Actuel / Ne pas oublier le Yémen
Le bombardement de populations civiles, d’hôpitaux et d’écoles est un crime. Que ce soit dans la Ghouta orientale, à Alep, à Mossoul ou au Yémen. Des groupes radicaux islamistes ont tiré et tirent encore à l’aveugle – sporadiquement mais depuis plusieurs années – des obus sur la capitale syrienne, Damas. Cela encore après le cessez-le-feu promulgué ces derniers jours par le Conseil de sécurité des Nations Unies. En réponse à ces attaques la Syrie réagit avec une guerre d’agression disproportionnée contre la Ghouta orientale. Cela rappelle la guerre menée par Israël en 2014 contre la bande de Gaza (deux millions d’habitants) où au moins 1500 civils ont trouvé la mort. La justification donnée était la même: riposter aux tirs et protéger la population visée.
Urs P. Gasche, Infosperber
Dans la Ghouta vivent entre 350'000 et 400'000 personnes, civils, femmes et enfants, soumis à des bombardements des plus cruels. En un seul jour, les médias rapportent la mort de 80 civils, puis 21. Des images des victimes fournies par les «casques blancs» circulent dans les médias. On ne voit pas en revanche les dégâts des obus tirés par les rebelles, comme on ne voyait pas ceux des roquettes tirées par le Hamas en Israël (…)
Les gouvernements et les populations occidentales doivent assister à ces massacres dans l’impuissance. Les Etats-Unis aurait pu peut-être faire pression sur leur allié, l’Arabie saoudite, et d’autres groupes terroristes islamistes pour que ne soient plus livrées des armes vers la Ghouta occupée par eux. Mais comme ceux-ci visent la capitale syrienne, cela ne serait pas allé dans leur sens.
La sinistre liste
Il en va autrement au Yémen (27 millions d’habitants). Le pays est largement bombardé depuis des mois par une coalition que dirige l’Arabie saoudite avec le soutien logistique des Etats-Unis. La détresse et la misère y sont pires encore que dans la Ghouta orientale, si tant est que l’on puisse faire une telle comparaison.
13 des 27 millions d’habitants ont un urgent besoin d’aide pour leur survie, selon les données de l’ONU.
La guerre a fait déjà 6000 morts et 10'000 blessés, selon la BBC.
Ces dernières années, la guerre a contraint au déplacement de plus de trois millions de personnes.
La moitié des installations sanitaires a été bombardée et détruite.
Le choléra s’étend dans tout le pays. Selon le CICR et la BBC, on compterait un demi-million de malades et 1300 décès.
Jan Egeland, dirigeant norvégien de l’aide aux réfugiés, a parlé, en octobre déjà, d’une catastrophe humanitaire «d’une ampleur biblique» (…) Une cause importante de cette situation est liée au blocus maritime imposé par la coalition qui laisse entrer trop peu d’eau, de vivres et de médicaments. Aux côtés de l’Arabie saoudite se trouvent les Emirats arabes unis, le Qatar, le Koweit, Bahrein, la Jordanie, l’Egypte et le Maroc. La plupart de ces armées fournissent des avions de combat. Les Etats-Unis les soutiennent avec leur logistique, leurs services de renseignements et des armes.
Les armes de l'Occident
L’Occident pourrait atténuer la catastrophe et y mettre fin.
Le Conseil de sécurité pourrait exiger un accès libre aux secours et ordonner des cessez-le-feu temporaires, permettre aux organisations humanitaires d’accéder à la population. La Russie ne s’y opposerait pas. Tout au contraire, ce Conseil a renforcé les sanctions contre le Yémen, le 26 février 2018.
Les Etats-Unis pourraient suspendre leur soutien logistique à l’armée saoudite et exercer d’autres pressions sur ses alliés.
Même le Conseil fédéral suisse et le gouvernement allemand pourraient décider de stopper les livraisons d’armes à l’Arabie saoudite jusqu’à ce que le droit international soit respecté au Yémen.
Mais si politiciens et grands médias exigeaient cela, ils auraient aussitôt sur le dos les représentants de l’industrie d’armement et des acteurs politiques cyniques qui ne dénoncent pas les bombardements sur la Ghouta par compassion mais qui souhaitent voir s’installer en Syrie un gouvernement pro-occidental, ou au moins voir le régime Assad chassé de certaines régions du pays.
Quant au Yémen, de nombreux politiciens stratèges pensent avant tout à étendre la zone d’influence de l’Arabie saoudite et restreindre celle de l’Iran. Le sort tragique de 13 à 16 millions de Yéménites leur importe peu.
Un désert d'informations
Il n’existe pour le Yémen aucun «Observatoire des droits humains» avec siège en Grande-Bretagne (comme celui pour la Syrie), pas de «casques blancs» sur place pour diffuser informations et images sur la souffrance des populations civiles en détresse et en fuite.
Les médias ne sont jamais autant manipulés qu’en situation de conflits armés. Cela fait partie de la conduite de la guerre. Qui lit, écoute et regarde devrait donc se soucier particulièrement de la source des informations et des images, se préoccuper de ce que dit la partie adverse, s’interroger sur le choix des mots, s’assurer que ceux-ci ne dessinent pas simplement un schéma en noir et blanc mais donnent au contraire une vision nuancée de la réalité.
Précédemment dans Bon pour la tête
L’horreur des guerres. De celles aussi que l’on oublie, par Jacques Pilet
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