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Culture / Contemporain du bouddhisme, le Jaïnisme est lui aussi riche d’enseignements


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Cette communauté de cinq millions d’individus prône la non-violence, la tolérance et le refus du matérialisme. Une vision à découvrir à travers l’exposition du Musée Rietberg, à Zurich.



Ce sont deux fleuves humains qui roulent, l’un vers la montagne et ses temples, l’autre, en sens inverse, refluant vers la métropole. Parmi cette marée mouvante et colorée de pèlerins jaïns, deux groupes se distinguent, le premier parce qu’il va entièrement nu, léger dirait-on, le second uniquement revêtu de tuniques blanches qui flottent au vent. Ces ascètes appartiennent aux deux ordres principaux du jaïnisme: les digambara (ou vêtus d’espace) et les shvetambara (habillés de blanc). On les découvre sur les photos reproduites en grand format, au cœur de l’exposition passionnante «Etre Jaïn. Art et culture d’une religion de l’Inde» du Musée Rietberg.

Le jaïnisme? Pour rappel, cette religion a vu le jour en Inde en même temps que le bouddhisme mais s’est, contrairement à celui-ci, essentiellement cantonnée à son pays d’origine jusqu’au XXème siècle. Aujourd’hui forte de quelque cinq millions d’individus et d’une diaspora, cette communauté jouit d’une importance économique inversement proportionnelle à son nombre. La vision du monde et la spiritualité jaïne semblent particulièrement pertinentes, relève l’exposition, à l’heure des crises profondes de nos sociétés.

Le Musée Rietberg dévoile la diversité et l’ancienneté de ses représentations – sculptures et objets rituels, tableaux et textiles de grand format, manuscrits richement enluminés, soit quelque 200 chefs-d’œuvre provenant de ses propres collections mais aussi de privés et de grands musées indiens. Les plus anciens ont près de 2000 ans, les plus récents datent du XXème siècle et sont éclairés par plusieurs films, récits et témoignages de Jaïns vivant sur trois continents. Un jeu interactif évoquant notre jeu de l’oie invite aussi le visiteur à s’interroger sur sa propre vision du monde – l’occasion d’apprendre que de tels objets trouvent leur origine en Inde…

Un bel exemplaire du début du XIXème siècle peint sur tissu affiche ses cases parcourues de serpents et d’échelles. Un autre «carré magique» encadré par un serpent à plusieurs têtes est lié aux rituels tantriques.

Le Jaïnisme a notamment adopté les jeux de la connaissance à des fins pédagogiques: le but visé étant toujours d’atteindre un lieu ou un état idéal en progressant malgré les obstacles et en acquérant de nouvelles connaissances.

A cet égard, plusieurs œuvres se réfèrent à la cosmologie jaïn: le cosmos se compose de trois niveaux superposés. Au centre, le monde est un disque peuplé des humains et des animaux; au-dessus, le royaume des êtres célestes et en dessous, les enfers souterrains. Tout est extrêmement ordonné et hiérarchisé. Les monstrueuses créatures infernales qui peuplent ici une série de représentations singulières subissent des tourments sans fin qu’ils s’infligent à eux-mêmes.

Aux antipodes de cet enfer effrayant, un palais céleste est représenté à l’aide d’une série de cases, évoquant une bande dessinée aux tons pastels. Les dieux vivent dans ces lieux volants une vie de plaisirs (Palais céleste, peinture sur tissu, Rajasthan, deuxième moitié du XVIIIème).

Plus terre à terre toutefois, le propos de l’exposition vise aussi à faire réfléchir et interpeller le visiteur: la vision du monde jaïne semble étonnamment pertinente et actuelle pour affronter les défis majeurs de notre époque tels le changement climatique, la violence et les guerres, la montée des inégalités. Cette communauté qui vit et mange de manière végétarienne, voire végane, prône le respect absolu de la vie et de la nature, la non-violence et le refus du matérialisme est ainsi porteuse de solutions radicales.

Les jaïns ne croient pas en un dieu unique mais vénèrent 24 maîtres spirituels: les Jina (vainqueurs) ou tirthankara (faiseurs de gués). Le Jina Mahavira, dernier de cette lignée, est considéré comme le fondateur historique du jaïnisme, vers le VIème siècle avant notre ère, et de sa première communauté, au nord-est du pays.

Une peinture sur papier, du début du XXème siècle, aligne de même les 24 Jina dans des cases superposées, assis en tailleur, la tête nimbée d’auras, distincts les uns des autres par de rares détails: la couleur et quelques attributs symboliques.

Installée à l’entrée de l’expo, une statue de marbre du premier Jina Rishabha (Rajasthan, XI-XIIèmes), particulièrement figée, hiératique, entourée par deux colonnes et une voûte richement ouvragée d’une myriade de personnages et animaux mystérieux, musiciennes ou danseuses, éléphants, serpents, etc. Bras le long du corps, le Jina exprime le recueillement.

De nombreuses pièces – à l’instar des statuettes de deux Jinas côte à côte (image de culte, XVème siècle, cuivre) – montrent les ascètes debout, immobiles, dans cette posture dite «abandon du corps». Une pratique visant à se détacher du physique et de l’éphémère. L’aboutissement, sans doute, de cette quête, l’âme libérée ou rachetée du Jina, est représenté dès le XIVème siècle dans le nord-ouest de l’Inde sous une forme étrangement poétique. Le corps – ou plutôt son absence – apparaît en creux, grâce à une silhouette laissant passer la lumière (Jina racheté, deuxième moitié du XXème siècle, laiton).

Pleine de vie et de volupté au contraire, la statue de grès sombre de la déesse Ambika (Rajasthan, XIème siècle) symbolise la prospérité et la fécondité: elle est une des nombreuses divinités que vénèrent aussi les croyants, outre les Jina. Intéressant de relever que le jaïnisme révère seize déesses de la sagesse (Vidyadevis), qui incarnent et protègent le savoir, toutes munies d’une épée avec laquelle elles combattent l’ignorance.

Une évocation de cette religion première décidément aussi intéressante dans son message que dans les formes qu’elle revêt…


«Etre Jaïn. Art et culture d’une religion de l’Inde», Musée Rietberg, Zurich, jusqu’au 30 avril.

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