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Actuel / Pierre Margot: «La vérité? Personne ne la saura jamais»

Florence Perret

27 février 2018

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Référence mondiale dans les sciences forensiques, expert dans les affaires du «petit Grégory» en France ou de «Bloody Sunday» en Irlande du Nord, le Jurassien Pierre Margot, Vaudois d'adoption, connaît l'affaire Seznec pour avoir été là encore mandaté comme expert international par la Cour de cassation de Paris. Interview de l'expert nonante-cinq ans après les faits alors que rebondit ces jours l'une des plus célèbres affaires du 20e siècle.





PRÉAMBULE

Seznec: les dates clés

Guillaume Seznec et Pierre Quémeneur.

  • 30 juin 1923 Guillaume Seznec, 45 ans, est arrêté pour le meurtre de son ami (et associé?) Pierre Quémeneur, 46 ans, conseiller général du Finistère. La police le soupçonne d'avoir fait disparaître le corps (jamais retrouvé) au cours d'un voyage en voiture pour Paris un mois auparavant. Seznec ne cessera jusqu'à sa mort de clamer son innoncence.


    Le Journal du 1er juillet 1923 annonce l'arrestation de «Sezenec» (2e depuis la gauche).

  • 4 novembre 1924 Seznec est reconnu coupable et condamné aux travaux forcés à perpétuité. Le matricule 49.302 est embarqué le 7 avril 1927 avec 400 autres forçats sur La Martinière pour la Guyane. Sa peine sera commuée, onze ans plus tard, en vingt ans de réclusion.

                              Les forçats de La Martinière s'entassent à fond de cale, dans huit cages: les «bagnes».

  • 14 mai 1947 Après vingt ans de bagne, Guillaume Seznec, 69 ans, est débarqué au Havre le 1er juillet. Sa fille, Jeanne, et son beau-fils, l'accueillent chez eux.

                                                                      Guillaume Seznec, après 20 ans de bagne.

  • 13 février 1954 Seznec, 76 ans, succombe à ses blessures trois mois après avoir été renversé accidentellement par une camionnette à Paris.

  • 12 juillet 1995 Le collège d'experts internationaux, parmi lesquels Pierre Margot, professeur et directeur de l'Institut de police scientifique et de criminologie de l'université de Lausanne (IPSC) rend ses conclusions. Elles vont tout sauf dans le sens de la réhabilitation de Seznec.

  • 24-25 février 2018 L'ancien avocat de la famille Seznec, David Langlois, décide d'entamer des fouilles privées dans l'ancienne maison des Seznec à Morlaix sur la base d'un témoignage livré en 1978 par le fils de Guillaume: c'est Marie-Jeanne, l'épouse de Seznec, qui aurait tué accidentellement Pierre Quémeneur après que ce dernier lui avait fait des avances. Un chandelier, un corps allongé. Un vrai souvenir? Langlois, pour qui l'affaire est devenue un sacerdoce, y croit dur comme fer. Les fouilles entamées samedi dernier dans le cellier de la maison, muré depuis lors (en 1923?), ont permis de retrouver deux os vraisemblablement humains, dont une tête de fémur. Et une pipe. Celle de Pierre Quémeneur?

    La maison de la famille Seznec à Morlaix: 1923-2018. Le cellier aurait entretemps été muré.



Alors, professeur Margot, cette découverte, réaliste ou bidon?

Réaliste, car on n’a jamais retrouvé de corps. Mais est-ce celui de la victime de l’époque, Pierre Quémeneur, ou celui d’un autre?

L’ADN pourra-t-il encore parler 95 ans après les faits?

Cela dépend de l’état de l’ADN mitochondrial, de ce qu’il en reste.

Encore moins de chances donc que l'ADN théoriquement présent sur la pipe – de l’ADN de contact – soit utilisable.

En effet, il devrait être très dégradé après être resté au contact de l’eau, de la terre et des éléments.

Combien de temps avant de connaître les résultats?

Les médecins légistes de la police scientifique devraient pouvoir le déterminer assez rapidement. Une semaine environ, à moins bien sûr que d’autres affaires surgissent. On a attendu 95 ans pour celle-ci, ce n’est plus urgent.

Vont-ils enfin permettre de résoudre l’énigme Seznec?

Pas de réponse de Normand – on est ici Bretagne – mais une réponse à la suisse: JaNein. Ça ne résoudra pas en tout cas ce qu’il s’est passé. S’il s’agit bien du corps de Quémeneur, nous saurons qu’il est mort dans des circonstances criminelles mais nous ne connaîtrons pas les circonstances du cas. En fait, l’absence ou la présence de corps ne change rien à l’affaire.

