A vif / Affaire Vara: telle est prise qui… Tel est pris aussi
Les vacances à Oman de la conseillère d’Etat neuchâteloise Céline Vara lui valent un tombereau de reproches. Il s’agit pourtant d’un problème purement moral qui pourrait très bien revenir en boomerang vers celles et ceux qui l’agitent. Ce billet d’humeur aurait aussi pu être titré «fétichisation des convictions politiques».
La politicienne neuchâteloise Céline Vara est partie en vacances à Oman en famille, en avion surtout. Et bam!, la nouvelle est dans tous les journaux et la voilà tancée. La conseillère d’Etat est une élue écologiste qui n’hésite pas à critiquer les voyages en avion, comme lorsque le gouvernement fribourgeois a utilisé ce moyen de transport pour se rendre à Londres en 2019. Telle est prise qui croyait prendre…
Mardi, la politicienne a répondu à ses détracteurs par voie de presse, dans le quotidien Arcinfo. Il s’agissait de «vacances choisies pour leurs programmes avec les tortues marines et pour la faune particulière», explique-t-elle, ajoutant qu’elle avait bien mérité le droit de «passer ce moment privilégié avec [sa] famille». Une défense pleurnicheuse.
La paille et la poutre
Le problème de Madame Vara est d’ordre moral. La question n’est pas de savoir si elle a le droit de prendre l’avion pour aller assister au spectacle touristique d’une «faune particulière» mais de savoir comment elle fera désormais la morale à celles et ceux qui prennent l’avion pour aller assister à un spectacle touristique quel qu’il soit, serait-ce celui d’un bar à bière à Barcelone.
Le problème de celles et ceux qui la critiquent est lui aussi d’ordre moral – et j’exclus ici les calculs politiciens car c’est de bonne guerre. Que reproche-t-on à Céline Vara? De ne pas être alignée avec les convictions qu’elle revendique? Ou de ne plus servir de caution? Je penche pour la seconde proposition. Car en réalité, peu de personnes sont alignées avec les convictions qu’elles affichent. Du génocide dans la bande de Gaza à l’effet mortifère de notre mode de vie sur la flore et la faune – particulière ou non – en passant par les dictatures, le wokisme et tout ce que bon vous semble, la majorité des Occidentaux se contente le plus souvent de protestations ne remettant pas fondamentalement en question leur mode de vie, c’est à dire leur accès à la consommation de marchandises. Alors voter pour celui ou celle qui affiche les mêmes convictions donne bonne conscience: «Je vais en vacances à Bali en avion, mon téléphone portable est fait de métaux rares extraits dans des conditions épouvantables, chacune de mes recherches internet consomme de l’énergie et participe au réchauffement climatique… mais je vote Céline Vara.» Ça marche aussi à droite: «J’habite une maison construite par des Balkaniques, je suis soigné à l’hôpital par un médecin oriental, l’aide qui s’occupe de ma mère à l’EMS est africaine, certaines déviances sexuelles m’attirent, je profite largement des acquis sociaux conquis par la gauche… mais je vote UDC.»
Ambivalence ontologique
Voilà ce qu’a troublé Céline Vara: la fétichisation des convictions politiques et de celles et ceux qui les portent. Ceci dans un monde où – citer Guy Debord n’est jamais inutile – «tout ce qui était directement vécu s’est éloigné au profit d’une représentation».
Soyons lucides: que Madame Vara soit allée faire coucou aux tortues marines à Oman n’a pas plus d’incidence sur notre «présence au monde» que son action politique. Ce qui serait intéressant, c’est d’admettre que ses contradictions sont le miroir des nôtres. Dans un monde d’où la nuance est de plus en plus exclue, cela pourrait être comme une brise printanière, un vent nouveau et bienvenu. Mais Céline Vara est-elle en mesure d’admettre son ambivalence ontologique? Et nous?
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@Latombe 09.05.2025 | 08h38
«Roboratif!
Merci.»
@Maryvon 09.05.2025 | 10h04
«Oui vous avez raison, il y a eu bien trop de battages médiatiques sur cette affaire. Toutefois il y a une toute petite différence entre le citoyen lambda qui ne se prétend pas écologiste et Madame Céline Vara qui n'hésite pas à proférer des propos moralisateurs. Les verts savent maintenant qu'on les attend au tournant. L'erreur peut-être, c'est d'avoir accusé le transport aérien de tous les maux comme si c'était le seul responsable du changement climatique.»
@abarto 09.05.2025 | 12h09
«A mon sens, les personnes qui nous gouvernent doivent être EXEMPLAIRE. Un peu comme en terme d'éducation parents / enfants, maîtres d'école / élèves, maître d'apprentissage / apprentis, etc
S'il n'y a pas d'exemplarité s'installe alors un "nivellement par le bas". Processus qui malheureusement s'est, de trop installé, en Suisse aussi. Et à tous les niveaux de la société: comportement dans les transports publics, occupation des espaces publics, les "élites" politiques, les organisations humanitaires ( le CICR en tête), etc etc
Dans l'état de la planète, son dépouillement, j'ai beaucoup de difficultés à accepter l'idée de trouver des circonstances atténuantes à toutes ces personnes qui abusent du système et de leur positions. S'il n'y a pas d'exemplarité " par le haut", je vois mal comment les choses pourraient aller dans le bon sens.
Ou alors, définitivement et tous ensemble, on accepte que chacun prenne l'avion pour aller voir des tortues, un match de foot, un séjour all inclusive, que l'on consomme de plus en plus de contenus numériques ( bien plus émetteurs de CO2 que le transport aérien), qu'on ne pose pas de questions sur les métaux extraits du sol africain ou finlandais ( notamment pour voitures électriques) etc. Et comme ça, sur ce coin de la planète d'Europe centrale, on sera bien tranquilles. Open bar !
Dans ce lien, il est justement question d'exemplarité des élites:
https://elucid.media/environnement/la-societe-de-l-abondance-est-une-illusion-qui-corrompt-notre-humanite-philippe-bihouix
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