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Analyse / Chine-Russie: le nouvel axe du monde est là pour durer


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Dans la mythologie chrétienne et nombre de religions, l’Axis Mundi est le centre sacré de l’univers, le moyeu autour duquel les différentes parties du monde s’ordonnent et trouvent leur place. Ce rôle était tenu jusqu’ici par l’Occident incarné par le binôme Europe-Etats-Unis. Il a désormais basculé vers l’Asie, autour de l’axe Chine-Russie et des BRICS. Illusion d’optique? Excès d’optimisme? Ou simple constat de la nouvelle réalité mondiale?



Gardons-nous de toute affirmation péremptoire. Les nostalgiques de l’ancien ordre occidentalo-centré n’ont pas dit leur dernier mot, la Russie pourrait perdre la guerre en Ukraine, le modèle économique chinois pourrait s’essouffler durablement et, malgré tout le mal qu’on en dit, Donald Trump pourrait aussi réussir son pari de restaurer la grandeur de l’Amérique. Les jeux sont ouverts et leur issue n’est pas encore écrite.

Mais quoiqu’il arrive, le partenariat russo-chinois et l’attelage des BRICS, aussi bigarrés soient-ils en apparence, sont là pour durer. Pas à cause de l’amour, qui n’a rien à voir là-dedans, mais pour des raisons bien plus sérieuses, qui sont à la fois stratégiques, économiques et géopolitiques.

Première force: une vision commune

Tout d’abord, la Chine et la Russie, qui forment les deux pôles de cet axe, ne cessent d’approfondir leur convergence stratégique. Les deux pays partagent une vision commune d’un monde multipolaire, opposé à l’hégémonie occidentale, et notamment aux États-Unis. Ils collaborent au sein d’organisations communes telles que l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et les BRICS, tout en soutenant mutuellement leurs positions sur les dossiers internationaux qui leur tiennent le plus à cœur, Ukraine et Taïwan en particulier.

La Chine ne condamne pas ouvertement la guerre en Ukraine. De son côté, la Russie soutient la position chinoise sur Taïwan et critique les ingérences occidentales en mer de Chine. Cela crée une sorte de front diplomatique commun, notamment à l’ONU, pour bloquer certaines résolutions occidentales. Enfin, l’une et l’autre se concertent régulièrement sur les grandes questions internationales: sécurité, cybersécurité, conflit israélo-palestinien, instabilité au Moyen-Orient ou en Afrique. Loin d’être rivales, les deux puissances ont appris à jouer de leurs différences pour se créer des opportunités en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine.

Deuxième force: des économies complémentaires

Deuxième point fort, leurs économies sont parfaitement complémentaires et leurs échanges ne cessent de s’intensifier. Un immense territoire riche en ressources naturelles et agricoles (pétrole, gaz, charbon, minerais, bois…) d’un côté, une grande puissance industrielle et technologique mais pauvre en ressources, de l’autre. Tout cela en partageant une frontière commune de 4000 kilomètres. Impossible de faire mieux en matière de synergies et de proximité.

La Russie est ainsi devenue un fournisseur énergétique majeur pour la Chine, surtout depuis les sanctions occidentales imposées à Moscou après l’invasion de l’Ukraine. Le gazoduc «Force de Sibérie» et les importations de gaz naturel liquéfié en provenance de l’Arctique en sont des exemples. La Chine, quant à elle, investit dans l’économie russe, notamment dans les infrastructures, et fournit les biens technologiques (micropuces, machines) et de consommation (automobiles, vêtements, électronique) dont la Russie a besoin.

Troisième force: un test réussi avec succès

Troisième atout: le rapprochement entre les deux associés, commencé en février 2014 à la veille des JO d’hiver de Pékin, a réussi l’épreuve du feu et passé avec succès le stress test de la guerre en Ukraine. On aurait pu penser que les tensions leur seraient fatales. Il n’en a rien été. Pékin, bien que prudent, n’a jamais cessé de rester un allié précieux et a puissamment aidé, avec les autres membres des BRICS, à rompre l’isolement politique et économique de la Russie voulu par les Occidentaux, si bien que la croissance de l’économie russe a été largement supérieure à celle du bloc occidental depuis 2022.