Jamais des fouilles n’avaient été effectuées dans ce cellier?

Je ne peux pas imaginer que cela n'a pas été fait en 1924. Ils ont fouillé des lacs, des forêts, ils ont creusé. Mais sait-on jamais?

Nous avons trouvé un mètre cube de documents sur l’affaire!

La Cour de cassation de Paris vous a mandaté en 1994 pour une expertise préalable afin de savoir si cela valait la peine de rouvrir la procédure. Pourquoi vous?

Je n’étais pas seul (trois Français et un Allemand, ndlr). Mais outre le fait que j’étais francophone, ce qui était un avantage, nous avions passablement publié dans les domaines d’expertises à l'Institut.

Qu’avez-vous découvert dans les archives du Tribunal?

Presque un mètre cube de documents sur l’affaire! Des lettres de Marie-Jeanne Seznec, de Pierre Quémeneur, des documents pointant d’autres suspects, Pouliquen (beau-frère de Qémeneur, ndlr), Bonny (l’inspecteur controversé chargé de l’affaire). Mais tout ce que l’on a trouvé, c'était des documents à charge.

A l'instar du carnet du lait de Quémeneur …

Oui. L’un des éléments était ce carnet de notes. Pierre Quémeneur tenait un cahier de bord où il notait systématiquement tous ses rendez-vous, ses dépenses. Seulement, plusieurs pages manquaient dans le mois précédant (avril 1923, ndlr) sa disparition. En revanche, les notes sur son déplacement fin mai vers Paris étaient là. Les restaurants où il avait mangé, les frais de garage etc. Mais nous avons découvert que les noms des lieux avaient été effacés et remplacés. De plus, Seznec qui n’avait jamais tenu de carnet jusqu'alors, en a fait un pour ce voyage, mentionnant les mêmes lieux que ceux qui avaient été remplacés sur celui de Quémeneur…

Avez-vous trouvé au cours de ces trois années un élément majeur, un élément à décharge?

Nous avons trouvé toute une série de faits nouveaux, grâce notamment aux nouvelles techniques (infrarouge, ultraviolet, ndlr) mais jamais, à aucun moment, un élément à décharge.

Aviez-vous eu connaissance de ce témoignage de «Petit Guillaume», apparemment surgi de nulle part? Le fils de Guillaume et Marie-Jeanne aurait déclaré 1978, quatre ans avant sa mort, que sa mère avait tué accidentellement Quémeneur après que ce dernier lui avait fait des avances…

Non. Je n’en ai trouvé aucune mention dans les documents.

L’Affaire Seznec est un cas d’école. Vous y avez fait d’ailleurs maintes fois référence durant vos cours.

Oui, avec le film de Boisset notamment. Un bon film mais avec un parti pris: ici Seznec est innocent. Je l’ai visionné avec mes étudiants pour bien les biaiser. Et voir quels enseignements ils pouvaient en retirer.

Intéressant de voir comme on peut rendre crédible une histoire en l'absence de tout indice probant

Alors, Seznec, escroc ou assassin?

Aucune idée. Le tribunal l’a jugé assassin.

Et Pierre Quémeneur, tout blanc?

Non, c’était un homme très peu aimé dans la région, il n’avait pas été au front et lui aussi avait fait de l’argent durant la guerre. L’hypothèse que cet homme de droite ait pris un homme de paille (Seznec, ndlr) pour un trafic de Cadillac avec les Bolchéviques est vraisemblable.

Et ce rebondissement?

C’est un de ces rebondissements qui fait plaisir, ça fait du papier. Mais cela ne va rien changer sur le plan judiciaire. La vérité, j’en suis pratiquement certain, personne ne la saura jamais. A l’heure où on parle de fake news, il est intéressant de voir comme on peut construire une histoire et la rendre crédible en l’absence de tout indice probant. Aujourd’hui, on peut faire toutes les constructions intellectuelles que l’on veut, mais on ne pourra pas refaire l’histoire...

... une histoire, reconnaissez-le, passionnante.

Une histoire fascinante.


Le film



L'affaire Seznec (1992), d'Yves Boisset


Le site et le livre

Pour en finir avec l'affaire Seznec, Denis Langlois 


VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@schindma37 28.02.2018 | 15h22

«Pierre Margot avait raison : on ne saura probablement jamais la vérité . Les os retrouvés sont ceux d'un animal. Beaucoup de bruit médiatique pour rien !»