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Actuel / Vladimir Poutine
giflé par le CIO

David Glaser

6 décembre 2017

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Le CIO suspend la Russie pour les jeux d'hiver de 2018. L'opération mains propres consécutive au scandale du dopage généralisé au sein de la Russie a pris un tournant spectaculaire à Lausanne ce mardi 5 décembre. La décision a été prise par la commission exécutive du CIO: il n'y aura pas de représentants du Comité olympique russe en Corée du Sud en février 2018. De nombreux officiels du sport russe ont été bannis, certains à vie. Peut-être un nouveau tournant dans l'histoire de l'Olympisme.



Le CIO a frappé un grand coup hier soir à 19h30 en sanctionnant la Russie pour les prochains JO d'hiver en Corée du Sud, à Pyeongchang. Bref rappel des faits, différents athlètes russes ayant participé aux Jeux d'hiver de Sotchi ont été sanctionnés a posteriori depuis la révélation d'un dopage d'état en Russie. Ce sont 4 des 13 médaillés d'or qui ont déjà été disqualifiés et d'autres champions pourraient être dépossédés de leur titre prochainement. Comment en est-on arrivé à de telles décisions ?

Simplement en investiguant. Depuis 2014, un nombre conséquent de sanctions contre des sportifs russes mais aussi contre des personnes haut placées au sein des fédérations russes et de la fédération internationale d'athlétisme ont été prononcées. En 2014, le scandale majeur de corruption impliquant la Russie éclate et c'est une succession de découvertes qui vont aboutir à la décision prise par le Comité international olympique. Au départ, il y a des révélations venues de la chaîne allemande ARD sur la machine russe à produire des champions. On y revient avec une interview de l'auteur des révélations Hajo Sepplett, l'auteur de la toute première enquête.

A qui, le sésame pour les JO?

Mardi 5 décembre 2017, Lausanne: le CIO accrédite 200 journalistes pour livrer son verdict. Le rapport de l'ancien conseiller fédéral Samuel Schmid a été validé. L'état russe est responsable administrativement d'un dopage organisé mais il n'est pas question pour le CIO de cibler le président Poutine. Les décisions prises sont fermes. Suspension du Comité olympique russe avec effet immédiat. La sanction n'exclut pas les athlètes russes propres. Un comité mené par l'ex-ministre française des sports Valérie Fourneyron, directrice de l'ITA (l'Independent Testing Authority – l'autorité indépendante de contrôles antidopage) se prononcera sur la participation des athlètes au cas par cas.

Seuls les athlètes qui se sont qualifiés selon les standards légaux dans leurs sports pourront obtenir un sésame pour les JO de février comme athlètes olympiques de Russie. Ils seront habillés d'un uniforme portant ce nom en dessous de la bannière olympique. Tous les officiels russes habituels ne seront pas de la partie. Alexander Zhukov est relevé de ses fonctions en tant que membre du CIO.

Au-dessus de lui, Vitali Mutko, le ministre des sports est suspendu à vie de toutes participations officielles au mouvement olympique. Dmitri Chernyshenko, ancien CEO du comité d'organisation de Sotchi 2014 a été relevé de ses fonctions au sein de la commission d'organisation des jeux de 2022. La Russie peut être réhabilitée partiellement ou totalement juste avant le début de la cérémonie de clôture mais selon certaines conditions.

Témoignages et preuves à l'appui

Pour en arriver à cette série de décisions, la commission a recueilli de nombreux témoignages. Toutes les personnes accusées et les témoins ont pu être entendues. Avant Rio en 2016, il n'était pas possible pour l'ancien président de la Confédération suisse Samuel Schmid de vérifier les faits.

Mais aujourd'hui, ils sont corroborés par plusieurs témoignages et des preuves matérielles scientifiques. Le rapport Schmid, disponible en ligne sur le site du CIO, apporte des éclairages sur ces faits. Samuel Schmid explique:

«Il y a une certaine tradition en Russie pour le dopage comparable au système de dopage organisé par l'Allemagne de l'Est. Donc ce n'est pas nouveau. Mais c'est une catastrophe pour le sport mondial et une catastrophe pour les athlètes propres...»

