Chronique / Lettre aux inadaptæs
Avertissement: Ce texte est rédigé en français inclusif et utilise le genre neutre.
Tu es probablement trentenaire, peut-être quadra, peut-être davantage. Al est possible que tu aies fait de nombreux jobs (servaire en intérim dans des mariages, vendaire de charcuterie ou de vêtements, louaire de pédalos, enquêtaire téléphonique, ouvraire au théâtre, prof de quelque chose, chargæ de projet ou de communication, livraire, médiataire, régissaire, chroniquaire), al est possible également que tu ne comptes aucune ou peu d’expériences professionnelles à ton actif.
Si tu as déjà été salariæ, ça n’a jamais duré très longtemps. Des contrats courts, non renouvelés, un burn out, un salaire trop bas qui te pousse à partir.
Actuellement, tu es peut-être sans emploi, ou bien alors tu occupes un poste précaire qui, pour une raison ou une autre, t’angoisse terriblement — tu ne sais pas ce qui t’angoisse le plus: garder ce job, ou bien le perdre.
Tu as, tu as déjà eu, ou tu auras un jour recours à des altérateurs de conscience. Tu n’es pas nécessairement intoxiquæ à quoi que ce soit, tu n’es pas nécessairement dépendanx d’une substance. Tu n’es pas nécessairement une épave. Néanmoins tu es réceptix à l’alcool, aux médicaments, à une drogue ou une autre. Al semblerait que tout ce qui possède le pouvoir de modifier temporairement le prisme au travers duquel tu fais l’expérience du monde t’intéresse. Tu en as peur également, c’est entendu, car tu redoutes les pertes de contrôle et tu détestes l’idée d’être malade (abîmæ, empoisonnæ, diminuæ, mouranx), mais tu constates malgré tout que les instants où tu expérimentes l’ivresse, quelle qu’elle soit, sont finalement des temps où tu te reposes.
(où tu laisses à terre ce sac de pierres chaudes que tu portes d’ordinaire)
Si tu es sans emploi, tu en cherches. Tu cherches beaucoup. Tes diplômes te semblent n’avoir aucune valeur.
Si tu as étudié les arts, ou quoi ce soit en lien avec l’univers de la culture, tu penses probablement: «on me l’avait bien dit, que ça ne valait rien.»
Si tu as étudié quoi que ce soit d’autre, tu te sens probablement trahix, voire humiliæ.
Si tu n’as pas de diplôme, tu en as peut-être honte.
Tu penses souvent au «système», à la «société», au «marché», enfin à un de ces machins parfaitement extérieur à toi, tout à fait insaisissable, et qui sont les mots fantômes de ton umwelt1 : ils te hantent, mais tu sais bien qu’ils n’existent pas — et que s’ils existent, ils ne sont pas responsables de ce qui t’arrive, ou ne t’arrive pas.
Al y a deux parties de toi qui n’existent plus. Probablement. La première, c’est celle qui a longtemps nourri de grands espoirs de réussite. La partie de toi qui se rêvait rock star, poètæ génialx, irrésistible, industriæl, faisaire de films, peintræ, donnaire d’amour. An human follement bial, une entité romantique, un paradoxe, solitaire et mondan, charismatique et irrévérencieuz, sociable et rebelle, milliardaire par accident, généreuz et désintéressæ, fêtarx en bonne santé. La seconde, c’est celle qui a longtemps pensé que, comme Guy Debord l’écrivait sur les murs, tu ne travaillerais jamais. C’était le toi alter, le toi Jerry Rubin (pré-Yuppie), le toi de carnaval, le toi de copyleft, pieds nus, poilu, béat, innocent, qui se voulait pacifiquement en lutte.
