Analyse / «Mussolini a aussi fait de bonnes choses…» Vraiment?
Attention! Mussolini a aussi fait de bonnes choses…» L’expression n’est pas rare en Italie. Elle l’est d’autant moins que de nombreux Italiens se montrent nostalgiques du Duce. Et il n'y a pas qu'en Italie qu'un certain nombre de personnes rêve de fascisme. Ah! L’ordre, la discipline, la grandeur! C’est tout ce dont on aurait besoin en ces temps de troubles. Quoique…
L’historien Franceso Filippi, expert du fascisme, s’émeut du fait que de nombreux Italiens se montrent aujourd'hui nostalgiques du Duce. Il démonte une à une toutes les contre-vérités qui circulent sur Mussolini et sur le fascisme dans son essai Y a-t-il de bons dictateurs ? Mussolini, une amnésie historique. Mussolini, un homme du peuple. Un dirigeant à la fibre sociale, mais oui! Un ancien combattant. Un grand orateur. Les fascistes, avec leurs uniformes, leurs parades et tout le bling-bling en bottes et chemise noires avaient quand même de la gueule. Le fascisme a sans doute été violent, mais au moins il a fait régner. N’est-ce pas? Filippi se bat justement contre ce type de discours. Non, Mussolini ne fut pas ce dictateur gentil gentil.
L’Italie n’a pas fait son examen de conscience sur sa période fasciste. Le nazisme a été plus lourd de conséquences que le fascisme italien. Mais au moins en Allemagne, le nazisme a été éradiqué. En Italie, le fascisme est toujours présent dans les fantasmes de nombreux citoyens. En Allemagne, on ne peut pas acheter de buste d’Hitler. En Italie, bustes, statues ou portraits de Mussolini se vendent avec bonhomie.
«Un mensonge répété cent, mille, un million de fois deviendra vérité.» Joseph Goebbels
Mussolini: l’homme derrière le nom
Benito Mussolini est issu de la petite bourgeoisie. Il fait ses études dans un collège catholique, où les inégalités le révoltent. Elément déclencheur de son adhésion aux idées révolutionnaires qui foisonnent à la fin du XIXe siècle. Puis il devient enseignant. Mais pas pour longtemps. Il est trop enclin aux scandales en tout genre. Notamment une liaison avec une jeune mère de famille dont le mari était mobilisé à l’armée. Quand on pense ensuite à ses beaux discours sur l’armée et sur la famille, on se dit que le bonhomme a déjà mal commencé en matière de cohérence. Licencié, Mussolini s’oriente alors vers le journalisme et devient membre du Parti socialiste. Dès qu’il convoqué pour faire son service militaire, il déserte, et émigre en Suisse. Il y rencontre des esprits révolutionnaires. Il y étudie la pensée de Nietzsche, qui se révèlera par la suite constitutive de l’idéologie fasciste.
De retour en Italie, Mussolini poursuit ses activités de militant politique socialiste et de journaliste. Mais il se radicalise. Il veut, contre l’avis de ses camarades politiques, que l’Italie entre en guerre. Il est alors écarté du parti socialiste, écarté de son journal. S’engage dans l’armée en 1915. Blessé, il revient au journalisme. Développe ses projets politiques, et fonde le Parti national fasciste. Chef de parti politique, oui, et surtout chef d’une milice violente et illégitime. Mais l’Italie est en crise, et bien sûr en temps de crise tout est permis…
Dès lors, tout va aller très vite. Mussolini réussit à obtenir le soutien d’une bonne part des officiers de l’armée et de grands industriels. Le roi Victor-Emmanuel III le nomme alors président du Conseil des ministres. De 1922 à 1925, Mussolini s’arroge progressivement les pleins pouvoirs. Pour devenir ensuite pendant près de vingt ans le Duce.
Ce qu'est le fascisme
Le fascisme, ça commence par un chef, auquel un culte doit être voué. Qui dit fascisme dit donc autoritarisme et parti unique.
Le fascisme, c’est exiger d’un peuple qu’il vive pour la nation. Qui dit fascisme dit nationalisme.
Le fascisme, c’est une conception de l’homme en tant que guerrier. Qui dit fascisme dit donc aussi militarisme.
Le fascisme, c’est l’assénement de messages clairs et simples au peuple. Qui dit fascisme dit aussi propagandisme.