Ce qu'ont découvert Samuel Schmid et les membres de sa commission, c'est un système complet de manipulation des processus de tests antidopages. «La commission disciplinaire a dégagé des faits. Elle a conclu qu'on était en présence d'un système générale en Russie. La lutte opérationnelle antidopage relevait du ministère du sport en Russie et par conséquent, il était responsable. Même si le Comité olympique russe n'est pas directement auteur des manipulations, il en avait la responsabilité juridique... » et force est de constater, pour la commission Schmid, que les deux acteurs majeurs du sport russe n'ont absolument rien fait pour contrer ce système généralisé. Pour le CIO, ces sanctions sont appropriées. Il y a des manipulations des règles antidopage. Ceux qui ont assumé la responsabilité devaient être protégées selon le CIO. Et les frais encourus par ces procédures devraient être payés par le comité olympique russe. On parle d'une somme de 15 millions de dollars à verser notamment sous forme de contribution à l'ITA menée par Valérie Fourneyron.

«Je suis triste pour les athlètes»

La manipulation russe est « une attaque sans précédant sur l'intégrité des Jeux Olympiques et sur le sport. La commission exécutive a, après avoir suivi les procédures appropriées, sanctionné de manière proportionnelle tout en protégeant les athlètes propres. Cela va souligner les événements malheureux et servir d'exemple pour une politique plus efficace conduit par l'Agence mondiale antidopage... Comme ancien athlète, je suis triste pour les athlètes. Nous organiserons de nouvelles cérémonies de remise de médailles, pour essayer de compenser des moments qu'ils n'ont pas vécus. Je suis désolé pour les athlètes propres qui doivent endurer les conséquences de cette manipulation... Avec la commission des athlètes, nous allons regarder quelles sont les possibilités de rattraper ces moments perdus » ajoute Thomas Bach dans un élan de compassion pour la famille respectueuse des valeurs olympiques.

Du côté russe, la suspension de Vitali Mutko pourrait provoquer des remous dans l'entourage de Vladimir Poutine. Le président russe lui avait conservé son total soutien. Les Russes sont hors-jeu mais ils n'excluent pas de contester ces décisions devant le Tribunal arbitral du sport, à Lausanne.

Plus tôt dans l'après-midi, la première conférence de presse du Directeur médical et scientifique du CIO Dr. Richard Budgett avait déjà envoyé un signal. Les athlètes russes ont été les plus contrôlés dans les tests effectués à la demande de la Taskforce antidopage, mise en place par le CIO. Et de loin. Le directeur médical du CIO explique que plus de 7000 contrôles antidopage pour plus plus de 4000 athlètes ont été effectués. Et que de nombreux autres tests vont être pratiqués sur un total d'environ 20'000 athlètes dans les prochains mois.


Réaction – Hajo Sepplet, journaliste spécialiste du dopage

Hajo Sepplet au premier plan © David Glaser

Un journaliste a suivi plus particulièrement ce dossier. C'est Hajo Sepplet, réalisateur de documentaires et journaliste d'investigation, spécialiste du dopage. A la question de savoir s'il juge aujourd'hui la décision du CIO décisive pour le sport mondial, il n'hésite pas à être franc. Interview

Cette décision du CIO est-elle importante ?

Cette décision est très importante pour le sport et la lutte antidopage. Il y a un décalage énorme entre la lutte antidopage et la réalité. La Russie a montré qu'elle s'était rendue coupable d'un conflit d'intérêt. Son rôle est de promouvoir le sport. Pas de contrôler le sport. Ce sont les mêmes personnes qui font tout et ça ne va pas du tout. Avec cette attitude, c'est la faillite du sport du sport olympique en général. Ce problème est même pour tout le monde aujourd'hui. On voit bien que la lutte antidopage est hypocrite.

