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Lu ailleurs

Lu ailleurs / D’eux, on ne saura rien de plus que leur mort


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«L’Espresso» relate l’histoire des «cadavres non-indentifiés» que le Ministère de l’intérieur italien recense année après année. Ils sont retrouvés sans pièce d’identité et seuls quelques détails permettent d’imaginer ce que pourrait avoir été leur vie.



Voilà un sujet qui pourrait être sinistre. La mort fait peur et l’on veut absolument que nos vies soient connues, reconnues. Alors on fait des selfies, on se montre sur Facebook, on s’affiche. On veut dire haut et fort qu’on existe. Et puis un jour, ça s’arrête. Que restera-t-il alors de nous? C’est pourquoi cet article de L’Espresso est finalement plus troublant que macabre. Il nous amène en des contrées de nous-mêmes que nous n’avons pas l’habitude d’explorer, des contrées que la spectacularisation de nos existences nie. 

La dernière liste

Une montre de la marque Casio, un anneau orné d’une pierre rouge, une cravate à rayures, trois paquets de cigarettes, 164'000 lires en poche, un briquet Bic, des seringues jetables. Cette liste est le dernier lien avec la vie d’un des 828 cadavres «non identifiés» qui, depuis 1974, sont recensés par le ministère de l’intérieur italien et que personne n’a jamais réclamés ni reconnus.  

Date et lieu de la découverte, sexe, appartenance ethnique, couleur des yeux et des cheveux, renseignements généraux. Pour les plus «chanceux» s’ajoute une rubrique: «signes spéciaux».

Mort en voyage, dans son sac de couchage

Lui, il avait entre 20 et 35 ans. Probablement en train de voyager, il est mort, enroulé dans un sac de couchage, dans une ferme abandonnée, à Castellaro, dans la province d'Imperia. Son sac à dos contenait un dictionnaire italien-espagnol et une carte de la France. Dans sa poche se trouvait une grosse somme en dollars et en lires.

A Salerno, ce jeune homme a été retrouvé pendu. Cela faisait six ou huit mois qu’il s’était, sans doute, suicidé. Malgré les recherches de la police, personne n’a pu indiquer le nom de ce garçon «longiline et avec de bonnes dents».

Le corps est momifié. A l'intérieur d’une poche, quelques francs de 1910 et un article découpé dans un journal daté du 1er avril 1928. Il a dû beaucoup marcher avant d'atteindre le glacier lombard de Scerscen. Les tests de laboratoire ont permis d’établir son âge: 23 ans. Le corps a été très abîmé par le gel. Il était parti d’on ne sait où: peut-être de Suisse ou d’Allemagne. Il était muni de crampons et de cartes pour s’orienter. Le bout de son chemin sera finalement la cellule réfrigérée d'une chambre mortuaire lombarde.

Ces corps ont bougé, vécu. Ils ont été embrassés, étreints, violés pour certain par des assassins qui ont ensuite décidé de les priver de leur identité, faisant disparaître les documents permettant de l’établir. Certains ont fait couler de l’héroïne dans leurs veines, d'autres ont décidé de quitter la vie sans laisser leur nom, pour que jamais une pierre tombale ne témoigne de leur passage dans le monde des vivants.

Un tatouage, avec «Sandra» et deux cœurs

Il avait vingt ans lorsqu’il est mort. Son seul signe particulier est un tatouage, avec le nom «Sandra» et deux cœurs. Personne n’a réclamé son corps mais ce nom gravé sur sa peau et que les eaux de la mer n’ont pas réussi à effacer est la preuve que quelqu'un l'a aimé, qu’il a aimé quelqu’un.

Lui, on l’a retrouvé le 11 avril 1974, à Termoli, un village qui comptait alors un peu plus de 1100 habitants. Il n'avait pas de dents, était âgé d’un peu plus de 60 ans au moment de sa mort. Il pourrait avoir été assassiné.

Lorsqu’on l’a tuée, elle avait 17 ans. Son corps a été retrouvé dans un étang, enveloppé dans du plastique, sur le territoire de la commune de Presina. Celui qui lui a ôté la vie a décidé qu’on la retrouverait uniquement vêtue d’un soutien-gorge noir, de bas et d’un string blanc.

Corps carbonisés, rompus, éparpillés, abandonnés. Ils ont tous une histoire, que résument aujourd’hui de petits détails laissant la porte ouverte à mille hypothèses. 

Une perruque noire, un pendentif avec le visage de Jésus, un K-Way, une ceinture portant le mot «Yixiunguo»...

Que restera-t-il de nous?


L’article de L’Espresso en italien: «Quante storie in quei corpi senza nome. Da nord a sud, un popolo di "non identificati"»

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