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Analyse / La fin du sionisme en direct


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La guerre totale menée par Israël au nom du sionisme semble incompréhensible tant elle délaisse le champ de la stratégie politique et militaire pour des conceptions mystiques et psychologiques. C’est une guerre sans fin possible, dont l’échec programmé est intrinsèque à ses objectifs.



En imaginant que la France soit impliquée dans une guerre traditionnelle et qu'elle la perde, que se passerait-il? Peut-être souffrirait-elle une occupation momentanée, une ruine économique plus certainement. A part cela, la France resterait la France, dans ses frontières ou à peu près. Les Etats-Unis ont perdu de façon humiliante toutes les guerres qu'ils ont déclenchées depuis la première guerre du Golfe et, aux dernières nouvelles, ils sont encore les Etats-Unis. Il existe toutefois un état pour lequel l'équation ne se pose pas dans ces termes: Israël. C'est le premier élément de sa doctrine militaire: Israël ne peut pas se permettre de perdre une seule guerre.
Ce que cette doctrine n'explicite pas, c'est sa raison d'être, car elle est évidente pour tous les Israéliens. Les citoyens de l'Etat hébreu sont tous conscients que, dans le cas où Israël perdait une seule guerre, sa survie physique en tant que pays serait menacée. Israël est une bouture euro-américaine au Proche-Orient majoritairement arabe – les juifs ne représentaient en 1948 que 30 % de la population de la Palestine mandataire. Cela explique que l'Etat hébreu est en guerre plus ou moins ouverte depuis le premier jour de son indépendance et sujet à des troubles internes violents et continuels. Ainsi cette doctrine reste-t-elle en suspens et sous-entend sa conclusion au lieu de l'expliciter, presque par superstition. Car dire tout haut «sinon nous disparaîtrons en tant qu'Etat» est simplement ineffable.

Une victoire aussi définitive qu’impossible

Cette condition de survie est en elle-même un oxymore. Imaginez un homme qui ne pourrait pas se permettre de tomber une seule fois malade. C'est pourtant sur cette doctrine que repose, non pas seulement l'armée israélienne, mais le projet sioniste tout entier. Or nous y voilà. Gaza n'est plus qu'un champ de ruines, le Hamas a été lourdement touché et a perdu une bonne partie de ses chefs, comme le Hezbollah, et les capacités nucléaires iraniennes ont été vaporisées. Pour le gouvernement de tout autre pays, cela devrait constituer une victoire. Pourtant, Israël n'a pas encore crié victoire et continue de mener cette guerre ruineuse et meurtrière, pour des raisons qui peuvent paraître mystérieuses.
Cette victoire définitive que cherche Israël est comme l'horizon qui s'éloigne à mesure que l'on s'en approche. Les événements du 7 octobre 2023 ont créé un tel choc collectif que «ne pas pouvoir perdre une seule guerre» signifie d'abord ne jamais plus avoir à en mener une. Répondre à 1200 victimes par plus de 60 000, entièrement raser et peut-être même occuper tout un pays, bloquer l'aide humanitaire destinée aux habitants de celui-ci, rien de cela n'est rationnel ou stratégique. Il faut bien se représenter que le 7 octobre constitue une négation de tout ce qu'Israël promettait à ses citoyens: la protection absolue, la réduction à l'insignifiance de ses ennemis, la sécurité complète de ses frontières, la supériorité militaire sans discussion. En quelques heures, tout s'est effondré, ses citoyens ne sont pas en sécurité, les frontières sont poreuses, la puissance nucléaire ne sert à rien. Et tout cela implique une possibilité terrifiante: Israël peut perdre une guerre.

L’inéluctable défaite

Ainsi le but de guerre du gouvernement israélien n'est pas de raser et d'occuper Gaza et la Cisjordanie. Selon une majorité – décroissante – de la population israélienne, le but final de la guerre en cours est d'éliminer toutes les possibilités d'une guerre future et, derrière cela, l'éventualité même d’en perdre une. Par conséquent il faut en liquider toutes les causes possibles, tous les ennemis réels ou imaginaires, toute forme de menace externe ou interne. C'est donc une guerre qui délaisse le champ de la stratégie politique et militaire pour des conceptions mystiques et psychologiques. Cette guerre n'a pas de fin possible. Une guerre sans fin ne peut être gagnée, elle ne peut donc être que perdue. Et comme cette guerre est en cours, elle est déjà perdue.
Derrière cette défaite inéluctable, il y en a une autre aux retombées incalculables. Car si Israël est en train de perdre sa première et, par conséquent, sa dernière guerre, c'est tout le projet sioniste qui menace de s'effondrer, ou qui est déjà en cours d'effondrement.

