Actuel / Ski à gogo dans les Monts célestes
Shymbulak, Alatau, Amirsoy, Karakol? Ces noms vous parlent sans doute moins que Verbier, Courchevel, Zermatt ou Val Gardena. Et pourtant ils pourraient bientôt s'inscrire dans la liste des stations de ski à la mode. Proches de nous, Sotchi et l'Elbrouz en Russie, Erzurum/Palandöken en Turquie figuraient déjà sur les cartes des amateurs éclairés de sports de glisse aux portes de l'Asie. Mais la poussée vers l'Orient gagne de nouvelles contrées, encore plus à l'est.
Rentré d'une semaine de ski sur les pentes kazakhes, le moment est venu de faire un petit tour d'horizon du potentiel hivernal de l'Asie centrale, sur les traces d'Ella Maillart qui a arpenté ces montagnes en 1932 et raconté ses aventures dans Des Monts célestes aux sables rouges (1936, Payot 1986).
Shymbulak est la plus ancienne de toutes. Créée en 1954, juste après la mort de Staline, sur les montagnes qui surplombent la ville d'Almaty, elle fête ses 70 ans cette année. A 1'200 mètres, ses vastes installations ont longtemps servi de base d'entrainement aux athlètes soviétiques, notamment pour le patinage, le hockey et le biathlon. De là, on accède à la station de ski alpin située à 2'200 mètres, grâce à une longue télécabine. Les pistes montent jusqu'à 3'200 mètres et mènent au belvédère qui permet d'embrasser les sommets des Monts célestes qui culminent à 5'000 mètres.
Un bon dénivelé, une neige dure mais pas glacée, du soleil en quantité, pas de queue, des abonnements abordables (une vingtaine de francs pour la journée), les conditions de ce début mars étaient bonnes, et même très bonnes. Sur les pistes et dans les restaurants, beaucoup de jeunes surfeurs kazakhs et des Russes de la Sibérie voisine, quelques Chinois et des Indiens venus en curieux ou en voyage de motivation payé par leur entreprise.
A une trentaine de kilomètres d'Almaty, la région du parc naturel d'Alatau offre aussi des équipements très complets, sur des pentes plus boisées qui descendent jusqu'aux fameux vergers de pommiers kazakhs. Il faut savoir que l'ancien nom russe d'Alma-Ata signifie «père des pommes» et qu'Almaty veut dire «pleine de pommes» en langue turcique. Cette région du Turkestan s'honore en effet d'être le berceau géographique et historique du pommier, dont elle possède des dizaines de variétés, de la plus sauvage à la plus domestiquée. Mais comme partout ailleurs, le réchauffement climatique menace la survie de la souche sauvage du malus seviersii.
Avec ses deux millions d'habitants, Almaty offre toutes les ressources d'une grande ville, avec ses hôtels, ses restaurants, sa gastronomie et, depuis peu, des vins qui surprennent en bien. Seul l'aéroport international laisse à désirer. L'actuel rappelle fâcheusement l'époque soviétique, tant au niveau du service que de l'infrastructure, alors que le nouveau se fait attendre depuis des années. Petite condition pour apprécier son séjour, aimer la viande de cheval, les brochettes de mouton et le lait de jument. Mais avec des produits garantis naturels, sans additifs et issus de la vaste steppe, cette contrainte est vite oubliée.
A une journée de voiture et 800 kilomètres de là, Tachkent, capitale de l'Ouzbékistan, mène en deux heures de route à la station toute neuve d'Amirsoy, la plus récente de la région. Construite de zéro, la station a été inaugurée en décembre 2019 et offre une vingtaine de kilomètres de pistes entre 1'600 et 2'300 mètres d'altitude, dans un décor semi-désertique. C'est encore plus exotique que Shymbulak. Mais je l'ai visitée en automne et n'ai pas encore pu tester la qualité de la neige.
Dans tous les cas, la cuisine ouzbèke vaut amplement le détour – sans parler évidemment des trésors culturels qui font la renommée de l'Ouzbékistan, à savoir les villes-oasis-caravansérails de la Route de la Soie, Samarcande, Boukhara et Khiva ainsi que la surprenante capitale du Karakalpakstan, Noukous, qui fut l'ancien grand port de la mer d'Aral jusqu’à son assèchement et qui abrite la plus fantastique et la plus improbable collection de peintures soviétiques au monde. Mais cela nous mènerait trop à l'ouest.