Vladimir Poutine parle d'humiliation, vous en pensez quoi ?

Ça ne compte pas du tout pour moi. S'il y a une règle qui n'est pas respectée, ça doit être puni. Ça n'a rien à voir avec la Russie ou n'importe quel autre pays. La Russie ou Trinidad et Tobago, c'est la même chose. La Russie doit suivre les règles. Ce dopage organisé à l'échelle de l'Etat doit être suivi d'une punition forte.

Avec la taskforce, la lutte antidopage au sein du CIO est-elle maintenant assez forte d'après-vous ?

Non, ils ont lutté pour renforcer l'Agence mondiale antidopage (l'AMA) mais ils l'ont en réalité affaibli. L'AMA devrait être le corps qui contrôle et aussi l'organe législatif qui fait beaucoup plus sur la lutte antidopage. Elle devrait continuer à avoir plus d'influence. Il faut continuer à promouvoir le sport et pas le contrôler.


Réaction – Ed Hula, rédacteur en chef de Around the Rings

© Around the Rings https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=14974189

Quelle est l'importance de la décision du CIO aujourd'hui?

C'est significatif de gérer la question du dopage, surtout quand il s'agit d'un des plus grands pays. C'est du jamais vu. Cela requiert une prise de position du CIO, de l'action. Mais en même temps, la politique est mêlée à ça peut-être trop. C'est plus difficile pour le CIO de dire banc ou noir au lieu de plusieurs nuances de gris.

Que pensez-vous de la déclaration de Poutine qui a parlé d' «humiliation» pour son pays?

Le CIO va comprendre qu'il y a en effet un certain niveau d'humiliation sans la Russie aux jeux. Mais il y a un autre mot qui peut être intégré, c'est humilité. Je pense que le CIO recherche ça. Toute la communauté du sport recherche. Il y avait quelque chose qui dysfonctionnait dans la lutte antidopage, et on n'a pas compris si c'était des actes venant d'en haut ou s'ils étaient implicites. La Russie doit prendre ses responsabilités sur ce qui s'est passé. «Make Russia Great Again» ou mauvaise supervision.

La lutte antidopage au sein du CIO, vous en pensez quoi?

Cette campagne de tests antidopage avant les JO d'hiver de Pyeongchang. Il y a déjà eu 7000 tests jusqu'à maintenant. C'est une sorte de coup de filet. Il y a un vrai progrès pour les 4000 athlètes ou plus qui seront testés. Comme ça les athlètes savent qu'ils peuvent payer cher pour leurs actes. Mais malheureusement ces tests arrivent beaucoup trop tard... 10 ans après les faits. Cela va prendre du temps pour les athlètes et les fans de sport voient vraiment un changement évident. Vous devez éduquer les enfants et les coachs, l'haltérophilie a beaucoup de problèmes avec le dopage. A une convention en Californie, le président a demandé de l'aide pour que les haltérophiles changent de mentalité et arrêtent de se doper.


Réaction – Oleg Polutin, producteur de la télévision russe

Que pensez-vous de la décision du CIO d'exclure la Russie ?

C'est très très dur, on nous crache au visage. Je pense qu'en Russie, cette nouvelle a été accueillie avec beaucoup de tristesse et des pleurs. Vous savez les jeux d'hiver pour nous c'est très important.

Mais à Sotchi, des preuves ont été accumulées contre des athlètes...

Mais c'est improuvable, il ne faut pas se fier aux rapports McLaren. Il y a beaucoup d'imprécisions. Vous devriez regarder le rapport Oswald basé sur d'anciennes enquêtes qui ne sont pas solides.

Serait-ce une décision politique qui concerne Poutine?

Je ne sais pas. Je ne comprends pas pourquoi le CIO a décidé ça. C'est difficile.


La conférence de presse du CIO en vidéo


© IOC Medias

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@stef 16.12.2017 | 23h05

«Ils ont osé. Bravo »