Média indocile – nouvelle formule

Actuel

Actuel / Les vents mauvais de l'est

Jacques Pilet

21 juillet 2017

PARTAGER

Clameurs à Varsovie: chaque soir des foules protestent dans la rue contre la volonté du gouvernement d’asservir la justice au pouvoir. Le parti dominé par l’inénarrable Jaroslaw Kaczynski s’en moque. Comme il se moque des mises en garde de l’Union européenne. En Hongrie, les médias gouvernementaux déversent des horreurs sur la «mafia de Bruxelles». En République tchèque, le milliardaire Andrej Babis, ministre des finances, s’apprête à gagner les prochaines élections. Lui aussi s’oppose sans cesse aux discours tenus au Parlement européen et à la Commission. Les vents anti-démocratiques de l’est sont plus dangereux pour l’Union que le Brexit. Car là, ce n’est pas une question de sous mais de principes.



La colère des Polonais et Polonaises attachés à l’Etat de droit n’en finit pas de gronder. Les manifestations de rue attirent maintenant des jeunes, c’est nouveau, et des gens jusque là non rompus à la politique. La presse restée libre – jusqu’à quand? – se déchaîne aussi. Pourquoi? Parce que le gouvernement veut en finir avec la séparation des pouvoirs selon Montesquieu. Le système judiciaire doit être, lui aussi, aux ordres du parti. Ce parti conservateur Droit et justice (PiS) a déjà désamorcé les compétences du Tribunal constitutionnel et changé sa tête. Il y eut alors de vives protestations mais l’affaire restait abstraite pour l’opinion. Aujourd’hui, beaucoup de gens comprennent qu’en nommant directement les juges, en mettant la main sur toutes les affaires, le pouvoir menace leurs libertés.

L’Union européenne juge que cette nouvelle loi porte atteinte aux principes mêmes de la maison commune. Certains, à Bruxelles, envisagent des sanctions: priver la Pologne du droit de vote. «Une bombe nucléaire», disent-ils. Une bombinette plutôt qui pourrait au contraire renforcer les nationalistes. D’autant plus qu’il faut l’unanimité des membres pour cela. Or la Hongrie s’y opposerait. Alors quoi? Couper le robinet des milliards déversés chaque année sur la Pologne au titre de la solidarité? Les Allemands, pour l’instant, s’y refusent. Sur leur voisinage de l'est, ils avancent comme sur des œufs. Le passé est si lourd. 

Reste à espérer que la colère populaire prenne de l’ampleur et finisse par troubler les caciques ultra-nationalistes. Mais leur majorité a encore plus de trois ans devant elle. On n’a pas fini de s’indigner. Le prochain pas annoncé, en contradiction encore avec toutes les règles européennes, c’est une loi interdisant aux étrangers de posséder plus 30% des entreprises de médias. Le groupe Ringier Axel Springer a du souci à se faire.

La Hongrie honore l’homme qui a déporté les Juifs

Du côté de Budapest, cela chauffe aussi. Le premier ministre hongrois Viktor Orban ne se reconnaît non plus dans la charte européenne. Il apprécie certes les flux d’aides financières en provenance de Bruxelles, mais il déteste l’institution. Un de ses proches, le chroniqueur Zsolt Bayer, vient d’écrire ces mots délicats: «Si l’Union européenne poursuit sur la même route, il faut en sortir, il faut quitter toute cette porcherie infernale, il faut l’envoyer se faire voir, il faut fermer nos frontières, quant à ceux qui y attendent pour entrer, qu’ils crèvent!»

Ultime provocation: Orban vient de faire l’éloge de Miklos Horty, le dirigeant hongrois longtemps allié de Hitler, qui certes a tourné sa veste avant la fin de la guerre mais reste considéré comme coresponsable de l’extermination de centaines de milliers de Juifs. La communauté juive de Budapest (on y compte vingt synagogues) s’est émue. Mais pas le premier ministre israélien Netanyahou qui vient de passer trois auprès de son ami Orban! Comble du cynisme. Leurs affinités? Ils sont tous deux épris du pouvoir fort, tous deux sont allergiques aux musulmans et se trouvent réunis dans la haine d’un homme: George Soros, le milliardaire américain d’origine hongroise qui finance des universités dans plusieurs pays de l’est, notamment en Hongrie. Son tort: prôner les principes de la démocratie occidentale – ainsi qu’au passage les intérêts des Etats-Unis – et avoir rappelé les droits des Palestiniens.

Le gouvernement a lancé une campagne d’affiches inouïe (pour 35 millions d’euros) mettant Soros au pilori. Traité de manipulateur, de tireur de ficelles du capitalisme pourri… La thèse du complot juif et international est sous-jacente. Ce qui n’empêche pas Orban, devant son hôte israélien, de se défendre tout antisémitisme. La résistance à ce pouvoir paranoïaque s’organise aussi en Hongrie. Mais elle n’a pas l’ampleur de la protestation polonaise. 

Le milliardaire tchèque en marche

La situation politique à Prague n’est guère plus réjouissante. Un pataquès s’y est produit en mai. Le premier ministre a démissionné puis est revenu sur sa décision dans la même semaine. A la clé, son hostilité à l’endroit du vice-premier ministre, en charge des finances, le milliardaire Andrej Babis, propriétaire du groupe Agrofert, de plusieurs journaux et autres médias. Ce fils d’un diplomate communiste élevé à Genève a fait fortune au moment des privatisations. Puis il a créé un mouvement politique qui a connu de grands succès: le «parti des citoyens mécontents». Il est crédité de 30% des intentions de vote aux élections législatives du 20 octobre prochain. Ce qui, grâce au jeu des alliances douteuses, pourrait ouvrir la voie de la présidence à ce démagogue de compétition. Un eurosceptique lui aussi: il ne veut pas que la République tchèque rejoigne l’euro et ne veut pas entendre parler d’accueillir des réfugiés. 

Les auteurs d'un livre sur le personnage, Le Baron jaune, Jakub Patočka et Zuzana Vlasatá, sont traînés devant les tribunaux. Un film sur le même sujet est banni de la plupart des salles.

A la différence de la Pologne et de la Hongrie, la République tchèque ne connaît pratiquement aucun mouvement de protestation contre cette dérive politique, contre les conflits d’intérêts, contre le verbiage grossier et opportuniste d’un haut dirigeant. La gauche est exsangue. La droite libérale s’en fout tant que ses affaires restent florissantes.

L’Europe a mal à son flanc est. A l’ouest, désemparée, elle préfère détourner le regard. Doit-elle se fâcher? Ou tenter d’ultimes manœuvres de raison? C’est ce pari qu’a fait le président français. Macron a prévu un voyage auprès d’Orban cet automne.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

0 Commentaire

À lire aussi