Chronique / Entre ciel, terre et eau
S'ouvrir à la surprise de la redécouverte littéraire, artistique; changer de longueurs d’onde, prendre du champ, bref: se montrer in#actuel. Autrement dit, indocile. Une autre façon encore d’aborder l’actualité.
C’est Maurice Chappaz qui parle de «Romandie bleue» à propos du Léman et de Lavaux. Certainement parmi les sites qui ont le plus retenu les peintres, des plus illustres, Bocion, Courbet, Hodler, à la foule des anonymes.
Cette «armée des peintres de vue» qui ne se lassent pas, comme le relève Paul Budry, de reproduire le «site catalogué du cirque de Chillon, l’un des plus beaux et des plus piétinés au monde.» Mais les écrivains ne sont pas en reste, qui se sont pris de passion pour ce coin de terre, de ciel et d’eau. Et je ne parle pas seulement de ceux, pour ne citer que les étrangers, qui y ont habité, les Romain Rolland, Paul Morand, Graham Green, ou qui ont pris pour pseudonyme le nom de l’un de ces bourgs dont Lavaux déroule la chatoyante guirlande, Alice Rivaz, Suzanne Deriex, Jacques Chardonne. Il y a tous les autres, et ils sont nombreux, qui l’ont chanté, l’ont célébré ainsi qu’on le découvre dans l’anthologie qui vient de paraître, prochaine Fête des Vignerons oblige, Vevey et Lavaux vus par les écrivains. Un riche bouquet composé par Michel Moret et illustré de portraits dessinés, plutôt bienvenus, de Claudio Fedrigo.
Suzanne Deriez, dessin de Claudio Fedrigo © L’Aire
Oh! bien sûr, parmi les auteurs retenus, quelques-uns le sont davantage en raison de leur notoriété que pour leurs liens réels avec ce morceau de pays. Ainsi François Mitterrand qui, dans une lettre à Anne Pingeot, mentionne Vevey au détour seulement d’une phrase. Ou encore Thomas Mann, qui, dans son Journal, ne rapporte de son séjour veveysan que sa visite à Charlie Chaplin. Il y a d’autres exemples encore. Mais l’essentiel n’est pas là.
Cette magnifique émeraude du Léman enchâssée dans les montagnes de neige.
Catherine Mansfield, dessin de Claudio Fedrigo © L’Aire
Ce qui fait le prix de ce florilège, c’est sa diversité à l’image de ce paysage jamais le même, toujours changeant dans ce qu’il faut bien appeler son éternité de nature. Car tous ou presque ont été touchés au cœur. A commencer par le plus grand, Victor Hugo: «J’ai devant moi un ciel d’été, le soleil des coteaux couverts de vignes mûres, et cette magnifique émeraude du Léman enchâssée dans les montagnes de neige comme dans une orfèvrerie d’argent.» Même René Auberjonois, aussi peu sympathique que sa peinture, austère, tellement surfaite, après s’en être pris à ceux qui critiquent sa décoration du Dézaley, ravale son aigreur lorsqu’il dessine dans les rochers de Rivaz et peut alors écrire dans son Journal, «Le temps s’y prêtait, une journée de septembre chaude et lumineuse.»
Stéphane Bovon, dessin de Claudio Fedrigo © L’Aire
Parce qu’il l’a beaucoup pratiqué, ses airs changeants, ses soudaines colères, celui qui parle en familier du lac, c’est André Guex. Notamment dans De l’eau, du vent, des pierres dont sont tirées les pages dans lesquelles il détaille les différents vents propres au Léman. Toute une partie de la présente anthologie est d’ailleurs réservée aux «Amoureux du Lac», à côté de «Vevey cœur et âme», la partie la plus importante, et «Merveilleux Lavaux», sans oublier évidemment «Vignerons en fête», le volume paraissant, je l’ai dit, dans la perspective de la prochaine Fête des Vignerons.
Paul Morand, dessin de Claudio Fedrigo © L’Aire
Impossible naturellement de citer ici tous les écrivains et écrivaines, près de quatre-vingts, conviés à cette fête lémanique. Aux côtés des Romands déjà cité, mentionnons encore Madame de Warens, C.-F. Ramuz, dont plusieurs pages de Passage du poète sont reprises ici, Jacques Chessex avec un extrait du Portrait des Vaudois, Gonzague de Reynold, Jean-Luc Benoziglio, qui, dans son succulent roman Louis Capet, suite et fin, plutôt que laisser guillotiner Louis XVI l’exile en Lavaux, et parmi les contemporains, Xochitl Borel, Stéphane Bovon. Et puis il y a les auteurs anglais, américains, russes, dont Nicolas Gogol, qui rédigea une partie de ses Ames mortes à Vevey; les Français – les plus nombreux: Anna de Noailles, André Maurois et bien sûr Maurice Denuzière et Paul Morand. Morand, on ne le sait pas toujours, préfaça en 1955 un ouvrage consacré à la Fête des Vignerons et fut fait bourgeois d’honneur de Vevey quelques mois avant sa mort en 1976. Quant à Denuzière, il fit de longs séjours à l’hôtel des Trois Couronnes à Vevey. Il en sortit sa série à succès Helvétie. «L’automne, écrit-il dans l’un des plus beaux textes de toute l’anthologie, m’a fait connaître les convois de la vendange et la dégustation dans les caveaux des vignerons. L’hiver, quand souffle la bise noire et que les tabassées de neige descendent au lac, comme disent les Vaudois, j’ai vécu des heures passionnantes en fouillant dans le riche fonds ancien de la bibliothèque municipale. Mais, c’est au printemps, quand le souffle tiède de la vaudaire fait oublier l’hiver, que Vevey retrouve sa lumière et ses couleurs. La neige n’est plus alors, sur les sommets alpins, qu’un bonnet de coton, tricoté par les vents d’altitude.»
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