Actuel / Retirer le «C» de PDC: malaise sur les fondamentaux ou opération de toilettage?
Damien Clerc vient de publier un «Petit manifeste de la démocratie chrétienne». Interview de ce constituant valaisan guère enthousiasmé par le manque de débat autour de la dénomination Le Centre, avant que le parti ne tranche la question en novembre prochain.
Une année après les élections fédérales, le PDC suisse a empoigné sa question préférée: Faut-il garder le «C» de «chrétien»? N’est-ce pas un repoussoir pour toutes les personnes qui se verraient bien adhérer aux valeurs du parti, mais qui sont profondément gênées par l’allusion religieuse? N’est-ce pas cependant aussi ce qui constitue l’identité même du parti, la politique de démocratie chrétienne?
Ceux qui soutiennent le maintien déclarent que le parti perdrait une part essentielle de son identité en renonçant au «C», qui symbolise les valeurs de la solidarité, de la dignité humaine et de la famille; une grande partie de l’électorat rural et du troisième âge ne s’y retrouverait plus, et risquerait de quitter définitivement le navire. Ceux qui au contraire sont favorables à l’appellation «Le Centre», proposée par le président Gerhard Pfister, qui reste personnellement attaché aux valeurs chrétiennes de son parti, soulignent que l’allusion au christianisme n’est plus au goût du jour. Pour eux, il est minuit moins 5, c’est le dernier moment pour se poser sérieusement la question du changement de nom: le PDC ne cesse de perdre de l’influence, si les revers électoraux continuent, cela finira par être trop tard pour repenser quoi que ce soit.
La question est désormais ouverte au vote des membres du parti jusqu’à la fin octobre. Il reviendra ensuite à l’assemblée des délégués qui se tiendra le 14 novembre prochain de trancher.
Interview de Damien Clerc, professeur de philosophie à Sion et élu PDC pour la Constituante du canton du Valais, qui a publié un Petit manifeste de la démocratie chrétienne, histoire de cerner l’idée qu’il se fait de cette politique, de ses racines à son avenir. Il plaide pour que le parti s’occupe d’abord du fond plutôt que de la forme.
Damien Clerc, constituant valaisan auteur du Petit manifeste de la démocratie chrétienne. © DR
BPLT: On imagine bien que vous avez rédigé ce Petit manifeste de la démocratie chrétienne pour intervenir dans le débat actuel qui ébranle le PDC. Mais aviez-vous une motivation plus profonde?
Damien Clerc: C’est plutôt l’absence de débat au sein du parti qui a déclenché l’écriture du livre. J’ai été choqué, ou du moins interpelé, de l’opération marketing qui a été présentée aux membres du PDC. Les instances dirigeantes nous ont parlé de réforme du parti, alors qu’en réalité il n’est question que de savoir sous quelle image le parti va mieux vendre. Je me suis dit qu’on passait alors complètement à côté d’une vraie réforme. Une réforme demande en effet que l’on revisite avec sérieux et honnêteté nos racines et notre identité. Pour que vraie réforme il y ait, il faut plus qu’un simple sondage: un débat de fond s’impose.
Au risque de changer totalement l’identité du parti?
Oui, et pourquoi pas? Ce qui compte pour le PDC, c’est de déterminer une nouvelle vision politique en fonction des défis actuels, quitte à ce qu’une grande part de ses idées changent radicalement; là n’est pas le problème.
Pourquoi avoir choisi le terme très politique de «manifeste» qui peut autant faire rire qu’effrayer?
La raison de mon choix est très simple: si vous écrivez un petit texte en faveur d’une vision politique, eh bien cela s’appelle un manifeste, un point c’est tout. Je me devais de nommer les choses telles qu’elles sont pour être honnête envers le lecteur. Je vous accorde néanmoins que ce titre peut évidemment faire rire ou effrayer, dans la mesure où le terme peut laisser penser assez vite au Manifeste du parti communiste par exemple, ce que je trouve assez amusant par ailleurs. Enfin, il n’y a pas de raison que le communisme ou la gauche aient le monopole du terme «manifeste».
«ce sont en effet les démocrates-chrétiens qui ont été les premiers, dans l’histoire politique moderne, à donner une vision du consensus fort»
Votre ouvrage comporte des dimensions à la fois politiques, historiques et philosophiques. Pour ce qui est de la politique, vous brandissez plutôt fièrement le positionnement au centre dont se targue le PDC, mais en même temps vous critiquez les politiques qui ne vivent que de compromis faibles. Comment imaginez-vous un parti centriste qui ne tombe pas dans la tiédeur?
