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Analyse / Les dangers du développement personnel et de la spiritualité contemporaine


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Nous sommes tous amenés un jour ou l’autre à nous poser des questions existentielles telles que: «Qui suis-je? Quel sens a ma vie?» Pour la plupart, nous souhaitons aussi être soulagés de nos maux et apporter plus d’harmonie et de bonheur dans notre quotidien. La spiritualité et le développement personnel peuvent y pourvoir dans une certaine mesure. A l’inverse, ils peuvent être démobilisateurs, destructeurs et aggraver notre situation, et c’est ce que je vais mettre en lumière.



Anne-Marie Moreira, sophrologue


Depuis quelques années, j’observe un engouement croissant pour la spiritualité et le développement personnel. Dans mon cadre professionnel, je suis de plus en plus confrontée, lors des consultations, à des personnes prises au piège par ce mouvement et subissant des dommages collatéraux. Je fais, également, le même constat dans ma vie personnelle, jusqu’à parfois des abus de faiblesse. Toutes ces raisons m’ont poussée à prendre l’initiative de partager ce que j’ai pu observer. Une démarche contre-intuitive et à contre-courant, car c’est l’omerta lorsqu’il s’agit d’aborder les choses sous cet angle et pourtant il me semble essentiel d’ouvrir le débat. 

Dans un premier temps, posons les bases. Quelles sont les origines de la spiritualité contemporaine et du développement personnel? La spiritualité contemporaine tire son origine de la spiritualité New Age, un courant de pensée ésotérique né, à la fin du XIXème siècle, aux Etats-Unis. Le fondement de cette idéologie est de dire que: nos pensées créent notre réalité; nous faisons partie, en tant qu’humains, de l’univers; l’univers est nous; nous sommes une parcelle de la conscience universelle; que nous sommes « Dieu» en quelque sorte; que nous avons un potentiel divin que nous pouvons développer et révéler; nous sommes omnipotents, clairvoyants et des personnes pouvant soigner et guérir; plus nous sommes éveillés plus nous allons avoir un niveau énergétique élevé et avoir une vision qui dépasse les limites du matériel.   

Dans les années 60 et 70, les hippies se sont approprié ce courant de pensée, la promesse du nouvel âge, l’ère du Verseau qui va bouleverser la planète, lequel connait un regain d’intérêt depuis une quinzaine d’années. Dans l’évolution de cette spiritualité, l’ensemble de ces croyances sont issues du christianisme, du channeling, de l’astrologie, du mysticisme quantique, de la pseudoscience, la théosophie, la psychologie transpersonnelle, la psychanalyse Jungienne, l’anthroposophie de Rudolf Steiner, l’ésotérisme, des thérapies psychocorporelles, des influences orientales telles que l’hindouisme, le bouddhisme, le taoïsme... ainsi que le chamanisme.  

Le développement personnel a vu le jour dans les années 60, il est issu du même courant en associant traditions ancestrales et pseudoscience. Aujourd’hui, je résumerais cela à un «fourre-tout». 

Paradoxalement, la spiritualité contemporaine et certains courants de développement personnel se défendent d’être dogmatiques, nous pouvons constater que c’est pourtant bien le cas. Autres paradoxes, ils proclament la libération des croyances tandis qu’ils en sont truffés. La plus prégnante, et qui va être le sujet de cet article, «nos pensées créent notre réalité», ce que l’on nomme la loi d’attraction. Nos pensées envoient une énergie à l’univers et l’univers nous la renvoie. J’ai une pensée positive, je vais attirer à moi des évènements positifs; j’ai une pensée négative, je vais attirer à moi des évènements négatifs. Or, cette croyance a des effets pervers et délétères. 

Par instinct de survie, nous sommes programmés pour nous projeter plus négativement que positivement, nous avons tout intérêt à nous prémunir d’un éventuel danger, le retour à la raison permettra d’apporter un équilibre. Toujours penser positivement est contre nature, c’est une vraie gymnastique de l’esprit voire une torture, mais, surtout, c’est se mettre dans des situations à risque.

Une «attitude» positive permettra, effectivement, d’ouvrir plus facilement les portes. Si je me rends à un entretien d’embauche avec le sourire il y a plus de probabilité que j’obtienne le poste que si je suis d’humeur maussade. Cependant, il y a fort à parier que j’échoue si je me contente de formuler ma demande de succès à l’univers sans préparer mon entretien en amont. L’univers répond à mes demandes, j’élabore un plan de vie, une nouvelle maison, rencontrer l’amour, l’abondance financière, un nouveau travail… et j’attends! Certains de ces croyants ne se mettent plus en action ou se fourvoient.

Nous sommes donc créateurs et responsables à 100% de ce qui nous arrive. Responsables de notre maladie, d’un accident, de la perte d’un emploi, d’un abus… C’est la double peine, non seulement je vis une épreuve difficile mais en plus je culpabilise de l’avoir créée. Etant donné que la culpabilité est une énergie négative, à cela s’ajoute la culpabilité de culpabiliser, c’est un cercle vicieux. Et, dans le cas d’abus, étant responsable, je n’oserai pas le dénoncer. D’autres vivront dans la terreur permanente de potentiellement créer des évènements dramatiques en ayant eu des pensées négatives.

