Actuel / Léon XIV et J.D. Vance partagent les mêmes modèles
A peine élu, le pape américain Léon XIV est déjà célébré ou vilipendé comme anti-Trump. Pourtant, à y regarder de plus près, plusieurs aspects de la doctrine chrétienne le rapprochent étonnamment du vice-président néo-catholique J.D. Vance.
Michael Meier, article publié sur le site Infosperber le 14.05.2025, traduit et adapté par Bon pour la tête
A peine entré en fonction, le premier pape américain a déjà l'étiquette «anti-Trump», le plus souvent présentée comme un label de qualité. Ainsi, l'expert du Vatican Nino Galetti le qualifie de «contre-projet à Trump» tandis que Martin Meier, de l'organisation caritative Adveniat, de «contraire de Donald Trump». D’autres critiques de droite partagent ce point de vue: pour l'ancien conseiller en chef de Trump, Steve Bannon, par exemple, le pape Léon est «le pire choix pour les catholiques ʺMagaʺ (ndlr. Make america great again)».
En effet, Robert Francis Prevost a toujours critiqué la politique migratoire impitoyable de Trump. Peu avant son élection comme pape, il s'est rangé derrière l'évêque auxiliaire de Washington, Evelio Menjivar, qui a comparé la souffrance des réfugiés sous l'actuelle administration américaine à la Passion du Christ. Par ailleurs, à la déclaration de J.D. Vance de la mi-février – selon laquelle l'ordre de l'amour (Ordo amoris) défini par Augustin, le père de l'Eglise, stipule que l'amour d'un chrétien doit s'adresser d'abord à sa famille, ensuite à sa communauté, puis à sa nation et après seulement aux autres hommes – Prevost avait vivement rétorqué dans le National Catholic Reporter: «J.D. Vance a tort: Jésus ne nous a pas demandé de hiérarchiser notre amour pour les autres».
Tous deux se réclament d'Augustin, le père de la morale rigide.
Et pourtant, c'est justement autour du nom de Saint Augustin que se révèlent des points communs entre le nouveau pape et le gouvernement Trump, en particulier J.D. Vance. «Je suis un fils de Saint Augustin», a déclaré le nouveau pape lors de sa première apparition sur la loggia de la basilique Saint-Pierre. Prévost appartient en effet à l'ordre mondial des Augustins, qu'il a parfois dirigé. Le vice-président Vance, quant à lui, attribue à Saint Augustin sa conversion au catholicisme en 2019. Comme il l'a souligné à plusieurs reprises, les œuvres de ce dernier, De la Cité de Dieu et Confessions, ont été déterminantes pour lui. Augustin, qui est passé du manichéisme au catholicisme en 387 et du statut de bon vivant et d'esprit libre à celui d'évêque et d'hypermoraliste, est généralement considéré comme le père de la morale rigide et de l'hostilité chrétienne à l'égard du plaisir. Pour Vance comme pour Prevost, il est une boussole morale.
L'aversion du républicain pour l'avortement et les causes LGBTQ est bien connue. Prevost a lui aussi pris fait et cause pour le mouvement anti-avortement en postant en 2015 des photos de la Marche pour la vie à Chiclayo, au Pérou, avec le commentaire suivant: «Défendons la vie en tout temps!» Lors du synode mondial des évêques de 2023, il s'est prononcé contre le diaconat des femmes, qui ne ferait que conduire à leur cléricalisation. Il a également critiqué le mode de vie homosexuel et les modèles familiaux alternatifs. Il est réticent à l'égard de la bénédiction instantanée pour les couples homosexuels, autorisée par François.
Partisans de la doctrine sociale catholique
Outre Augustin, Léon est également un nom qui a une signification programmatique pour les deux adversaires. Le cardinal Prevost s'est donné le nom de pape Léon XIV − en référence à Léon XIII (1878-1903) −, considéré comme le grand pape social du 20e siècle. C’est à lui que l’on doit la doctrine sociale catholique avec l'encyclique sociale Rerum novarum (sur la question ouvrière) de 1891. Face à la misère de masse du prolétariat ouvrier pendant les débuts de l'industrialisation, il a exigé la justice salariale et le respect du droit de coalition (ndlr. droit de grève à certaines conditions). En somme une voie médiane entre le libéralisme et le socialisme. Léon XIV avait déjà clairement indiqué qu'il souhaitait promouvoir la paix et la justice sociale.
Vance et le nombre croissant de (néo)catholiques qui se regroupent autour de lui se réfèrent également à la doctrine sociale catholique comme fondement de leur vision d'une renaissance religieuse sociétale. Face à l'élite libérale qui s'oriente vers les droits illimités de l'individu, Vance met en avant le communautarisme orienté vers le bien commun. Il souhaite que la «société post-libérale» soit soumise aux valeurs morales de l'Eglise catholique et à sa doctrine sociale, visant en fin de compte un Etat chrétien nationaliste. Là encore, Vance peut se référer à Léon XIII. Car celui-ci n'était pas seulement un grand réformateur social et un médiateur international, mais aussi un adversaire des révolutions européennes et de la démocratie. Son programme de restauration s'inspirait de l'ordre de l'Eglise et de l'Etat du haut Moyen Age et ne touchait pas à la constitution chrétienne de l'Etat.
Un pape intelligent, cultivé et polyglotte
Il serait intéressant de savoir comment le nouveau pape se positionne sur ces questions. Lui qui a été missionnaire au Pérou et qui souhaite une Eglise missionnaire tentera sans doute de christianiser la société. Lors de sa première messe en tant que pape, vendredi dernier dans la chapelle Sixtine, devant les cardinaux réunis, il a esquissé son programme et sa vision d'une Eglise missionnaire dans une ère séculière. Il a ainsi fait écho à François, qui n'avait cessé de souligner que l'Europe séculière était en train de perdre son âme.
Mais seul le temps permettra de savoir si le collège cardinalice a choisi l'Américain par calcul politique et s'il veut même en faire un anti-Trump. Prevost, en homme du centre, ne cherchera pas à provoquer une controverse bruyante avec l'administration Trump. Il est trop intelligent et trop cultivé pour cela. Ses arguments seront tout en nuance, certainement bien plus que ceux de Trump qui a pourtant salué l'élection d'un pape Américain comme un honneur pour les Etats-Unis.
Il est possible que le collège des cardinaux veuille, par ce choix, corriger l'attitude anti-américaine de l'Argentin Jorge Mario Bergoglio et, par le biais du pape américain et de ses diplomates, rendre à nouveau apte au dialogue l'axe transatlantique endommagé. Certes, les cardinaux n'ont pas seulement élu un homme polyglotte, cultivé et pieux à la tête de l'Eglise, mais aussi un cardinal de la Curie avec une expérience de direction, qui doit aider l'Etat pontifical à sortir de sa situation financière précaire. Là aussi, de bonnes relations avec les Etats-Unis et leurs généreux fidèles seront un grand avantage.
Michael Meier est théologien catholique romain et journaliste depuis 1987. L'année dernière, il a publié le livre «Der Papst der Enttäuschungen - Warum Franziskus kein Reformer ist» (Le pape de la déception - Pourquoi François n'est pas un réformateur) aux Editions Herder.
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