Le fascisme, c’est un système de races hiérarchisées. Qui dit fascisme dit aussi racisme.
Le fascisme, c’est encore le contre-pied de l’esprit des Lumières: pas de liberté individuelle. En cela, le fascisme est donc à la fois un anti-individualisme, un antilibéralisme, un antirationalisme et un anti-intellectualisme.
Le fascisme veut enfin englober toutes les dimensions de la vie du citoyen. En cela il est un totalitarisme.
Fantasmes sur la politique: aménagement du territoire, économie et justice
Les contre-vérités sur le fascisme sont tenaces. D’autant plus qu’elles ne circulent pas que sur les réseaux sociaux. En 2019, alors qu’il était président du Parlement européen, le député Antonio Tajani avait déclaré qu’«il faut être honnête, Mussolini a fait des routes, des ponts, des bâtiments, des installations sportives, il a réaménagé tant de parties de notre Italie.»
Evidemment que sous Mussolini des infrastructures ont été construites. Mais il faut préciser deux choses: Mussolini n’est pas l’inventeur des autoroutes italiennes, car les chantiers ont commencé avant 1922, donc avant son accession au pouvoir. Et le réseau autoroutier ne s’est développé massivement qu’à partir des années 50. Le Duce s’est approprié à des fins de propagande ce qui a été entrepris par d’autres.
Et l’aménagement du territoire? Ç’aurait été la prouesse des fascistes. Chiffres à l’appui, l’historien Filippi démontre que c’est faux. Notamment concernant l’assainissement des marais. En 1923, le parti se donne dix ans pour assainir 8 millions d’hectares de terres. En 1933, le parti déclare que seuls 4 millions d’hectares ont pu être assainis. Mensonge car en réalité, il ne s’agissait que de 2 millions d’hectares. Et sur ces 2 millions, devinez quoi, 1,5 millions d’hectares avaient été assainis avant 1922, avant l’ère fasciste.
L’économie? Filippi parle simple, il parle bien: «Actuellement, le revenu moyen d’un Italien représente environ 90% de celui d’un Français; dans les années 1930, il ne correspondait qu’à 33% de celui d’un Français et à moins de 20% de celui d’un Anglais. Tout cela sans parler du fait que dans ces deux pays, outre le fait qu’il y avait du café et du tabac dans les rayons des magasins, les habitants disposaient des libertés civiles, du droit de vote, de grève, et de celui de manifester.»
Niveau justice, qu’en est-il? Mussolini a été corrompu avant même qu’il ne fonde le parti fasciste. En 1915, des industriels de l’armement lui ont graissé la main pour le pousser à convaincre ses amis socialistes d’entrer en guerre. Il est aussi impliqué dans l’assassinat en 1924 du député socialiste Matteotti. Ce dernier aurait dû lire devant l’assemblée un rapport démontrant les liens de corruption entre le parti des chemises noires et de grandes industries. Le député a été liquidé, le rapport avec.
Fantasmes sur l’homme: un guide vers la grandeur, un dictateur au grand cœur
Malgré ses erreurs, Mussolini n’a-t-il pas tout de même porté haut l’honneur des Italiens? Non, pas du tout. L’Italie a été moquée dans ses entreprises militaires et diplomatiques. Mussolini a humilié l’armée italienne en l’envoyant au casse-pipe avec des officiers incompétents, sans équipement adéquat. Espagne, Albanie, Grèce, Lybie furent autant de campagnes perdues et inutiles. Sans parler de la colonie somalienne. Alors qu’elle fonctionnait plutôt bien avant l’arrivée des fascistes, elle fut mise à feu et à sang dès leur arrivée. Chaos criminel, chaos pour rien.
Mais le pire, c’est le cas éthiopien.
1935, le Duce décide d’envahir l’Ethiopie. Le manque de préparation des soldats a été compensé par un sureffectif d’hommes et d’armement. Pendant sept mois, l’armée a provoqué un carnage: elle a semé la terreur, elle a usé d’armes chimiques. D’ailleurs, pour la première fois dans l’histoire, des camps de la Croix Rouge ont été bombardés. L’Italie s’est déshonorée. Pas de guide vers la grandeur, mais un guide vers la honte.
