Actuel / Les Romands sont privés d’Ecoles suisses à l’étranger
Sur les dix-sept institutions helvètes présentes dans le monde, quinze sont destinées aux élèves germanophones.
Ils s’appellent Patrick* et Véronique*. Le rêve de ces Genevois? Partir habiter une année à Barcelone avec leurs deux enfants de 13 et 14 ans. Une destination idéale à leurs yeux, d’autant plus qu’elle abrite l’une des dix-sept Ecoles suisses de l’étranger. «C’était parfait car cela permettait à nos ados de poursuivre le programme suisse et donc de ne pas avoir de problèmes d’équivalence à leur retour!»
Malheureusement, cette famille a du renoncer à ce projet. En cause: le fait que l’institution ne dispose pas de programme en français. «Le cursus est bilingue espagnol-allemand et le niveau d’allemand de nos enfants n’est pas suffisant pour envisager de suivre les cours dans cette langue», déplore Véronique.
Comme cette famille Genevoise, d’autres Romands sont confrontés à ce type de problème puisque sur les dix-sept écoles suisses de l’étranger (huit en Amérique du sud, deux en Asie et sept en Europe), seules deux dispensent leur programme bilingue dans la langue du pays et en en français: elle de Bogota (Colombie) et celle de Cuernavaca (Mexique) qui vient d’ouvrir une filiale francophone.
Origines suisses-allemandes
Cette inégalité de traitement est-elle normale sachant que la Confédération subventionne ces institutions à hauteur de dix-huit millions de francs par année? «Ce n’est effectivement pas équitable, mais il existe une raison, explique la directrice d’Education suisse Barbara Sulzer. Il faut savoir que ce n’est pas la Confédération qui créé ces écoles, mais des Suisses émigrés qui se regroupent en associations dans ce but et qui demandent ensuite une reconnaissance et des soutiens financiers à la Confédération (environ 25% du budget de l’institution). Historiquement, il s’avère que dans la quasi totalité des cas, les personnes à l’origines de ces écoles étaient issus de cantons suisse-allemands.»
L’explication tient la route, mais reste que nombre d’élèves romands sont contraints de rejoindre des écoles françaises ou internationales (dans lesquelles ils ne bénéficient pas de rabais, ne sont pas prioritaires et ne suivent pas le plan d’étude scolaire suisse) afin de suivre leur scolarité à l’étranger. Une inégalité de traitement que la nouvelle Loi fédérale sur la diffusion de la formation suisse à l'étranger, entrée en vigueur en janvier 2015, n’a pas suffi à combler. «Le texte stipule que ces écoles doivent enseigner au moins dans une des langues nationales suisses. Dans la grande majorité des cas c’est effectivement l’allemand, confirme Fiona Wigger, responsable du dossier des Ecoles suisses de l’étranger à l’Office fédéral de la culture (OFC). Afin de promouvoir l’ouverture de filiales francophones nous avons introduit dans la nouvelle loi la possibilité de bénéficier d’une contribution supplémentaire de 8% pour les écoles qui enseignent dans deux langues nationales.»
Mesures incitatives
Un petit bonus sensé rétablir une certaine équité entre Romands et Alémaniques, mais qui ne suffit apparemment pas puisque depuis janvier 2015, seule une nouvelle filiale francophone a vu le jour au Mexique (Cuernavaca). «Il existe également des projets d’école francophone au Maroc et une nouvelle institution ouvrira cet été à Pékin. D’abord germanophone, cette dernière pourrait également créer une filière francophone dans les années à venir», précise la responsable avant d’ajouter qu’il ne s’agit que de projets à ce stade. L’OFC indique également qu’une évaluation générale de l’efficacité de l’incitation prévue par la loi sera prochainement réalisée.
Un état des lieux vivement souhaité par les élus romands interrogés, à l’image de la Conseillère aux Etats vaudoise Géraldine Savary, membre de la Commission de la science, de l'éducation et de la culture du Conseil des Etats, qui compte soulever la question au sein du parlement fédéral. «Nous avions bien essayé de réduire ces inégalités lors de l’élaboration de la loi. Mais nous, Romands, sommes minoritaires et nos revendications n’ont pas passé la rampe. Plus de deux ans après l’entrée en vigueur de ce texte, il est grand temps de se reposer la question de l’efficacité de ces mesures!»
En attendant que le débat ait lieu, les Romands souhaitant disposer d’écoles francophones peuvent toujours créer une association et fonder leur propre Ecole suisse de l’étranger. «Si elles répondent au cahier des charges exigé par la Confédération pour obtenir le statut d’Ecole suisse de l’étranger, elles pourront bien évidemment bénéficier également de subventions», confirme Fiona Wigger.
Enfin, dans le cas ou la communauté romande serait trop petite pour se lancer dans un tel projet, il existe la possibilité d’inscrire son enfant dans une autre école privée et, pour autant que l’institution compte au minimum quinze élèves suisses, de demander un soutien à Berne. Dans ce cas là, la Confédération peut financer le salaire d’un professeur suisse qui se chargera de donner une touche de culture helvétique à ses élèves. A ce jour, quinze institutions bénéficient de ce type de soutien.
*Prénoms connus de la rédaction
Sur les traces historiques des migrants suisses
Il existe actuellement dix-sept écoles suisse de l’étranger. Situées à Bangkok, Barcelone, Bogota, Catane, Lima, Madrid, Milan (et sa filiale de Côme), Mexico (et ses filiales de Cuernavaca et Querétaro), Bergame, Rome, Santiago, Saõ Paulo (et sa filiale de Curitiba), et Singapour, elles ont vu le jour en trois vagues successives. «Il y a d’abord eu la création de plusieurs écoles en Italie à la fin du XIXe siècle suite à l’émigration de nombreux entrepreneurs suisses venus travailler dans le secteur industriel à Bergame et Milan, par exemple», indique Fiona Wigger. La deuxième vague concerne principalement les écoles sud américaines, créées entre 1939 et 1948 par des Suisses alémaniques ne souhaitant pas rejoindre des institutions allemandes en raison du nazisme. Enfin, plusieurs institutions ont vu le jour dans les années soixante afin de répondre aux besoins des familles «expats», en Asie notamment.
Alors que le but des ces institutions était initialement d’assurer une formation aux jeunes Suisses de l’étranger, leur mission première a changé depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi fédérale sur la diffusion de la formation suisse à l'étranger. Leur mission première est désormais de favoriser la présence culturelle et éducative de la Suisse à l’étranger.
Au total 7500 élèves, dont 1800 enfants suisses, fréquentent ces institutions.
Guerre des noms
S'il existe moins de vingt Ecoles suisses à l’étranger aujourd'hui, nombreux sont les instituts qui portent le nom d’Ecole suisse sans avoir d’attache avec notre pays. Une situation suivie de près par la Confédération qui mène actuellement deux procédures diplomatiques en Egypte et au Qatar suite à l’ouverture d’entités éducatives portant le nom de «Swiss schools» et n’ayant aucun lien avec ce pays.
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