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Chronique

Chronique / Le réalisme positif optimisera notre passif

Jean-Louis Kuffer

22 janvier 2021

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Prenant le contrepied du catastrophisme en vogue, notamment illustré par «Le Calendrier de l’après», dernier roman dystopique de Nicolas Feuz, entre autres raisons de désespérer entretenues par la gauche perdante et la droite arrogante, Rutger Bregman parie pour les utopies réalistes en affirmant que l’humanité vaut mieux que ce qu’on croit…



Le constat remonte à la plus haute Antiquité, pour le dire à la façon débonnaire de l’excellent Alexandre Vialatte: il y a ceux qui se lamentent devant le verre à moitié vide, et ceux que réjouit au contraire le verre à moitié plein. Et après?

Cette question de l’après s’est (re)posée dès le début de la pandémie, mais l’auteur de best-sellers romands Nicolas Feuz, procureur au civil comme chacune et chacun sait, n’a pas attendu la troisième vague pour brosser, de notre avenir, le tableau le plus noir dans son dystopique Calendrier de l’après, évoquant une situation comparable à celle d'un hiver nucléaire (on pense à La Route de Cormac McCarthy en encore plus pire, la poésie métaphysique et la qualité littéraire en moins), où l’humaine engeance s’est trouvée réduite à quelques milliards d’individus à dominante féminine, survivant en deux clans mortellement opposés: les biens-pensants soumis à la Gouvernance et les inutiles voués au rebut et à l’extermination par le cube à gaz; et plus rien qui ne fonctionne après l’extinction des médias et du flux pétrolier, sauf les drones et autres tasers paralysants pour sauver un brin d’action...

Passons sur le détail décidément improbable de cette fable pour ados et public confiné en quête de frissons, pour se demander quand même, si tant est qu’il y croie une seconde, ce que veut dire notre cher procureur neuchâtelois, à vrai dire mieux inspiré quand il traitait des réalités criminelles que son métier lui a fait observer de près que dans ce roman vite fait sur le gaz?

Que la cata est irrémédiable? Que la dictature sanitaire a gagné? Que la peur seule peut nous ouvrir les yeux? Qu’un couple idéal à la love story remastérisé peut nous servir de modèle?

Et si l’humanité était moins foncièrement mauvaise?

Les hasards de ces derniers jours ont fait qu’après avoir lu Le Calendrier de l’après, et tandis que, pédalant mes 10 kilomètres quotidiens sur mon vélo d'appartement, je regardais sur Netflix les épisodes de la traque du Tueur de la nuit, j’ai poursuivi une autre lecture battant en brèche le pessimisme de la dystopie de Nicolas Feuz et du reportage consacré aux abominables méfaits de Richard Ramirez, avec deux livres qui m’ont immédiatement séduit et passionné par leur ton et leur apport documentaire, signés Rutger Bregman: à savoir le tout récent Humanité, une histoire optimiste, et l’antérieur Utopies réalistes, déjà salué par un succès mondial.

Dans son dernier livre, qui relève de la plus belle synthèse d’investigation, le jeune historien-journaliste et essayiste néerlandais défend la thèse – il faudrait plutôt dire le sentiment dominant, fondé sur des constats étayés –, que l’homme n’est un loup pour l’homme que dans certaine circonstances, et que la fameuse théorie du verni de culture recouvrant à peine une créature naturellement féroce relève plus de l’idéologie que de la réalité.

En homme de bonne volonté pragmatique plus qu’en idéologue, assez proche en cela de l’historien israélien Yuval Noah Harari, qui lui a d’ailleurs rendu le plus vif hommage, Rutger Bregman s'oppose crânement à toute une tradition spirituelle ou philosophique fondée sur le péché originel, la chute ou la défiance de principe, multipliant les exemples de fausses preuves visant à établir le naturel foncièrement mauvais de notre espèce, à partir de célèbres faits imaginés ou observés.

Ainsi prend-il le contrepied de la fable ultra-pessimiste du roman de William Golding, Sa majesté des mouches, où l’on voit un groupe d’adolescents anglais de bonne éducation retomber dans la barbarie après s’être retrouvés seuls sur une île, en citant plusieurs situations et expériences concrètes comparables qui ont abouti à des résultats beaucoup plus nuancés voire opposés.

De la même façon, à propos d’expériences faisant longtemps autorité en matière de psychologie sociale, comme le test fameux de Stanley Milgram et de sa machine à électrochocs tenant à prouver qu’un bourreau sommeille en chacun de nous, Bregman a enquêté et conclut là encore à l’interprétation abusive, voire malhonnête de plusieurs cas d'école analogues.

A la question de savoir pourquoi des gens «bien» agissent mal, qu’une Hannah Arendt avait abordée à sa façon à propos du peuple allemand, Bregman rapporte en outre de nouvelles explications, s’agissant de la guerre, selon lesquelles la plupart des soldats de la Wehrmacht n’agissaient pas par sadisme boche caractérisé mais par esprit de camaraderie, ou rappelant cette observation d’un colonel américain qui découvrit que la plupart de ses hommes ne tiraient pas quand ils le pouvaient, ou que seul l’usage à haute dose de drogues a «aidé» de braves jeunes gens à se transformer en brutes sanguinaires, à Oradour-sur Glâne ou au Vietnam.