Penser positif implique également de parler positivement. Il est arrivé qu’on me le fasse remarquer et que l’on me demande de ne pas aborder certains sujets considérés comme négatifs. En tant qu’interlocutrice, je suis coupée de ma spontanéité, dans le contrôle de chaque mot que je formule. Pour celui qui nourrit cette croyance, il s’empêche d’évoluer et d’acquérir de nouvelles connaissances, il n’y a plus de place pour le débat, pour les échanges d’idées et la transmission de savoir. Certains se coupent même de leur entourage qu’ils considèrent comme négatif. Des études menées sur des affirmations positives montrent qu’elles ont l’effet inverse sur les personnes ayant une mauvaise image d’elles-mêmes. Demander à un dépressif d’arrêter de broyer du noir ou lui dire de voir les choses positivement est la pire chose à faire. 

Dans le cas où l’univers n’a pas répondu à leur demande, j’entends parfois «l’univers en a décidé autrement» comme s’ils s’en remettaient à Dieu. Exemple du cas concret d’une thérapeute émettant cette conclusion faute de ne pas avoir suffisamment de participants à un atelier qu’elle a organisé. Aucune remise en question sur sa méthode de communication, l’intérêt que suscite ou non le thème de son atelier chez le grand public, l’offre et la demande… Aucun moyen d’évolution. 

Toujours dans le cas où la demande n’aboutit pas, il n’y aura pas plus de remise en question de leur croyance. Ils se rassureront en pensant qu’ils n’ont pas formulé clairement leur demande à l’univers, qu’ils n’étaient pas suffisamment alignés, qu’il y a un sens caché et qu’alors quelque chose de mieux émergera. 

Pour confirmer leur croyance, ils parleront de synchronicité et diront que l’univers leur envoie des signes, comme: «une feuille morte en forme de cœur sur mon chemin pédestre me confirme que l’homme ou la femme rencontré(e) hier est mon âme sœur; j’hésitais à changer de carrière professionnelle, je me suis blessée en allant au travail, c’était un signe qu’il fallait que je change; j’ai envie de partir en vacances en Polynésie, hier mon voisin m’a présenté un Polynésien, ça confirme mon choix!» Et j’en passe … 

D’une part, nous sommes dans l’interprétation, d’autre part, c’est nier que notre attention se porte bien souvent sur ce qui nous préoccupe ou sur nos besoins du moment. C’est également réconfortant de savoir que l’univers nous aide.

Pour terminer cet article, j’ajouterais que c’est une croyance de privilégié. Demander à un enfant soldat en Centrafrique ou à une femme afghane de penser positivement, pour que leur situation s’arrange, serait totalement illusoire et déplacé. Tout ne dépend pas de nous. Faire porter toute la responsabilité à une personne sans prendre en considération son environnement est un leurre et de surcroît culpabilisant.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

6 Commentaires

@moncoach 14.04.2023 | 12h37

«Merci pour cet article qui remet l'église au milieu du village, si j'ose cette expression désuète...
En citant bien entendu la source et l'autrice, j'aimerais - si vous m'y autorisez - diffuser ce texte auprès des participants à mes formations, notamment dans le programme "La Sagesse de l'Ennéagramme", destiné aux coaches, thérapeutes et consultants.
Le bon accompagnement consiste à aider l'autre à clarifier ses croyances, ses illusions et ses ressentis émotionnels afin de le ramener au factuel et à sa capacité propre à décider de sa vie: "Ne donne pas le poisson, enseigne à pêcher".
Plutôt que la pensée magique, je préfère "Aide-toi, le ciel - l'Univers! - t'aidera".
»


@GFTH68 14.04.2023 | 17h00

«Un article important!

Voici une anecdote: après le décès d'un proche, un ami me conseille de "mettre de côté" mes pensées négatives. J'ai trouvé cela perturbant, car on ne peut pas être en deuil en étant "positif".

Il n'y a pas d'amour sans haine, ni de vie sans mort. C'est inéluctable!»


@bvonsteiger@gmail.com 14.04.2023 | 21h26

«Débat pas facile, d'autant plus je vous remercie de l'avoir ouvert. Je dirait que la médaille a deux faces, comme presque toujours, et vous nous montrez celle qui a l'air d'être moins visible. »


@GFTH68 15.04.2023 | 16h48

«De nombreuses maladies ont des origines environnementales, notamment à cause de la pollution chimique, électro-magnétique etc.
Dans ces conditions, je trouve mesquin de vouloir culpabiliser le patient ou la patiente.»


@Philippe37 16.04.2023 | 08h00

«Il y a en effet ces croyances assez mièvres, comme vous le dites justement. Mais je crois que fondamentalement ce qui est demandé, c’est la confiance en la vie, ce qui n’est pas vraiment « new age » mais au fondement de toutes les traditions spirituelles. « Viens et suis-moi » dit Jésus. Que fait Gautama ? Il quitte absolument tout dans sa quête de libération. Le soufi nous dit : « Faire confiance mais attacher son chameau ». Dans disciple il y a discipline. C’est un travail exigeant, responsable, que de passer à travers peurs et conditionnements, lâcher peu à peu son statut de victime... Même si elle ne peut faire l’objet d’un enjeu, la récompense est souvent immédiate pour soi, les autres, plus de vie, plus de joie... Demandez juste à vos patients s’ils ont cette soif absolue de liberté...
Martine Keller Genève»


@stef 20.05.2023 | 19h38

«Très intéressant, merci !»


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