Sur l’échiquier politique, le centre est un espace dans lequel on essaie de faire vivre et le génie de la gauche, pour ce qui est de la solidarité sociale, et le génie de la droite, pour ce qui est de la liberté d’entreprendre en économie. Le tout en posant l’exigence de considérer avec respect et la tradition et le progrès, tous deux nécessaires à affronter les défis des temps actuels.
La définition est peut-être juste, mais un peu fourre-tout, non?
C’est là qu’il faut faire la distinction entre un centre de compromis faible et un centre de consensus fort. Pour moi, la démocratie chrétienne tient là son originalité: ce sont en effet les démocrates-chrétiens qui ont été les premiers, dans l’histoire politique moderne, à donner une vision du consensus fort, lequel n’est possible qu’à partir de ce que j’appelle une politique intégrale.
C'est-à-dire?
Une politique qui prend soin de regarder chaque dimension de la vie des citoyens, autrement dit, une politique qui intègre toutes les dimensions de l’être, y compris la dimension spirituelle avec une ouverture à la transcendance.
Est-ce vraiment le rôle d’un parti politique que de s’occuper de la spiritualité des gens?
Evidemment! Le parti politique se doit d’avoir une vision sur toutes les questions de la vie en société. Quelle vision avons-nous de la dignité de l’homme si nous nions sa dimension spirituelle? Il y a énormément de défis politiques très actuels qui demandent à ce que l’on prenne pleinement en considération la vie de l’esprit des hommes et des femmes: que ce soit l’euthanasie, la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, comme tant d’autres sujets éthiques. Je vous dirais aussi qu’avoir une vision complète de l’être humain amène également à considérer la totalité de réel. C’est fondamental pour les questions d’écologie. Quel regard portons-nous sur le monde? Quel rapport entretenons-nous avec la nature? avec ce qui nous dépasse? Ce sont des questions qu’un parti politique doit se poser.
«le fédéralisme suisse est en danger aussi si le centre est trop mou et n’assume plus son rôle fédérateur»
J’aimerais revenir encore sur votre expression de politique intégrale. La référence à l’écologie intégrale du pape François paraît claire. En fin de compte, on pourrait presque penser que la démocratie chrétienne n’évolue qu’au bon vouloir de l’Eglise: puisque le pape François parle d’écologie intégrale, eh bien allons-y avec une bonne couche de politique intégrale, question de montrer que nous sommes de braves cléricaux.
Attention, ne confondez pas tout. Premièrement, l’écologie intégrale n’a pas attendu le pape François pour exister; il en a simplement créé une synthèse claire et pertinente dans son encyclique Loué sois-tu. Cette écologie a ceci de génial qu’elle ne s’arrête pas au climat: elle englobe toute la création, des océans aux animaux, en passant par les végétaux et sans oublier bien sûr l’être humain. La politique intégrale s’en inspire dans la mesure où elle ne s’arrête pas aux questions économiques, mais elle prend soin de regarder chaque dimension de la vie de l’homme. Deuxièmement, je tiens à préciser qu’il n’est pas question de cléricalisme; si la démocratie chrétienne s’inspire de certaines paroles de papes comme de celles d’autres figures de sagesse, elle n’en devient pas pour autant une politique inféodée à l’Eglise. Quand je m’inspire de François pour réfléchir à ce que pourrait proposer le PDC en matière d’écologie ou en matière d’immigration, avec la force salutaire de son message sur notre capacité ou non à vivre pleinement une vraie hospitalité, je n’en deviens ni son serviteur ni son porte-parole; je considère simplement avec respect et attention une parole légitime qui ne parle pas à partir de rien.
Au niveau historique, on remarque que la démocratie chrétienne est très européenne. Vous expliquez d’ailleurs dans un chapitre à quel point elle a été importante pour la construction de l’Union européenne. La question peut déranger en Suisse, mais faut-il en conclure que tout démocrate-chrétien cohérent, respectant sa tradition politique, se doit d’être européiste?
Non, pas forcément. Certes, les démocrates-chrétiens ont largement travaillé à la construction de l’UE, mais parce qu’ils se trouvaient dans une situation bien particulière. L’Europe sortait de la guerre et des totalitarismes, et les démocrates-chrétiens se sont retrouvés à devoir restaurer la paix sociale et la prospérité économique : les grandes nations d’Europe se sont alors unies dans cette entreprise. Précision oblige, il ne faut pas oublier que la démocratie chrétienne compte parmi ses valeurs fondamentales celle de la subsidiarité. Or le principe de subsidiarité tend directement au fédéralisme. La démocratie chrétienne serait donc favorable à une Europe fédérale. Ce qui n’est toutefois plus possible car, à part l’Allemagne et l'Autriche qui ont gardé une démocratie chrétienne forte, les autres pays de l’Union ont basculé dans une polarisation politique gauche-droite, qui met à mal l’idée de concordance. Sans gouvernement de concordance, cette formule magique, le fédéralisme est mis à mal.