© Benoit Baudinat
Donc, tu ne trouves pas de travail. Probablement. Le «marché», et ce n’est pas la moindre de ses félonies, t’adresse une fin de non recevoir. Après t’avoir limæ de bas en haut, des chevilles jusqu’aux pépins, après t’avoir si bien démontré qu’il fallait renoncer à ces deux parties de toi-même (naïves, inconsistantes, honteusement adolescentes), après s’être assuré que tu étais irrémédiablement dans le besoin de t’insérer en lui, tout à fait convaincux de la nécessité de gagner ta vie (et déterminæ à ignorer tous les signaux d’alertes, tous les mauvais pressentiments relatifs à cette formule), le «marché» a détourné le regard et repris ses activités, sans t’attendre, ne t’ayant jamais attendux, toujours-déjà repu des milliards d’âmes besognant en son ventre, sans poste à pourvoir.
Al t’arrive encore d’échafauder des plans de rebonds formidables, des échappées belles, des reconversions salutaires. Juste avant de t’endormir, sous Alprazolam probablement, une grande idée te fait sursauter et tu penses: «al faut que je l’écrive, pour ne pas l’oublier!» Quelquefois, tu l’écris, cette grande idée. Ce sont des nuits rares, où tu t’endors paisible et fierx. Au matin, la grande idée est là, dans le carnet ou dans le téléphone, sur un mouchoir ou le paquet de somnifères, heureusement tu as fait l’effort de l’écrire. Elle est à portée de regard, à portée d’action, dans quelques instants tu vas la lire et t’en emparer, c’est un moment épique, c’est grandiose, tu entends les trompettes. Tu lis:
«Mercuriale
Je suis candidax
Penser au surimi
Le saxophone de la civilisation.»
Et tu as comme un doute, un léger doute, un tout petit doute mesquin sur la grande idée. La transcription que tu en as faite avant de t’endormir n’est peut-être pas absolument fidèle, pas tout à fait représentative de la portée, de la qualité intrinsèque de l’idée? As-tu surestimé ta capacité à déployer le contenu de la synthèse, à en extraire une vision plus détaillée, peut-être que l’idée est si puissante que ton cerveau mal réveillé ne peut pas la saisir immédiatement?
Tu t’imagines encore un peu herboriste, youtubaire, luthierx, rédactaire de contenu, jardinierx, gardian d’immeuble, jouaire e-sport, musician de session, éducataire spécialisæ, publicitaire, bénévole sur un navire de la Sea Sheperd, secrétaire médical, assistanx de quelqu’an.
Mais la plupart du temps, tu voudrais juste un travail, n’importe lequel. Tu as renoncé à tes exigences — tu ne dis même plus «ambitions».
Tu voudrais un travail «pour voir». Essayer, encore une fois ou une bonne fois pour toutes, de faire rentrer ta carcasse dans le moule du temps fragmenté, donner tes heures à une cause qui ne soit pas la tienne, utiliser une boite mail générique (contact@entreprise.com, info@accueil.fr, administration@reseau.ch), atteindre des objectifs dont tu te fous éperdument, prendre des pauses, poser des congés, revenir de vacances.
Tu aspires probablement à un peu de stabilité, un peu de simplicité, tu voudrais pouvoir répondre mécaniquement et sans sueurs froides aux questions récurrentes du type «Que faîtes-vous dans la vie?»
Tu es probablement sujex à des angoisses de mort intermittentes, mais al t’arrive également de penser, comme le chantait George Brassens, qu’une fois morx tu n’auras plus jamais mal aux dents, et ça te soulage vaguement.
Tu es partagæ, entre l’espoir pisseux de vivre vial, de couler un troisième âge peinarx sous opiacés, de bénéficier d’une biotech ou d’un cacheton miracle contre le cancer, et la sourde crainte de claquer trop jeune et subitement, anonyme cadavre au rayon crise cardiaque de la morgue fétide d’une ville de province — le sac de viande tendu de toxines, de métaux lourds, de perturbations endocriniennes, les ongles épais, le poil rêche et le cœur jaune.
S’al a pu t’arriver de te montrer cynique, tu abhorres au fond cette posture.
Tu ne veux pas pleurnicher, tu ne veux pas te victimiser. Tu penses probablement que tu as de nombreuses raisons de te considérer comme chanceuz.