Et le dictateur au grand cœur? Certes, à côté d’Adolf Hitler il passe pour un gentil. Sans doute était-il plus raisonnable. Pourtant, si les lois raciales fascistes ne s’officialisent qu’à partir de 1938, donc sous l’influence d’Hitler, le Duce usait d’un raisonnement raciste bien avant sa rencontre avec le Führer. Et a fait déporter au total 40'000 Juifs.
Mais au moins, le Duce aimait-il son peuple, ce peuple de la «race latine»? Je ne suis pas là pour sonder ni les reins ni les cœurs, ni encore moins les âmes, mais pas sûr qu’il aimait vraiment son peuple. Et même s’il l’aimait, comme Hitler pouvait aimer les Allemands et Staline les Russes, cet amour n’a pas grande valeur.
Il faut voir aussi comment Mussolini considérait les Italiens. Il voulait métamorphoser la race: ce peuple enamouré de dolce vita devait s’endurcir. Comment? Par la discipline et par la guerre, question de «retremper la race». Mais le premier à s’en décourager fut le Duce lui-même: «la race italienne est une race de moutons. Dix-huit années n’ont pas suffi à la transformer, il en faudrait 180, voire même peut-être 180 siècles», autant dire jamais. Et il faut voir aussi tout le bien qu’il souhaitait à ses soldats: «Cette neige et ce froid, c’est parfait; comme ça ces demi-portions [les soldats italiens] devraient en mourir et cette médiocre race italienne s’améliorer.» Donc, niveau grand cœur, on a connu mieux.
«Plus jamais ça»
Bilan de l’affaire: il temps d’éradiquer une bonne fois pour toutes ces fantasmes sur Mussolini et sur le fascisme. Eradiquer sans pourtant renier. L’Italie doit assumer les vingt ans de son histoire fasciste, pour qu’elle puisse enfin effectuer son examen de conscience. Le fascisme a été un échec. Le fascisme est contre-nature. En privant le citoyen de sa liberté individuelle, en prônant la violence comme valeur suprême, il a blessé la nature même de l’homme. En ce sens, ce système politique est ce que l’on peut appeler un crime contre l’humanité.
Et avec ça? Eviter absolument que tout cela ne se reproduise. «Plus jamais ça», brandit-on parfois. L’expression, lorsqu’elle n’est que slogan, est vaine, dans le meilleur des cas. Au pire, elle est contre-productive. A force de slogans primaires, le peuple va finir par se dire que l’antifascisme n’est en fait qu’une idéologie porteuse de désordre. Qu’elle déconstruit les institutions et les valeurs. Qu’elle détruit son identité. Et par conséquent il va rêver à un retour du fascisme. Un fascisme qui nous guette, qui n’est jamais si loin. Même s’il n’est pas revêtu d’une chemise noire. Seuls la vérité historique, le consensus politique et l’équilibre social nous en préserveront.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Lagom 04.11.2020 | 12h23
«Tous ceux qui ont lu 2 ou 3 livres savent que le totalitarisme n'est pas bon. Le drame est qu'il est utilisé comme preuve pour faire la démonstration que le système en Europe occidental est aujourd'hui mille fois meilleure. Meilleur certes, mais pas tant que ça.
Depuis les années 80, pratiquement tous les pays occidentaux ont fait venir des chevaux de Troie de tous les pays misérables d'Afrique et du Proche-Orient, même la Suède lointaines et froide ne l'a pas échappée. Nous voilà actuellement en guerre contre ces gens-là après les avoirs nourris, soignées, éduqués, pourquoi? Ces mêmes dirigeants ont décidé d'accepter la Chine dans l'OMC comme pays du tiers-monde qui a le droit de nous exporter ce qu'elle veut, dans de bonnes conditions, et fermer son marché à sa guise, pourquoi?.
Ils ont fermé les usines en Europe pour grossir le nombre de chômeurs et ruiner les finances publiques, et de transférer la technologie aux asiatiques usine du monde) sans contrepartie, pourquoi?
Je défie quiconque de m'expliquer, personne ne connaît les motivations de nos dirigeants, personne ne sait où ils nous amènent, au point que des fanatiques verts risquent de nous diriger (car on a peur de l'extrême droite) avec un seul plan sérieux, qui se résume à nous appauvrir pour sauver la planète.»