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Culture / Cannes 2020, un label au rabais


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Si le Festival de Cannes n'a pas eu lieu cette année, sa direction, elle, n'a pas pu se résoudre à une pure et simple disparition médiatique. D'où l'annonce mercredi dernier d'une sélection de 56 films qui pourront sortir en salle avec le fameux logo à la palme du Festival. Un label toujours crédible ou désormais dévalué?



Le cinéma a été touché de plein fouet par le COVID-19, et même le plus prestigieux festival du monde en a fait les frais. Après avoir joué l'arlésienne, sa direction a décidé, «pour le bien de toute la branche», d'annoncer quand même une Sélection officielle. Une sélection virtuelle, s'entend, puisque le Festival était définitivement annulé. Mais s'agit-il vraiment de distribuer les bénédictions indispensables à la carrière commerciale des films sélectionnés, ou le plus important n'est-il pas d'occuper le terrain médiatique pour soi-même?

Car à regarder de près cette sélection de 56 films, force est de constater qu'elle n'est guère crédible. Bien sûr, on pourra toujours avoir de bonnes surprises au moment où ces films sortiront, mais des indices laissent à penser qu'au moins la moitié des titres annoncés n'auraient pas trouvé le chemin d'une «vraie» sélection. Par contre, peut-être correspondent-ils mieux aux véritables goûts des sélectionneurs, enfin débarrassés de la concurrence des sections parallèles (Quinzaine des réalisateurs, Semaine de la critique et ACID) et du «surmoi» que constitue une critique professionnelle si difficile à satisfaire.

Des indices de soldes

On connaît le premier argument de tout festival pour se faire mousser: ce ne seraient pas moins de 2067 films qui auraient été visionnés pour arriver à cet écrémage qui ne retient que le meilleur du meilleur. Mais personne ne vérifie qui, du directeur artistique, du comité de sélection ou des rabatteurs internationaux visionne véritablement tous les films. Ni si c'est en entier qu'ils sont regardés ou juste quelques minutes (qui peuvent souvent suffire à en écarter un bon nombre). Et sachant qu'en temps normal déjà les moins bons films de la Sélection officielle sont souvent médiocres, il y a de quoi se poser des questions.

Prenons par exemple celle de la provenance. Certes, la surproduction mondiale est une réalité, mais la préférence nationale de Cannes en est une autre: avec 20 films français plus une dizaine de coproductions sur les 56 films annoncés, le Festival n'a pas eu à chercher terriblement loin. C'est bien simple: soit l'hémisphère sud (Amérique latine, Afrique, Inde, Sud-Est asiatique et Océanie) ne produit plus de films, soit on a oublié d'aller y regarder. Un film brésilien, un égyptien et un documentaire congolais ne suffisent pas à créer l'illusion.

Il a par ailleurs été précisé que cette sélection se présenterait «en vrac», laissant chacun décider quels films auraient trouvé leur place en Compétition (le top du top), ou dans son antichambre Un Certain regard (les plus «fragiles» ou les moins «glamour»), ou encore Hors compétition (documentaires, dessins animés, «mauvais genres», etc.). Avec la meilleure volonté du monde, nous n'en voyons par plus de dix qui auraient pu figurer en Compétition, laquelle en compte normalement entre 18 et 20! Et que dire des cinq comédies françaises qui se retrouvent labellisées alors que la Sélection officielle n'en présente jamais plus d'une – déjà un gros effort pour ne pas paraître trop élitiste?

Auteurs présents, auteurs absents

Parlons maintenant des auteurs. Parmi les «fidèles» mis en avant, autrement dit les cinéaste habitués ou carrément abonnés, on trouve également quelques causes d'inquiétude. Les premières réactions médiatiques ont par exemple fait grand cas de la présence des deux films du Britannique Steve McQueen, «Lovers Rock» et «Mangrove». Mais au fait, par quel miracle? Parce qu'il s'agissait à l'origine d'un projet de mini-série pour la BBC qui a apparemment changé de braquet. Quant à «The Real Thing» du Japonais Koji Fukada, qui frise les quatre heures, il s'agit là aussi d'une production télévisuelle. Autant de films sans vedettes peu susceptibles d'aboutir en compétition. Et que dire de l'Espagnol Fernando Trueba qui n'avait jamais été sélectionné en 20 films, de même qu'en 15 films le «non-fidèle» Oskar Roehler (mais l'Allemand a signé un biopic sur Rainer Werner Fassbinder sous le titre très français d'«Enfant terrible»)?

Quand ce qui subsiste de la crème du cinéma mondial a pour noms Wes Anderson, François Ozon, Naomi Kawase, Thomas Vinterberg, Maïwenn, Jonathan Nossiter, Im Sang-soo, Lucas Belvaux et Sharunas Bartas, le problème est facile à identifier: la majorité des cinéastes pressentis, ou du moins leurs producteurs, n'auront simplement pas souhaité jouer ce jeu-là. Certains parce qu'ils préfèrent se représenter en 2021 (Paul Verhoeven, déjà annoncé, et sans doute aussi Leos Carax, Nanni Moretti ou Apichatpong Weerasethakul). Et beaucoup d'autres, moins intimement liés à Cannes, parce qu'ils peuvent tout aussi bien se rabattre sur un grand festival de septembre, Venise ou Toronto, voire Berlin en février. Tant pis pour le «prestige cannois». Quant à l'accord passé par Cannes avec le plus modeste festival de San Sebastian, où ces films «labellisés» seront autorisés à concourir s'ils sont sélectionnés, il n'est pas faite pour clarifier les choses...

L'ego contre la raison

Bien sûr, l'annonce d'un taux en nette progression de premières œuvres (26,7%) et surtout de films réalisés par des femmes (28,5%) fait très chic, généreux et responsable. Mais combien de ces films auraient figurés dans un Festival qui aurait vraiment eu lieu? Ces pointages ne font qu'accroître le doute sur le niveau artistique de cette sélection. Sans compter que la comparaison avec les statistiques de l'an prochain risque d'être révélatrice.

Mais le vrai problème n'est pas là. Il réside bien plutôt dans la peur d'une érosion, encore accélérée par cette crise sanitaire inattendue, du cinéma au profit du streaming, des films au profit des séries, de l'art et essai au profit de la production commerciale, de la critique au profit du marketing. Avec au bout du compte peut-être même un déclin des festivals après des décennies de croissance ininterrompue. Et cela, Cannes ne veut en aucun cas l'envisager.

Au pire, s'il devait n'en rester qu'un à résister contre la banalisation d'un 7e art ravalé à un flux continu d'images digitales que plus rien ne distingue, ce sera lui! D'où sans doute l'obstination de Thierry Frémaux à vouloir présenter coûte que coûte cette sélection 2020, enrobée du discours enthousiaste de rigueur. Au vu du résultat, clairement au rabais, nous pensons au contraire qu'il aurait mieux valu s'abstenir. Histoire de préserver une crédibilité désormais entamée.


La liste des films sur le site officiel du festival

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