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Chronique

Chronique / La cage aux phobes


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Louise Anne Bouchard est écrivain, scénariste, photographe. D'origine québécoise, elle vit depuis près de vingt ans sur les bords du Léman.




Pour des raisons de sécurité, les organisateurs du festival Lausan’Noir ont préféré annuler la venue du dessinateur Marsault. On n’en saura pas plus. Je ne connaissais pas le bédéiste, je ne savais rien de lui, je ne suis pas spécialement fan de BD. Un petit tour sur la toile et sur sa page Facebook pour me renseigner. Un jeune trentenaire, crâne rasé et barbichette, le cou et les épaules tatoués (parce que visiblement il aime bien donner des interview en marcel) qui travaille douze heures par jour, dans sa campagne et sur ses planches. Je regarde ses dessins, j’aime moyennement, des goûts et des couleurs comme on dit. J’apprends que pendant des années les maisons d’édition ont refusé ses planches, puis un jour il décide de les balancer sur la toile et là, succès. Des milliers d’abonnés et de commentaires sur sa page. En interview Marsault s’exprime bien, est calme, ne jure pas, est poli et courtois, ne coupe jamais la parole. On le dit d’extrême droite, ce dont il se défend. Marsault a la particularité (on le souligne partout) de tirer sur tout: les riches, les pauvres, les hommes, les femmes, les politiciens, les homosexuels, les maigres, les gros, tout le monde. Parce qu’il croit à la liberté d’expression et qu’il considère que l’on va de plus en plus vers un monde qu’il appelle «cage aux phobes». Et là, Marsault me parle plus que ses dessins.

Vous n’aimez pas le kebab? Cela va de soit, connotation identitaire et vous êtes islamophobe. Vous connaissez toute l’œuvre du cinéaste espagnol Almodovar mais n’aimez pas son dernier film? Homophobe. Vous trouvez qu’Omar Sy s’énerve pour peu et qu’il devrait ignorer Zemmour? Raciste. Caitlyn Jenner vous pompe l’air avec ses disputes familiales et ses révélations? Transphobe. Vous n’aimez pas vous retrouvez seul dans le désert?  Agoraphobe, c’est hors sujet mais je suis énervée. Juste que, ça commence à bien faire. Ces insultes  souvent gratuites (l’arsenal du pauvre) sont passibles de plainte pénale: à vous de vous en défendre, en hurlant au scandale ou en haussant les épaules. Et là, je l’aime bien Marsault, rien que pour sa cage aux phobes.

On va vers le beau

Je m’ennuie de la liberté de Desproges, de Cavanna, de Coluche, de l’insolence de Louis de Funès dans Rabbi Jacob. J’aimerai toujours Mathilda et Léon pour leur pure histoire d’amour. Je continuerai d’apprécier le génie d’Audiard même lorsque vous aurez découvert que c’est peut-être un salaud. Aujourd’hui Desproges serait en prison avec Coluche. On aurait lancé des pierres sur la voiture de Louis de Funès, on aurait mis le feu dans sa loge si ce petit con génial était resté un peu plus longtemps. D’un côté on assiste et on encourage la «liberté de parole» sur les réseaux sociaux et ailleurs, mais jamais on a autant sanctionné le moindre mot. La définition de la folie pour Freud, c’est lorsqu’un individu doit répondre à deux ordres à la fois. On va vers le beau.  

Marsault ne viendra donc pas nous donner sa version de «cage aux phobes» au festival Lausan’Noir. Mais ils seront plusieurs serial killers virtuels à venir vous expliquer leur fascination pour le polar, le thriller psychologique ou le roman noir. Ces auteurs aiment faire couler de l’hémoglobine. Ils adorent les intrigues, le dépeçage en règle, la tuerie de masse, l’espionnage, les meurtriers et les victimes, le sordide, sur papier. Pour en avoir rencontré plusieurs, ces auteurs ont souvent un sens de l’humour dévastateur. Ils valent le détour et la rencontre. Et polarophobe, un jour proche, qui sait si ce ne sera pas punissable?


Lausan'Noir

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