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Actuel / Soja et cancer du sein: des relations ambiguës

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8 janvier 2020

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Tofu, tempeh, miso, tonyu… Le soja occupe une place de plus en plus grande dans nos assiettes. D’après une enquête menée pour la filière soja en 2017, 6 Français sur 10 déclarent consommer des produits au soja, ce qui représente une hausse de près de 50 % en 3 ans. Avec l’évolution des modes de consommation, notamment le développement du végétalisme, on peut s’attendre à ce que la part des produits à base de soja, apparus très récemment dans l’alimentation des occidentaux, continue à s’accroître. Or le soja fait l’objet de diverses controverses concernant ses effets sur la santé. En particulier, la question de ses effets sur le cancer du sein est débattue. Selon certains, il aurait un effet plutôt protecteur, tandis que d’autres considèrent que sa consommation serait plutôt défavorable. Que disent les travaux scientifiques sur ce sujet?




Marina Touillaud, épidémiologiste au Centre Léon-Bérard, Mathilde Touvier, directrice de l'Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, Université Paris 13, Mélanie Deschasaux, chercheure en Epidémiologie Nutritionnelle, Université Paris 13, Paule Latino-Martel, coordinatrice du Réseau National Alimentation Cancer Recherche

Article publié par The Conversationle 15 décembre 2019. 


Le soja séduit l’Occident

Utilisé depuis plus de deux millénaires dans les alimentations asiatiques (principalement dans ses versions solides : tofu, tempeh, natto et miso), le soja est aujourd’hui consommé sous différentes formes en Europe et en Amérique, depuis les aliments traditionnels comme le tofu, jusqu’aux substituts végétaux de viande), en passant par les graines à apéritif, les crèmes desserts ou le tonyu, un jus de soja improprement appelé « lait de soja ».

Les graines de cette légumineuse sont également désormais transformées de manière industrielle et les ingrédients qui en sont dérivés sont ajoutés dans de nombreux produits alimentaires, par exemple les biscuits, les produits carnés ou les plats cuisinés. Une étude française récente a montré qu’un fournisseur de restaurants propose davantage de produits alimentaires contenant du soja que les supermarchés.

Cet engouement des fabricants industriels pour l’ingrédient soja est dirigé par des raisons économiques, nutritionnelles (source de protéines végétales) et technologiques (propriétés bénéfiques dans la texturisation, l’émulsification et le blanchiment des produits transformés).

Or cet aliment contient des molécules, les phyto-estrogènes (des isoflavones), capables de se fixer sur les récepteurs des estrogènes, des hormones naturelles sécrétées par les ovaires. De ce fait, le soja est au centre d’une controverse santé chez la femme, en raison de ses effets potentiels sur l’organisme.

Un aliment riche en phyto-estrogènes

Les estrogènes jouent un rôle important dans de nombreux tissus et organes, notamment les seins. En se fixant sur leurs récepteurs, les phyto-estrogènes peuvent perturber le fonctionnement des cellules, jouant un rôle inhibiteur ou activateur selon l’organe où ils se fixent et leur concentration.

Si la plupart des végétaux contiennent naturellement de faibles quantités de phyto-estrogènes, ceux-ci sont présents en abondance dans le soja et les aliments dérivés. Cette teneur est cependant très variable d’un aliment à l’autre et entre les différentes familles de produits au soja disponibles sur le marché.

Par ailleurs, la façon dont est préparé le soja influe sur la teneur en phyto-estrogènes. Ainsi, en Asie, les traitements traditionnelsdes aliments à base de soja (essentiellement des fermentations) réduisent fortement la teneur des aliments en phyto-estrogènes. À l’inverse, dans les produits à base de soja issus de procédés industriels, les teneurs en phyto-estrogènes sont plus élevées et les apports des populations occidentales ont probablement fortement augmenté au cours des dernières années.

Par ailleurs, le soja est également utilisé pour fabriquer de nombreux compléments alimentaires, qui se présentent sous forme d’un extrait de la légumineuse réduit sous forme de poudre et encapsulé. Leur concentration en isoflavones est variable, allant en général de 1 à 40 %. Ces compléments alimentaires sont souvent présentés comme ayant des effets bénéfiques sur les bouffées de chaleur associées à la ménopause, ainsi que sur l’ostéoporose, la santé de la peau et des cheveux et l’hypercholestérolémie.

Les effets potentiels anti-estrogéniques des isoflavones sont également mis en avant pour suggérer un rôle protecteur du soja à l’égard des cancers estrogéno-dépendants, tels que le cancer du sein. Mais ces allégations santé ne sont pas toutes prouvées scientifiquement ou posent questions, en particulier concernant le cancer du sein.

Cancer du sein : des bénéfices non confirmés, des compléments à éviter

Des études menées en Asie ont observé un risque plus faible de cancer du sein chez les femmes ayant une alimentation traditionnelle asiatique, riche en soja. Toutefois, l’éventuel bénéfice pour la prévention des cancers du sein n’est pas confirmé par les grandes études de cohorte menées en Europe ou en Amérique du Nord.

Actuellement, un rapport d’expertise collective international publié en 2018 conclut que la relation entre soja et cancer du sein n’est pas prouvée.

