Actuel / Le poids de l’histoire, révélateur et si lourd
Les tragédies du 20e siècle laissent plus de traces dans l’âme des peuples qu’on ne le dit dans le brouhaha de l’actualité. Lorsque le bientôt chancelier d’Allemagne veut livrer à l’Ukraine les missiles Taurus capables de frapper Moscou, lorsqu’il désigne tous les jours la Russie comme un péril global, celle-ci se sent provoquée. A oublier les traumatismes du passé, des irresponsables jouent avec le feu.
La présidente de la Commission européenne et la commissaire aux affaires étrangères vitupèrent et menacent les Etats qui seront représentés à Moscou le 6 mai pour la commémoration de la défaite du Troisième Reich. On ne doit pas rappeler que l’URSS, avec les Alliés, a vaincu le nazisme. Au prix de 25 millions de morts. Une «contre-manifestation» aura lieu à Kiev, dans une Ukraine où une part de la population s’est battue avec les Soviétiques et une autre aux côtés des Allemands.
Qu’Européens, Russes et autres pays autrefois fracassés n’aient pas réussi à célébrer ensemble les 80 ans de la fin du cauchemar hitlérien, c’est pathétique. Et dangereux. Se surarmer n’est pas se protéger, c’est préparer la guerre, tôt ou tard. Ou, mieux dit par le pape François à la veille de sa mort: «Aucune paix n’est possible sans véritable désarmement.»
Le cas de l’Allemagne est plus que troublant
Son ministre de la Défense, Boris Pistorius, socialiste, appelle la population à devenir «kriegstüchtig», apte ou appliqué à la guerre. Le mot même que rabâchait Goebbels. Aucun parallèle de situations, mais la musique du discours, ça compte.
Quant à Friedrich Merz, le champion du zigzag qui annonce tout le contraire de ce qu’il a promis pendant sa campagne, il tente de faire oublier l’état brinquebalant de la République fédérale en brandissant la peur d’une guerre sur son sol. Cet ex-dirigeant de BlackRock, le mégagéant qui investit d’ores et déjà en Ukraine, se souvient-il de son grand-père entré dans le parti nazi en 1938? Sans doute plus de son père, soldat détenu quatre ans dans les geôles soviétiques. Pas sûr néanmoins qu’il mesure l’effet de ces incessantes tirades antirusses chez le grand voisin, hier encore précieux partenaire. Pas sûr non plus que cet affichage belliqueux serve sa position politique bien qu’une majorité d’Allemands soit favorable au «soutien de l’Ukraine». L’AFD, à droite de la droite, plus critique à cet égard, est en ascension dans les sondages, avec une intention de vote de un sur quatre au détriment de la CDU.
Le passé: clé de compréhension ou poids émotionnel pénalisant
On songe à la «ministre» européenne des affaires étrangères, Kaja Kallas, estonienne, dont la mère a été déportée en Sibérie en 1940, à l’âge… de six mois, dans les bras de sa maman. Son ascendance a été accusée de collaborations d’une part avec le nazisme, d’autre part avec le communisme soviétique. Cette histoire familiale explique sans doute son emportement contre la Russie d’aujourd’hui. Contreproductif dans la phase actuelle où l’Europe tente de reprendre pied dans la nécessaire négociation de paix.
S’il y a un pays européen où les blessures de l’histoire sont encore vive, c’est bien l’Ukraine. Son pan galicien, autour de Lviv, est encore marqué par l’idéologie hypernationaliste de Bander, l’allié des nazis. Dans l’est russophone, on n’a pas oublié la guerre menée dès 2014 par l’Etat contre les autonomistes devenus séparatistes, la mise à l’écart de la langue maternelle, la suspension des rentes vieillesse, les milliers de victimes. Il ne s’agit pas de justifier l’insensée et illégale agression de la Russie. Il s’agit de comprendre. Peut-on encore se livrer à cet exercice sans reprendre le catéchisme d’un camp ou de l’autre?
Ce souci d’aborder froidement la complexité, de se souvenir de l’histoire, c’est affaire d’honnêteté intellectuelle mais pas seulement, c’est aussi une approche utilitaire. Trump l’a appris à ses dépens, lui qui voulait en finir avec la guerre en deux coups de cuillère à pot. Macron également qui se voyait trop vite parader devant les troupes tricolores et britanniques sur le terrain, pour «garantir le cessez-le-feu», disait-il. Poutine enfin qui comptait sur son pote américain d’occasion pour arrêter le massacre et le voit aujourd’hui pressé surtout de mettre la main sur les ressources du sol et du sous-sol ukrainiens.