Tu attends probablement une chute à cette chronique, un conseil, une résolution, quelque chose qui te récompenserait. Mais tu connais déjà, pour l’avoir rencontrée mille fois, la seule réponse disponible, ici comme ailleurs:
Après avoir étudié attentivement tous les éléments de votre dossier, nous sommes au regret de vous informer que notre choix s’est porté sur d’autres candidats dont le profil correspond davantage à ce que nous recherchons.
NB: Cette version est une transcription avec utilisation expérimentale du genre neutre du texte Lettre aux inadapté·es, initialement écrit en français inclusif avec point médian. L’auteur s’est notamment appuyé sur les travaux de linguistique d’Alpheratz et sur les relectures et conseils de Sana Jaafar et Géraldine Polès.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
11 Commentaires
@Logonaute 12.12.2020 | 12h01
«Excellent texte rendu illisible par une démarche volontariste inhumaine.»
@peclet 13.12.2020 | 09h08
«Rien à voir avec l’écriture inclusive, mais l’emploi du “tu” m’a fait arrêter dès la première ligne la lecture de ce texte qui s’abaisse au niveau de Migroop et des vendeurs de téléphones mobiles.»
@Marta Z. 13.12.2020 | 09h15
«Malgré l'avertissement, le contenu disparait sous la forme qui fait mal aux yeux - ce n'est pas du français! C'est plus que pénible, il faut traduire en cours de lecture pour essayer de comprendre le message... Pitié!
»
@Rachel M 13.12.2020 | 15h46
«MERCI pour ce très beau texte et MERCI d'oser le genre neutre!»
@RadioPlancton 13.12.2020 | 17h34
«Un grand merci aux personnes qui prennent le temps de s’exprimer ici et sur la page Facebook de BPLT. Radio Plancton pense, pour sa part, qu’il est toujours positif de s’extirper de sa zone de confort, même si c’est pénible, même si le cerveau est a priori réticent à se heurter ainsi contre une architecture sauvageonne et expérimentale.
Il n’y a pas, dans cette chronique, de « démarche volontariste inhumaine » (faut-il le dire avec emphase, en jouant du Wagner ?). Il s’y trouve une recherche individuelle, linguistique et poétique de solutions pour un auteur que la grammaire française, dans sa forme actuelle et toujours-déjà temporaire, ne satisfait pas (et que l’on peut malaxer, tordre, éprouver sans craindre le sacrilège puisque c’est ainsi que, depuis toujours et sans la validation de qui que ce soit, la langue et la poésie se font).
Rien n’est satisfaisant, tout est problématique. Radio Plancton le sait bien et n’ambitionne pas de réformer l’Académie, ni de « convaincre ». Seulement de proposer des formes, d’éprouver les limites (comme le ferait un enfant taquin), d’explorer ce grand domaine que l’on nomme liberté.
Bien à vous !»
@Logonaute 13.12.2020 | 18h19
«@Radio Plancton
Je comprends et conçois très bien la volonté expérimentale, tout en déplorant (car ce n’est pas la première fois que cet exercice en souffre, ici comme ailleurs) qu’elle succombe au piège de la forme au détriment du fond - au demeurant excellent, comme je l’ai déjà mentionné. Et c’est dommage que les questions essentielles soulevées par ce fond ne soient pas accessibles à tous ceux qui arrêtent leur lecture pour des raisons de forme, fût-elle taquine. (là, c’est le Cosma du Grand Blond qui vient à l’esprit, plutôt que Wagner).
Je suis comme vous atterré par la (dé)considération que l’activité de création continue de susciter même chez les plus « avertis », surtout en ces temps troubles et obscurs et je pense que cela mérite d’être entendu sans migraine, comme dirait notre ami Morier-Genoud.
