Chronique / Le cousin de Godzilla
Un billet d’humeur pour sourire de nos délires à l’ère de l’obsession alimentaire. Anna Décosterd est auteure du blog culinaire My Sweet Mouette et photographe culinaire autodidacte.
«Godzilla est un poulet». Voici ce que j’ai pensé avec un certain effarement en regardant le téléjournal de France 2 le 9 janvier 2020. Pour ceux qui ne le sauraient pas, petite explication: Godzilla est un monstre (à l’origine japonais, mais actuellement surtout américain), issu d’un croisement entre le gorille et la baleine et frappé de gigantisme pour cause d’explosion nucléaire. Héros récurrent des films pop-corn américains, ce pauvre gros lézard surgit toujours au milieu d’une grande ville, s’étant égaré depuis les profondeurs sous-marines. Pataud, bête et énervé, il court dans les rues et casse tout sur son passage, parce qu’il est trop gros pour passer entre les maisons. Un héros plein de muscles et à la tête bien pleine finit toujours par avoir sa peau.
Bon, moi Godzilla, je n’y croyais pas trop, jusqu’à ce que je comprenne qu’il a un cousin: le poulet. De batterie pour être précis. Peur sur la ville…Vous ne me croyez pas? Lisez ces quelques lignes et on en reparle, de Godzilla.
Dans le reportage du JT, intitulé «le syndrome de la viande spaghetti», je découvre un poulet si énorme qu’il ne tient plus sur ses pattes déformées, l’œil fou et le désespoir patent, enfermé dans une cage. Malheureusement pour lui, aucune irradiation en vue, il est simplement le résultat de manipulations génétiques visant à le rendre grand et gras. Pas assez grand cependant pour se venger en détruisant une bonne partie de New York. Dommage…
Mais la vengeance est un plat qui se mange gras, pardon froid. C’est donc post mortem que notre poulet tient sa revanche: sa viande, manquant d’oxygène et de nutriments, contient trop de graisse et se défait en longs filaments, un peu comme des spaghettis (en beaucoup moins joli). Ce n’est pas mauvais pour la santé, nous rassure le monde scientifique. Ben non, c’est juste mauvais tout court. Une viande insipide, sèche et en même temps trop grasse, qui présente mal en filets. Où la retrouvera-t-on si elle est vraiment trop vilaine? Dans les plats préparés. «Bon appétit les amis!» disait fort à propos Uncle Ben, le gentil papy qui dégustait de splendides currys en barquette, entouré de toute sa famille, dans les publicités de mon enfance. (Barquettes accompagnées du fameux riz qui ne colle jamais et qui porte son nom).
Tant de cruauté envers les animaux est révoltant, c’est entendu. La question que je me pose est plutôt d’un autre ordre: à quoi ça sert d’avoir des blancs de poulet plus gros? Si l’on a très faim, ne pourrait-on pas tout simplement en manger deux? Et moins prosaïquement: ne serait-ce pas justement le manque de goût, de plaisir, de bonheur à cuisiner une délicieuse volaille qui nous donnerait cette faim insatiable?
Bien sûr, personnellement, j’ai choisi. Tout d’abord, parce que toute cette souffrance animale m’est intolérable. Ensuite, parce que j’aime manger. Non pas «fournir à mon corps tous les éléments dont il a besoin». Manger. Cuisiner, assaisonner, mitonner, mijoter, partager. Fondre de bonheur devant un tajine parfumé ou un poulet rôti bien doré. De nombreux éleveurs, en Suisse, vous proposent de la viande de qualité, élevée dans la dignité. Ils se battent pour survivre face aux cousins de Godzilla. Si vous avez besoin d’adresses, écrivez-moi.
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