Quatrième force: une dynamique géopolitique en leur faveur.

On se souvient de la formule du père de la géopolitique, le Britannique Halford Mackinder: «Qui contrôle l’est européen commande le Heartland (le cœur de l’Eurasie), qui contrôle le Heartland commande l’Ile-monde (l’ensemble euro-africano-asiatique), qui contrôle l’Ile-monde dirige le monde.» Formule qui explique au passage pourquoi le contrôle de tout ou partie du pivot ukrainien est si important.

Dans tous les cas, la constitution de l’axe Chine-Russie, auquel sont venus s’agréger récemment l’Iran et l’Afghanistan pour former à eux quatre le cœur du Heartland, marginalise l’Europe et les Etats-Unis, qui sont repoussés dans les marges extérieures. L’Occident essaie bien d’enfoncer des coins dans ce bloc, comme ce fut le cas récemment lors du conflit entre l’Inde et le Pakistan ou avec les accords d’Abraham visant à arrimer l’Arabie saoudite et les pays du Golfe à Israël. Mais sans grand succès pour l’instant, Syrie mise à part.

On se souviendra d’ailleurs qu’en 2023 la Chine fut l’artisane du rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Dès qu’une difficulté survient, les diplomaties des deux pays s’activent, chacune à sa manière et avec son génie et ses réseaux propres, comme le faisaient à l’époque les Européens et les Américains, pour éteindre les incendies et trouver des solutions.

Cinquième force: une souplesse et un pragmatisme à toute épreuve

Ce qui nous amène au cinquième atout du tandem russo-chinois, qui est sans doute le plus méconnu, à savoir une souplesse et un pragmatisme à toute épreuve.

Dans sa vision hégémonique du monde, l’Occident n’envisage de collaborer qu’avec ses semblables. D’où l’abondance de sommets et autres «alliances des démocraties» contre un reste du monde supposément autocratique. Rien de tel en face, où chacun est bienvenu quels que soient son régime politique et son idéologie. Il est vrai que, tant du côté russe que du côté chinois, on se méfie parfois l’un de l’autre et on ne s’apprécie pas toujours. Les tensions d’hier entre les deux sphères communistes sont là pour en témoigner. Mais la délicate question des frontières a été définitivement réglée et les différences de système sont aussi un avantage, dans la mesure où elles évitent de tomber dans le piège de la rivalité. Le communisme d’Etat chinois ne se compare pas au capitalisme bureaucratique russe et tous deux n’ont pas à lutter pour savoir lequel des deux est le plus marxiste-léniniste, le plus libéral-capitaliste ou le plus démocratique.

Sixième force: la règle des trois «non»

Le partenariat «sans limite» entre les deux pays a aussi l’avantage de reposer sur des règles de fonctionnement simples et claires. Le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi les a résumées par la formule très polysémique des trois «non »: non-alliance, non-confrontation, non-ciblage de tiers. Elle signifie que les deux partenaires peuvent coopérer sur les plans militaire et stratégique – exercices militaires, armements, cybersécurité, lutte contre le terrorisme et autres menaces, station lunaire, systèmes de navigation satellitaires, alternatives au dollar – mais ne constituent pas une alliance de type OTAN ou de celles qui ont conduit à la Première Guerre mondiale, lesquelles visaient un ennemi précis.

Leurs relations ne sont pas dirigées contre d’autres pays. Elles ne les menacent pas, tout en assurant une protection contre les pressions ou les ingérences extérieures. Le terme de non-alliance est parfois traduit par non-alignement, ce qui garantit une politique de collaboration ouverte sur l’ensemble du monde, Occident compris, tout en n’obligeant pas les deux alliés à être alignés sur tous les plans et dans tous les domaines. Pas d’obligation mutuelle de défense, mais une solidarité stratégique en cas de conflit avec des puissances occidentales.

De fait, ce mode de faire reprend les principes originels de la Charte des Nations Unies que l’Occident avait trahis en contraignant, de gré ou de force, tant ses alliés que ses adversaires, à se conformer à lui.

On comprend dès lors mieux pourquoi ce partenariat, qui exerce tant d’attrait sur les pays du sud et suscite tant de craintes, de hargne et de dédain en Occident, est destiné à durer.

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