Concernant les compléments alimentaires à base de soja, une étude de cohorte française a observé une association entre la consommation de ces compléments et une augmentation du risque de cancer du sein non sensible aux hormones, qui est de moins bon pronostic. Cette étude suggère aussi un risque plus élevé de cancer du sein, associé aux compléments au soja, chez les femmes qui ont déjà des cas de cancers du sein dans leur famille.

Les aliments à base de soja semblent donc pouvoir être consommés sans excès, c’est-à-dire en petite quantité et pas tous les jours, en évitant de recourir aux compléments alimentaires.

Pendant ou après les traitements du cancer du sein, des précautions s’imposent

Pendant les traitements d’un cancer du sein, une étude a suggéré que la consommation de soja améliorerait la qualité de vie des patientes. Cependant, ces résultats obtenus sur un échantillon de petite taille restent à confirmer. Il faudra aussi vérifier l’absence d’effets délétères. Les données scientifiques étant peu nombreuses, il semble raisonnable d’appliquer les mêmes précautions qu’en population générale.

En ce qui concerne les compléments alimentaires à base de soja, aucune étude n’a montré de bénéfice de leur consommation pendant les traitements du cancer du sein. À l’inverse, plusieurs études suggèrent des interactions délétères avec les traitements, dus par exemple à la diminution de l’effet de certains traitements anticancéreux.

Chez les femmes en rémission, guéries du cancer du sein, des méta-analyses ont montré, en combinant les résultats de plusieurs études, que la consommation alimentaire de soja diminuerait le risque de récidive et augmenterait peut-être la survie. Mais davantage d’études sont nécessaires pour conclure avec certitude. On ne peut pas à l’heure actuelle généraliser ces quelques résultats à toutes les femmes en rémission.

Toujours concernant les femmes en rémission, les travaux sur les effets des compléments alimentaires à base de soja manquent. L’absence de risques n’ayant pas été démontrée, le principe de précaution s’applique également.

En cas de cancer du sein, le soja peut donc être consommé dans l’alimentation, mais de façon modérée. Les précautions s’appliquent d’autant plus pendant les traitements du cancer du sein. Quant aux compléments alimentaires à base de soja, ils sont déconseillés par les instances de santé publique.

Comment bien consommer son soja ?

Il faut rappeler que le soja est une source végétale de protéines de très bonne qualité, faible en graisse et qu’il peut s’inscrire dans une alimentation équilibrée et diversifiée. La consommation de soja est cependant déconseillée pour les femmes enceintes, nourrissons et jeunes enfants.

D’une manière plus générale, le soja peut être consommé de façon modérée, sans pour autant le supprimer de son alimentation. En se basant sur des études biologiques, épidémiologiques et pharmacologiques, l’Agence de sécurité sanitaire des aliments (Anses) recommande de ne pas dépasser 1 mg d’isoflavones par kilo de poids corporel et par jour. Ce qui signifie qu’une personne de 60 kg ne doit pas ingérer plus de 60 mg d’isoflavones par jour, sachant que 100 g d’aliments dérivés du soja (tofu, desserts au soja, etc.) en apportent entre 10 et 30 mg.

Il est cependant très difficile d’estimer sa consommation réelle en isoflavones, car de nombreux produits industriels contiennent du soja sans que cela soit mentionné sur l’étiquetage. Le risque lié à cette consommation d’isoflavones « cachées » a été pointé du doigt par l’Autorité européenne de sécurité des aliments et l’association de consommateurs UFC Que Choisir.

Les compléments alimentaires à base de soja sont quant à eux déconseillés, car leurs bénéfices n’ont pas été démontrés. De plus, leur activité biologique pourrait leur conférer des effets potentiellement délétères chez certaines femmes, comme celles ayant un antécédent personnel ou familial de cancer du sein ou une hypothyroïdie.

Soja et prévention nutritionnelle du cancer du sein

Les effets du soja peuvent être bénéfiques ou délétères selon le contexte, c’est-à-dire l’état physiologique du consommateur, le tissu cible et la préparation (voire la transformation) du soja. Dans tous les cas, il ne faut pas négliger ses effets potentiellement perturbateurs du système endocrinien dans le cadre de l’alimentation ou lors d’une utilisation à visée thérapeutique.

Pour mieux estimer les quantités totales consommées, il s’avère nécessaire de déterminer les teneurs réelles en isoflavones des produits à base de soja et de mettre en place un étiquetage adéquat pour informer les consommateurs. En outre, il est essentiel d’identifier les catégories de population à risque (femmes enceintes, jeunes enfants…) et d’adapter les recommandations.

Enfin, concernant la prévention nutritionnelle du cancer du sein, qui demeure en France le cancer le plus fréquent chez la femme, il est plus sûr de s’en tenir aux facteurs de risque et de protection avérés. Exercer une activité physique régulière, avoir une alimentation riche en fibres ou de type méditerranéen, réduire la consommation de boissons alcoolisées et limiter la surcharge pondérale, sont des leviers dont l’efficacité a, elle, été scientifiquement démontrée.


Pour en savoir plus, retrouvez la bibliographie scientifique sur laquelle s’appuie ce dossier et le dépliant sur le site du réseau NACRe. Cet article est adapté de la collection Décrypter & Comprendre du réseau NACRe.


Cet article est tiré de The Conversation, sous licence Creative Commons. 

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