Analyse / Du politiquement correct à la culture de l’annulation
Ça a commencé comme une vaguelette insignifiante. C’est devenu aujourd’hui un tsunami qui noie tout sur son passage. Ça a commencé comme une plaisanterie. C’est en train de tourner au drame. Au début, l’intention était noble et louable. Elle est aujourd’hui odieuse et détestable.
Le politiquement correct a commencé au début des années 1980 sur les campus américains, à la suite des revendications des Noirs américains et des combats de Martin Luther King. Il visait à protéger les minorités maltraitées des vocables qui les humiliaient et les rabaissaient. On sait que le langage peut tuer, et perpétuer des stéréotypes et des phénomènes d’exploitation en les masquant derrière un paravent de mots apparemment neutres. Les conservateurs ont donc inventé cette expression pour se moquer des marxistes qui tenaient alors le haut du pavé sur les campus.
Jusque-là rien à redire. A titre personnel, je suis favorable à ce qu’on décolonise le langage de ses oripeaux esclavagistes, comme on a d’ailleurs pu le faire en féminisant les noms de métiers et en inventant le langage épicène.
Mais comme toujours, les bonnes intentions, aussitôt qu’elles gagnent en importance et en influence, se muent à leur tour en une culture qui tend à devenir dominante et qui, si l’on n’y prend pas garde, se transformera bientôt en un pouvoir totalitaire radical dans son obsession d’effacer toute trace d’un passé par définition moins avancé que notre présent.
Car nous ne sommes plus dans cette époque encore bénie où l’on pouvait sourire de cette volonté d’oublier les infirmes et les invalides au profit des handicapés et des personnes à mobilité réduite, requalifier les nettoyeurs en techniciens de surface, les aveugles en malvoyants, les sourds en malentendants. Ou se battre pour savoir s’il faut dire auteure, écrivaine ou littératrice, ambassadrice ou Madame l’ambassadeur.
Au début du millénaire, le phénomène s’est emballé et depuis quelques années il est en train de déraper. Sous l’influence des études de genre et du mouvement LGBT(QIA+), suite aussi au mouvement #metoo et aux émeutes qui ont surgi aux Etats-Unis après l’assassinat de Noirs afro-américains par des policiers blancs, la langue est devenue un nouvel espace de terreur. On ne peut même plus dire homosexuel ou gay, il faut dire queer, un vocable anglais dont aucun locuteur francophone ne sait d’où il vient ni ce qu’il veut dire. Pire, la répression est sortie du langage pour entre dans la sphère sociale et politique.
Utiliser une expression inappropriée peut vous mener au lynchage, dans tous les sens du terme. On connait des professeurs d’université qui ont été virés parce qu’ils refusaient de faire allégeance à la nouvelle norme, des artistes dont on a annulé les pièces de théâtre, des conférenciers renvoyés chez eux, etc. Sans parler des statues qu’on déboulonne. A tel point que la simple liberté de penser et de s’exprimer est devenue un délit punissable pour ces nouveaux Savonarole qui ne rêvent plus que de bûchers.
Il est temps de mettre fin à ces dangereuses dérives. En commençant par décoloniser la langue française de sa submersion par l’anglais.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Sporen 29.11.2020 | 12h46
«Pas de commentaire : parce que tout est dit et bien dit. Bravo !
Gérard Eperon»