D’ailleurs, le fédéralisme suisse est en danger aussi si le centre est trop mou et n’assume plus son rôle médiateur: les socialistes et les libéraux ont tendance à tout vouloir résoudre de manière uniforme directement au niveau national, sans accorder l’importance qui se doit aux cantons.
«si le PDC s’alliait au PBD, il commettrait une grande erreur. Parce que le PBD est justement l’incarnation d’un centre mou, qui s’est totalement effondré.»
Et l’UDC, que fait-elle pour le fédéralisme?
Sur le papier, l’UDC se dit évidemment favorable au fédéralisme, mais quasiment tout ce qu’elle entreprend dans la pratique est contraire au fédéralisme. Leurs initiatives populaires nient les cantons, parce qu’elle ne visent toujours que le niveau fédéral.
Seuls les démocrates-démocrates défendraient-ils le fédéralisme selon vous?
Non, il y a aussi les radicaux – à distinguer des libéraux! – pour qui le fédéralisme est capital.
De fait dans votre livre on croit comprendre que vous rêvez à une alliance au niveau suisse entre démocrates et radicaux. Est-ce bien réaliste, du moment que le PDC a plutôt des vues sur le PBD (Parti bourgeois démocratique), et que les radicaux se sont déjà alliés aux libéraux il y a plus de dix ans?
En tout cas, une chose sûre: si le PDC s’alliait au PBD, il commettrait une grande erreur. Parce que le PBD est justement l’incarnation d’un centre mou, qui s’est totalement effondré. Sans compter que, comme son nom l’indique, le PBD est un pari bourgeois; alors que le PDC, même s’il compte dans ses rangs également la frange bourgeoise, est avant tout un parti populaire. Pour ce qui est des radicaux, oui, ils se sont alliés aux libéraux; mais rien n’empêche que se produise chez eux un réveil de consciences, et qu’ils se rendent compte qu’ils sont en train de basculer avec les libéraux dans une idéologie politique qui n’est pas la leur. Dans sa tradition, le parti des radicaux est un parti de responsabilité, un parti réaliste, le parti qui a construit la Suisse.
Là vous draguez les radicaux, mais dans quel but concret?
Je ne drague personne (rires), rassurez-vous, je reconnais simplement aux radicaux leurs mérites. Je parle à partir de mon expérience d’élu à la Constituante en Valais. J’ai pu observer de session en session que les oppositions entre les membres d’une gauche bien marquée et ceux d’une droite bien à droite ne mènent pas à grand-chose: ils se lancent dans de grands débats, de grandes joutes verbales, en croyant du reste amuser la galerie. Mais il n’y a rien d’amusant, l’enjeu est trop important. J’en suis venu à me demander s’il restait des personnes dans la salle pour réfléchir aux vraies questions de société, et je me suis rendu compte que les seuls qui ont la tête sur les épaules sont les membres issus des partis qui ont l’habitude de gouverner, notamment les radicaux. Là j’ai pris conscience qu’il fallait travailler avec eux.
Abordons la question qui fâche : faut-il que le PDC garde le «C» de chrétien?
Cette question, le parti devra se la poser à la fin. Si vous me passez la métaphore, il faut d’abord se demander quel vin mettre dans la bouteille, et ensuite s’occuper de l’étiquette. Je ne pense pas qu’il faille à tout prix garder le «C»: ça, c’est une affaire d’étiquette, à définir seulement une fois qu’une réflexion de fond aura eu lieu sur l’identité que le parti veut se donner. En revanche, retirer le «C» sans vrai débat démocratique au préalable n’est qu’une manœuvre électoraliste, immature et pour le coup dangereuse.
Vous avez été très inspiré par le philosophe Emmanuel Mounier, dont vous citez une phrase centrale dans votre ouvrage: «On ne possède que ce que l’on donne.» En quoi cette phrase est-elle le leitmotiv du Petit manifeste de la démocratie chrétienne?
Cette phrase, fondamentale, permet de comprendre la relation entre l’être et l’avoir, qui est déterminante pour avoir une vision politique ajustée. Le capitalisme revient toujours au galop car il répond à la tendance pulsionnelle de l’homme. Plus le capitalisme s’impose et domine, plus l’homme qui se réveille tombe en réaction dans les populismes. Mais si l’on veut balayer les populismes, il faut comprendre correctement le rapport entre la propriété et la communauté. Comment possède-t-on réellement? En s’ouvrant à la communauté. Si mes propriétés entrent au service de la vie de la société, elles me permettent l’épanouissement personnel, en vivant réellement l’amitié, l’amour, la famille, la commune, la petite entreprise. Tout l’enjeu à travers cette phrase de Mounier est d’ordonner ses biens non plus à la possession individuelle mais au bien commun.
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