buache me disait un jour que, dans ses débuts de cinéphile, sa difficulté était de trouver de bons films dans la rareté. Or la nôtre est désormais de déceler la qualité dans la profusion chaotique, et pourquoi pas dans l’offre d’un portail «capitaliste» mal vu des cinéphiles intégristes quand Netflix propose, ces jours une série de «drama» coréens – qu’on appelle en anglais raccourci des « Kdrama » – dont certains méritent l’attention.

Ainsi de la série en deux saisons Partners for justice,  d’un ton et d’un contenu évidemment tout autre que celui de  Save me, et d’une pâte humaine moins riche, mais qui épate par la foison de ses observations caustiques en matière sociale et judiciaire et par sa façon peu conventionnelle de critiquer les hautes autorités, de procureurs marrons en superflics ripoux, et l’incompétence scientifique des polices criminelles, notamment.

Plus précisément, l’on y voit collaborer un médecin légiste au caractère de sanglier mais qui fait «parler les morts» au fil d’autopsies où s’exerce sa haute compétence, et une jeune procureure résolue à braver la malhonnêteté de tous ses supérieurs qui  la snobent parce qu’elle est femme et la craignent parce qu’elle n’écoute que son intuition et ne tend qu’à la vérité. 

Tout cela, une fois encore, pimenté par tous les ingrédients du genre, avec une sorte de bouffonnerie shakespearienne (Shakespeare, autre précurseur du feuilleton!) qui contraste avec les tragédies du quotidien...

Vous faites la moue? Faisons plutôt la guerre aux préjugés!


«Save me», de Kim Sung-soo et Jeong Yi-do
«Partners for justice», de Min Ji-eun et Noh Do-cheol

A voir également

«Seoul Searching», un étonnant reportage-fiction sur le retour des jeunes Coréens américanisés dans leur pays en 1986, avec le choc des cultures vécu par des gars et des filles revenus de Californie, d’Europe ou du Mexique dans des camps d’initiation nationale de bonne volonté.


 

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