Chronique / Le Roi Sollers
S 'ouvrir à la surprise de la redécouverte littéraire, artistique; changer de longueurs d’onde, prendre du champ, bref: se montrer in#actuel. Autrement dit, indocile. Une autre façon encore d’aborder l’actualité.
Achevé de lire, avec un peu de retard, Beauté, le dernier roman de Sollers. Il y a décidément un mystère Sollers, le romancier de Femmes, lu à l’époque de sa sortie, et de Paradis; l’ex-Mao, qui anima la scène littéraire après 1968 à travers sa revue Tel Quel, et aujourd’hui, L’Infini. Philippe Sollers donc.
Hormis peut-être Jean d’Ormesson, autre esprit vibrionnant comme seule la France produit depuis qu’elle est la France – Au plaisir de Dieu est tout simplement un chef-d’œuvre – je ne vois en effet pas beaucoup d’autres écrivains qui puissent se poser en rival de Sollers. Il faut le lire à propos de Nietzsche, de Casanova et de Rimbaud; il faut l’entendre parler de Dante, de Sade, de Mozart; il faut le suivre à New York et bien sûr dans son cher Venise. Avec l’île de Ré, son autre repaire – j’allais écrire repère. C’est toujours étincelant, prodigieusement cultivé. Avec cette suprême politesse pour un écrivain: faire en sorte que son lecteur, le livre refermé, se sente plus cultivé qu’il n’est.
Philippe Sollers: Beauté, un film de G.K.Galabov et Sophie Zhang © DR
Car il n’y a pas beaucoup de domaines de l’esprit dans lesquels Sollers n’ait pas quelque chose à dire. Qu’il parle du mystère de la résurrection ou du dogme de l’Assomption, c’est d’une pertinence théologique tout à fait remarquable. Et puis Sollers a toujours une découverte, une admiration, une empathie d’avance.
Comment résumer Beauté?
Sinon en reprenant tout simplement ce qu’en dit Sollers lui-même en page 4 de couverture: «Dans le chaos actuel, le narrateur de ce roman est amoureux de Lisa, une jeune pianiste grecque exceptionnelle. C’est la beauté.» Un narrateur, disons-le tout de suite, qui ressemble, comme deux gouttes d’eau entre elles, à Sollers lui-même. Ne rêve-t-il pas qu’il se promène à Bordeaux, en compagnie d’Hölderlin? Bordeaux, le chef-lieu de sa Gironde natale.
La beauté est insolente
À l’instar de la plupart de ses autres romans, mettons depuis Femmes, il n’y a pas à proprement parler ici d’intrigue. Ou alors elle se ramène à très peu. «La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens», disait Clausewitz. Eh bien, paraphrasant le penseur prussien, on pourrait dire que Sollers, de livre en livre, de roman en article et en essai, poursuit un seul et même combat. Contre la laideur, contre la haine du beau. En fin de compte, le vrai et unique sujet de ses livres.
Contrairement à tant d’écrivains d’aujourd’hui, et plus encore d’artistes «contempo», Sollers ne cesse pas en effet de célébrer la Beauté avec un B majuscule. On est loin de Duchamp et de ses laudateurs. «La vérité, écrit Sollers, est que Duchamp jouait plutôt mal aux échecs, ce que révèle sa lourde mise en scène avec une pauvre fille pétrifiée. C’est bon pour les coincés Yankees et leur colonisés "d’avant-garde". Fini ce bazar. Il y a la Beauté, mais il y a aussi la Contre-Beauté.»
Là encore on ferait bien de s’aviser de ce que nous dit Sollers. Car, en ces temps de retour de la barbarie, de destruction aveugle du patrimoine, défendre la Beauté n’est pas seulement, n’est pas d’abord affaire de goût, d’esthétique. «Il suffit de voir, écrit encore Sollers, les pantins islamistes s’acharnant sur des statues antiques. Voilà des formes qui contiennent un soleil divin insupportable, il faut donc les réduire en poussière comme si elles n’avaient jamais existé. La Contre-beauté sent la Beauté, ça la brûle. La Beauté est insolente, elle ne croit qu’à elle-même, elle insulte la loi et la foi. La Beauté est vraie, la Contre-Beauté est fausse.»
Le mystère Sollers? Nous convoquer à chaque fois au glacis où tout se joue. Résolument.
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