L’étrange statut des Haredim

Mais cela était prévisible depuis pratiquement 1948. En effet, la déclaration d'indépendance – il n'y a pas de constitution – qualifie Israël d'Etat «juif et démocratique», un autre oxymore qui saute aux yeux. Une ethnocratie ne peut être également une démocratie. Cette opposition entre Dieu et César hante la religion juive et le rapport des Juifs au monde depuis trois millénaires. Comme un acide, elle ronge aujourd'hui la société israélienne où la majorité libérale se fait politiquement damner le pion par une minorité ultra, les Haredim. Ceux-ci, environ 17% de la population, venus surtout de Russie, font entre 7 et 8 enfants par femme, ne reconnaissent pas la légitimité d'Israël car celle-ci doit venir de dieu et non des hommes. En conséquence, ils ne paient pas d'impôts, ne participent pas à la défense nationale et ne contribuent en rien à l'économie. Leur seul apport est démographique, mais aussi électoral, puisque ce sont les Haredim qui maintiennent en vie le gouvernement Netanyahu et ses ministres extrémistes. Sans eux, le Premier ministre serait déjà tombé et, très probablement, inculpé ou même condamné pour corruption.

Le projet sioniste ne fédère pas

Engagé dans une guerre qu'il ne peut que perdre désormais, et soutenu par une frange de la population qui ne le défend pas, ne contribue pas à son économie et en grève le budget, Israël fait donc face à une défaite multiple dont les contours sont encore incertains.
Car l'aspect démographique est lui aussi au cœur du sionisme, et de son échec programmé. En effet, la majorité des Juifs sont toujours en-dehors d'Israël et non citoyens israéliens – sept millions dans l'Etat hébreu, entre 9 et 15 millions en-dehors. Avec les décennies, les études produites par des démographes israéliens ont démontré que le sionisme n'a qu'une seule et unique variable d'ajustement: le taux de chômage dans le pays de départ, et le taux de chômage en Israël. Comme tous les migrants, les Juifs du monde, dans leur écrasante majorité, ne deviennent pas citoyens israéliens pour des raisons ethniques, religieuses ou historiques, mais rigoureusement économiques. Et comme ils demeurent en majorité citoyens d'Europe et des Etats-Unis, ils démontrent que le projet sioniste n'est pas suffisamment attractif et fédérateur pour devenir, selon la promesse de Balfour en 1917, un «foyer national pour le peuple juif». Que dirait-on si la majorité des Français vivaient en dehors de France, ou des Mexicains, ou des Vietnamiens?

Phase terminale et espoirs

Le sionisme semble ainsi entré dans la phase terminale de sa brève et violente existence. Ses fondamentaux démographiques, sa dynamique militaire, sa cohésion interne, ses soutiens étrangers, tout cela est en train de faire basculer le pays vers un avenir à hauts risques.
Derrière le drame épouvantable en cours, il y a peut-être des conséquences vertueuses sur les moyen et long termes. D'une part, la fin du sionisme représente la possibilité pour les Palestiniens d'être enfin reconnus pleinement dans des frontières acceptables pour eux, de se reconstituer, et de se défaire des démons du terrorisme et de la corruption qui les minent.
Pour les Juifs, c'est la possibilité d'une identité désormais nette, après des décennies d'un flou dommageable. Les Juifs du monde pourront redevenir les citoyens pleins et entiers de leurs pays d'accueil, libérés de tout soupçon de collusion avec un Etat tiers. Et les Israéliens, juifs ou autres, pourront être les citoyens d'un pays pleinement démocratique. Et perdre une guerre sans risquer de disparaître.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

3 Commentaires

@pozzy 05.09.2025 | 13h43

«Inquiétant et brillant, David Laufer (à l'exception de la formule "damner le pion"). :-)»


@von 05.09.2025 | 22h20

«En effet, la position d'Israël est intenable à long terme et ne peut déboucher que sur sa disparition pure et simple. Arriver dans un pays en annonçant qu'on va recréer le Grand Israël, de l'Euphrate à la mer (oui c'est eux), et en expulser tous les non juifs (et donc les Palestiniens), n'est pas la meilleure manière de se faire accepter dans un pays.