Quoiqu'il en soit, si les vertiges de la poudreuse ouzbèke et la poussière des sables du désert ne vous ont pas découragé, il vous reste à découvrir le plat national, le plof, qui est un mélange de riz, de raisins secs, de carottes et de viandes diverses, et à déguster quelques cognacs locaux aux herbes digestives. Un mot encore, sur les légumes et les fruits: ce pays est, avec son voisin caspien l'Azerbaïdjan, le champion toutes catégories du fruit et du légume goûteux. Mûris naturellement au soleil, avec peu d'eau et sans intrants ni pesticides inutiles, les herbes aromatiques, les fruits secs, les grenades juteuses, les oignons crus, les tomates et les aulx marinés, sont, avec les fromages fumés de toutes formes et de toutes tailles, en particulier ceux qui ressemblent à des filaments, des régals inconnus sous nos latitudes de tomates hors sol et insipides. Un conseil donc, ne pas lésiner sur les entrées et les zakouskis.
Au Kirghizstan en revanche, on fera bonne place aux chachliks, brochettes et viandes de toutes obédiences, la viande étant moins chère dans ce pays de hauts plateaux froids que les légumes. Retour à l'est donc pour se rendre à Bichkek, capitale du Kirghizstan, qui n'est qu'à trois heures de voiture d'Almaty. De là une assez bonne route mène en cinq heures à Karakol, petite bourgade située à l'extrême est du pays, près de la frontière du Sinkiang chinois. Nous sommes toujours sur la branche nord des Monts célestes, qui forment un fer à cheval autour du lac salé d'Issyk-Koul, le plus vaste et le plus haut du monde (1600 mètres d'altitude) après le Titicaca. Ses eaux sont froides mais on peut s'y baigner à toutes saisons, ou presque.
Karakol est l'une des vingt-trois stations de ski kirghizes. Située à 1'760 mètres d'altitude, elle est peuplée de quelque 70'000 habitants et d'autant de chevaux.
Les Kirghizes sont les rois du cheval, à qui ils peuvent faire faire à peu près n'importe quoi. Un ancien Président kirghize a en effet fondé les Jeux Mondiaux Nomades, qui rassemblent tous les deux ans les peuples de la steppe autour des sports équestres, du tir à l'arc et de diverses joutes qui rappellent nos très suisses luttes à la culotte. Y assister une fois dans sa vie est une obligation, comme la visite du Louvre. J'avais participé à ceux de Cholpon-Ata, pas loin de Karakol justement, en septembre 2018. Après la Turquie, les prochains se dérouleront à Astana du 8 au 14 septembre prochain. Au menu, 44 épreuves, 3'000 concurrents et plus de cent pays attendus.
Je vous fais grâce de la description des vingt-deux autres stations de ski nationales. Le Kirghizstan est le pays le plus richement doté d'Asie centrale grâce à ses hautes montagnes. Les pistes de Karakol culminent à 3'500 mètres et le plus haut sommet à 7'439 mètres (Pic Pobeda ou Jengish Chokosu). Mais il est très dangereux et je vous recommande plutôt le Pic Lénine qui, malgré son nom, est très accessible et vous hissera quand même à 7'134 mètres.
Dernière curiosité de Karakol, son musée municipal qui a la particularité d'abriter depuis 2016 une salle entièrement dédiée à 125 photos réalisées par Ella Maillart durant son voyage et qui a pu être réalisée grâce aux apports du Musée de l'Elysée et de l'ambassade suisse.
Voilà, j'espère que ce petit tour hivernal des Monts célestes (monts Tian Shan en chinois, Monts Tengri en turcique) vous aura fait envie, que nous aurons l'occasion de nous y croiser prochainement sur l'une ou l'autre piste avant d'allumer une bougie et de cracher par terre quelques gouttes de vodka en hommage aux âmes supérieures du tengrisme, ce chamanisme mâtiné de bouddhisme tibétain et de taoïsme chinois dont ces montagnes sont le berceau…
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@willoft 16.03.2024 | 13h53
«Y a-t-il encore de la neige à 1200 mètres
Même chez les shamans d'oukasie?»
@stef 23.03.2024 | 18h18
«Ça fait envie ! (sauf pour le ski, que je ne pratique pas. Mais pour le dépaysement, oui »