Et de citer Rousseau, souvent moqué pour son «idéalisme» romantique, qui aura fait preuve selon lui de plus de réalisme que ses détracteurs en considérant l’invention de l’agriculture comme le moment où les cueilleurs-chasseurs, menant une vie plutôt détendue à en croire les archéologues, furent chassé de leur Eden terrestre ainsi que le raconte la Genèse biblique en son mythe originel de la Chute, etc.

Un nouveau réalisme basé sur la confiance

L’optimisme de Rutger Bregman a cela de particulier qu’il se fonde sur un réalisme rompant avec les «assises du désirable» typiques de Mai 68, marquées par les slogans des gauchistes prenant leurs aspirations pour des réalités, avant de déchanter et de déprimer, à cela s’ajoutant  que son réalisme s’oppose aussi à celui d’une droite invoquant aveuglément les Lois du Marché

Sur mon vélo d’appartement, je me rappelle les bons conseils du cycliste Albert Einstein traversant la campagne argovienne et découvrant en pédalant que la pratique précède la théorie.

Or, c’est également en pédalant sur mon engin, devant mon laptop connecté à Netflix ou à la chaîne européenne ARTE, que j’aurai multipliés ces derniers temps mes observations de septuagénaire cancéreux en rémission et de cardiopathe aux muscles flagadas, relatives à la férocité monstrueuse de certains individus maltraités en leur enfance (le tueur de la nuit Ramirez), le ressentiment social légitime fondé sur l’injustice aboutissant à une violence illégitime (un reportage consacré au jeune Suédois infiltré dans les mouvements néo-nazis anglais et américains) ou l’envie primaire surexcitée par l’étalage obscène des scènes de la vie des milliardaires (le non moins édifiant Empire du bling), entre autres illustrations de l’imbécillité humaine (le verre vide ) à quoi s’oppose le verre plein de la bonne volonté auquel se fie le gentil Rutger Bregman ─ et ce mot magique de confiance m’est venu ce dernier lundi en apprenant que la veille, par temps radieux et confiance excessive en leurs forces, quatre gamins ont été emportés par une avalanche dans la montagne que je vois par la fenêtre en pédalant en tout sécurité…

Donc la confiance, me disais-je en repensant au livre de Rutger Bregman parlant pratique avant toute théorie, sous le titre d’Utopies réalistes, serait la clef du pacte humain: la confiance en l’ingéniosité et la bienveillance humaines, mais assortie à la prudence (en cas de risques d’avalanche, gamin, tu fais gaffe) et au respect mutuel fondant la relation humaine, etc.

Je ne sais pas si Rutger Bregman, moins «idéaliste» que les idéologues gauchistes de bonne volonté à la manière de mon ami Jean Ziegler ou de Noam Chomsky et de la très verte Naomi Klein, a raison de faire confiance en ses semblables en se posant, notamment, en champion du revenu de base universel, multipliant à foison les exemples d’applications réussies de celui-ci, mais ce que je sais est que son propos, clair et captivant, fait du bien, non du tout en dorant la pilule mais en exposant des faits têtus, intéressants et encourageants, à l’opposé de tant de jérémiades et de rancœurs stériles qui nous asphyxient par les temps qui courent...


Nicolas Feuz, Le Calendrier de l’après. Slatkine, 2020.

Rutger Bregman, Humanité  une histoire optimiste. Seuil, 2020.

Utopies réalistes, pour en finir avec la pauvreté. Seuil, 2017, réédité en Points seuil.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

4 Commentaires

@patrickc 24.01.2021 | 09h46

«Cher Jean-Louis, merci pour cette chronique hilarante et bienfaisante (j'ose à peine t'imaginer pédalant transpirant hoquetant sur ton vélo d'appartement (MDR))... Porte-toi bien et continue encore longtemps à nous réjouir de ta prose vivace, féroce et bienfaisante, Patrick Clémençon»


@Marianne W. 24.01.2021 | 18h08

«Merci cher Jean-Louis pour cette chronique raisonnablement optimiste, et pour l'évocation du vélo d'appartement où tu moulines consciencieusement.... Pour ma part, je dois avouer que mon vélo d'appartement ne m'inspire aucune envie de pédaler, et que ton récit ne m'y incite pas davantage. Honte à moi, bravo à toi, écrivain de mon coeur !»


@Sidonie 30.01.2021 | 09h13

«Une petite remarque pour souligner que, ces gamins pris sous l’avalanche ont fait une connerie gigantesque, sous l’emprise d’une confiance excessive comme vous le dites si bien... Mais dans le climat délétère actuel, bien que cela m’ait bouleversé, j’ai aussi ressenti et ressens toujours un «vive la vie ».»


@JLK 07.02.2021 | 22h51

«Grand merci à Marianne, Sidonie (il y a encore des Sidonie au monde, rien n'est perdu !) et Patrick pour leurs commentaires sympathiques. Ce qui est bon pour la tête l'est aussi pour le coeur et c'est pourquoi ce média nous est précieux en période d'atomisation aggravée... »


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