On peut comprendre que le sionisme ait été utile au début pour inciter les Juifs à émigrer en Israël. Mais il est évident que d'arriver dans un pays avec un couteau entre les dents plutôt qu'une branche d'olivier ne pouvait que susciter le rejet.

Il en eut été autrement s'ils étaient arrivés en disant "Palestiniens, vous nous cédez une partie de votre territoire, vous en avez assez, cela ne vous gênera pas, et en échange, nous vous ferons partager notre prospérité économique. Ensemble nous allons recréer un pays où "coulent le lait et le miel".

Mais il y a eu la guerre 39-45, il y a eu les nazis, il y a eu les camps, on ne sort pas indemnes de ce genre de malheurs. Lorsqu'on a été éduqué dans la violence, on reste violent pour la vie.

Ainsi en est-il des pédophiles, qui ont presque tous été abusés lorsqu'ils étaient enfants. Et pourtant, eux devraient particulièrement savoir ce que c'est que d'être abusé et ne pas le reproduire sur autrui une fois à l'âge adulte. Eh bien non, ils deviennent abuseurs à leur tour.

Les Juifs ont été persécutés pendant plus de 2'000 ans. Ils devraient savoir ce que signifie être emprisonné par la police, devoir fuir pour sauver sa vie, et voir toute sa famille crever de faim et être massacrée dans un ghetto. Ils devraient le savoir puisqu'il l'ont subi. Eh bien non, ils ont progressivement passé de l'état de victimes à celui de bourreaux, et les voilà maintenant qu'ils oradoursurglanent à leur tour! Ils rasent méthodiquement Gaza, détruisent les cultures, rendent le sol stérile et tirent les Palestiniens comme des lapins! Ils ont atteint l'extrême limite de la cruauté humaine.

De mon point de vue, ils n'ont qu'une issue: faire la paix. Et ce serait théoriquement possible, il suffit de le vouloir. S'ils annonçaient:
"Palestiniens, nous sommes arrivés au bout du bout. Si nous continuons dans cette voie, nous allons vous faire disparaître, nous en avons les moyens. Mais ce faisant, nous nous condamnons à mort car le Moyen-orient et le monde ne nous le pardonnera pas. Après vous, ce sera nous qui disparaîtrons.

Nous nous autodétruirons probablement aussi de l'intérieur car nos enfants ont été élevés dans la violence, ils ont été entraînés à tirer sur de pauvres gens sans défense, ils ont été éduqués à penser que les Palestiniens étaient des animaux et que c'était leur devoir de les tuer. Comment pourront-ils vivre dans une société "normale"?

Alors Palestiniens, nous vous proposons la paix des braves. Nous vous laissons dorénavant vivre votre vie dans votre pays et, en échange, vous nous laissez le droit d'exister dans le nôtre. Dorénavant nous allons collaborer, partager les ressources de nos territoires et nous créer une nouvelle vie. Arrêtons de nous battre et créons ensemble un Moyen-Orient paisible et prospère! Nous vous aiderons à remonter la pente, vous nous aiderez à oublier les malheurs que nous vous avons fait subir.

Peut-être, en sommes-nous arrivés au moment de l'histoire où il faut choisir entre l'autodestruction de l'humanité ou le développement d'un nouveau paradis. Palestiniens, permettez-nous maintenant de vous appeler "amis!"
»


@Chan clear 06.09.2025 | 09h47

«Très Intéressant, merci pour ces “expliquations”. Plusieurs fois témoin dans nos stations de montagnes de ce que vous appelez “les Hardim” rècemment à Loéche une femme avec 8 enfants, dont les garçons portaient la kappa . Et A Verbier en 2019 , 1000 Haredim en vacances (logés à la TZoumas) en tenue noire traditionnelle, transpirant sous le soleil de Juillet . Les jeunes garçons Lisant La Tora en attendant le télécabine……un contraste étrange »