»
@Lagom 14.12.2020 | 09h24
«Le meilleur moyen de faire sombrer une langue est d'éloigner son oral de son écrit ! Se distinguer suppose faire mieux et en mieux non pas faire "n'importe quoi"»
@Elizabeth 14.12.2020 | 21h54
«Ouais, ben c'est pas génial. Amusez-vous tant que vous voudrez avec l'écriture inclusive, mais ne comptez pas sur les lecteurs - et lectrices, puisqu'il faut vous mettre les points sur les i - pour vous suivre plus loin qu'un paragraphe, tant ce sabir est indigeste et désagréable. En ce qui me concerne, je suis "au regret de vous informer que (mon) choix s’est porté (et se portera) sur d’autres (journalistes) dont le profil correspond davantage à ce que je recherche".»
@LEFV024 20.12.2020 | 15h16
«Moi, j'ai bien aimé ce texte original et drôle!»
@Gio 26.12.2020 | 10h14
«J’ai lu ce texte avec intérêt tout en gardant la distance de sécurité pour éviter la contamination. L’exercice est réussi, certes, mais j’ose espérer qu’il restera unique. C’est tout de même horrible cette impression de dématérialisation du corps, de se sentir transformée en ectoplasme. Je suis une lectrice , pas « al lectaire » , j’ai besoin de ressentir les mots et leurs différences et je déteste l’idée d’un électrocardiogramme plat.
»
@Djeypee 02.04.2021 | 18h46
«Bel essai. Tant la forme que le fond soulèvent des questions.
Le fond d'abord: ouverture à une véritable compréhension du statut de "chômaire" ou poésie légère et psychologisante "sur" cette population ? George Orwell, même s'il écrit "sur" le monde ouvrier et les ravages du chômage (dans "La route du quai de Wigan"), permet de comprendre les choses sans fioritures dans une écriture puissante qui peut être qualifiée de poétique, parce qu'aux prises avec les conditions de vie. Plus proche de nous, Angélique Eggenschwiler écrit parfois des perles sur l'absurdité et le désespoir qui ont une grande force de révélation.
Il me manque dans ce texte le tragique de l'existence, c'est à dire la chair. On en reste à l'étalage un brin romantique d'états d'âmes dans un chapelet de jolies formules. Donc, pardon d'être un peu dur, mais c'est un exercice de style autour du chômage.
Pour la forme, je me suis demandé comment lire ce texte à haute voix ? Certains mots sont plus faciles et ce sont des trouvailles qu'il faudrait mettre en vigueur maintenant, comme ceux qui finissaient en "eur/eure" et qui donnent "aire": pour ceux-ci la prononciation consonne avec la trace écrite. Les "ae" sont rigolos, mais comme ils rappellent le féminin latin, ils ne sont pas assez neutres. Mais pourquoi pas ? Quant aux "x" finaux et autres "Al y a" ou "bial", "vial", je doute un peu plus. Par exemple "Il y a" est une formule dont on sait qu'elle est neutre: à la fois historiquement et aussi dans notre "mémoire commune" ou notre "inconscient collectif" (je ne sais pas comment dire autrement). Un peu comme "il pleut", "il fait froid", "il fait chaud". Pourquoi la changer juste pour la forme ? (D'autant que suivant l'accent, c'est déjà la prononciation effective !!) Une personne non-binaire, ou ni cisgenre, ou ni blanche se sent-elle offensée parce que l'on dit "il pleut ?" En voulant dire "al pleut" ne fait-on pas juste comme la tant critiquée Académie Française le fait parfois ? Le pédantisme n'est pas l'apanage du "mâle blanc quinquagénaire (et plus)".
Cela dit, je pense que l'effort d'écriture inclusive est très intéressant, mais je crois que ce qui est déterminant, c'est l'expression orale de la langue: les mots nouveaux jaillissent dans l'oralité d'abord (le verlan, par exemple), puis sont écrits ensuite. Le problème avec l'oralité, c'est qu'elle va au plus court et laisse tomber les subtilités: Andrea Marcolongo l'a bien montré pour le grec ("La langue géniale, 9 raison pour aimer le grec", Les Belles Lettres, 2018, trad. Béatrice Robert-Boissier). Donc, il (ou al) faut continuer à dire que la langue porte en elle les traces d'une domination masculine et qu'il faut la travailler pour qu'elle soit plus juste. Et voir ce que ça donne. Ou bien ?
»