A l’est, la grogne monte
Faute de considérer toutes les pièces du jeu, les dirigeants européens vont au-devant de sérieuses déconvenues chez eux. Le «récit» simplifié et dominant est certes puissamment matraqué par les médias. Il n’empêche que beaucoup de simples contribuables, dans tous les pays, s’interrogent sur la pluie de milliards déversées à Kiev. Selon Zelensky lui-même, une bonne part n’arrive pas aux destinataires. Discrètement empochée au départ, en chemin, à l’arrivée? La grogne monte, soigneusement tue, dans plusieurs pays. Jusqu’en Pologne où l’on s’irrite du va-et-vient des voitures du luxe ukrainiennes. Même dans la sage Tchéquie où l’inflation sévit et où le coûteux soutien à Kiev pourrait peser sur les élections. En Roumanie aussi où l’opposition réprimée demande des comptes à ce sujet au gouvernement si solidaire avec «l’Occident».
Le pacifisme est mort avant le pape
Pâques était l’occasion autrefois de manifestations en faveur de la paix. Ce n’est plus l’habitude. Cette année, il s’est trouvé moins de mille obstinés à la réclamer dans la rue à Berne. En Allemagne, en France, ailleurs en Europe, rien de rien. Mais la réalité des faits nous contraindra tous, tôt ou tard, à nous souvenir de l’appel de François. Ou alors nous marcherons vers une nouvelle apocalypse. En somnambules, comme il a été dit à propos de l’été 1914.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
4 Commentaires
@Foenix 25.04.2025 | 10h12
«Aveugles ? Peut-être pas. Mais désarmés devant cette triste réalité : sans doute !»
@Maryvon 25.04.2025 | 10h36
«Certains dirigeants allemands et européens semblent être frappés d'un Alzheimer précoce. Ce n'est heureusement pas le cas de la plupart des peuples européens. Souvenons nous des paroles du pape François. J'ajouterais encore que certains médias qui diffusent des informations la journée faite sont toxiques. Ces journalistes et observateurs qui prônent la guerre à tout prix, peut-être par ennui, influencent malheureusement beaucoup trop l'opinion publique. »
@Paul Véhunt 25.04.2025 | 10h50
« Cher Jacques, tu écris ' l’insensée et illégale agression de la Russie' alors que ton ami Jacques Baud démontre preuves à l'appui dans ses livres que la Russie a été mise au pied du mur en intervenant le 24 février 2022 pour sauvegarder la population du Donbass attaquée massivement le 16 février , 8 jours avant, par les forces ukrainiennes réarmées par les occidentaux (une guerre contre leur propre peuple !), attaque annoncée préalablement pour cette date par Biden. Par ailleurs Jacques Baud démontre aussi la légalité de l'intervention russe selon les règles de l'ONU en cas de menace sur l'existence d'une population voisine d'un Etat. Il est tellement évident que la guerre entre l'Ukraine et la Russie a été voulue et planifiée par les USA dès le début des années 90 et théorisée en 2019 par la Rand Corporation que je m'étonne qu'on ne puisse en tenir compte. Amitiés.
Jean-Marie Chauvier a fait en 1991 et 1992 un magnifique film en Transcarpatie ukrainienne sur le passage d'un monde à un autre suite à la fin de l'URSS en décembre 1991. On y parle déjà en 1992 d'un futur conflit entre Russie et Ukraine selon les services US !
https://www.sonuma.be/archive/loin-de-moscou
»
@Latombe 25.04.2025 | 12h09
«Il est fait mention ici du poids de l’histoire, jolie formule, mais qui n’a peut-être aucune application…
Dans nos pays européens, quelle histoire enseigne-t-on ? y a-t-il une culture commune à la trentaine de pays européens ? et ensuite quelle histoire la majorité silencieuse a-t-elle retenu ?
Dans certains cercles intellectuels, l’histoire, mais toujours seulement un pan, est invoquée pour justifier telle ou telle position idéologique face aux événements du monde. Là ont lieu des débats d’idées habités d’une certaine profondeur historique, mais dans la population en général, quid ?
Invoquer l’histoire en général ou les propos particuliers de M. Baud ne fait pas avancer grand-chose aux choix politiques à faire dans notre petite Suisse. Il faut passer par des valeurs, historiquement construites sur les luttes de nos aïeux et traduites dans des institutions internationales : droits humains, droits des peuples à l’autodétermination, droit international humanitaire, règles du commerce mondial, … tout cela dans un esprit de recherche de la justice et de la paix.»