Actuel / La radio est morte, vive l'audio!
La révolution du numérique a fait pousser comme des champignons des podcasts, ces petits documents audio numériques plus ou moins longs, écoutables en ligne ou en les téléchargeant sur un téléphone ou un ordinateur. 2019 est l'année de l'explosion de ces nouveaux contenus produits par vous et moi, ou par des producteurs de contenus qui ont compris qu'il y avait un marché dans la francophonie, comme pour les autres langues de ce monde. Le but étant d'être écouté et de pouvoir en vivre. Les radios traditionnelles ont aussi lancé des contenus, pour la plupart, sentant que le public se déportait de plus en plus vers les plateformes de podcast. Enquête, entre Lausanne (aux Radio Days Europe), Stockholm et Paris.
Derrière notre titre provocateur, on se doit d'être rassurants pour les amateurs de la radio, ce bon vieux poste à galène devenu receveur DAB+/FM va continuer de cracher du son vocal ou musical, c'est quasi une certitude. Mais il est vrai que les podcasts prennent de plus en plus de poids dans les audiences. D'un point de vue d'auditeur, la radio est toujours vivante, avec les programmes des chaînes publiques et ceux plus localisés en Suisse, produits par le secteur privé. Le futur semble assez positif, car la crédibilité du medium radio est toujours plus solide que les chaînes de télévision, journaux de presse écrite et, dans une plus grande proportion, que les journaux en ligne.
Le salon Radio Days Europe, qui réunissait au début du mois les acteurs les plus importants de l'industrie radio, ainsi que de nouveaux acteurs spécialisés dans la production de contenus digitaux (pour les plateformes de podcasts comme NPR one, Radio Public, Acast, Castbox, Podcast Addict, Elson), a passionné plusieurs milliers de participants au SwissTech Convention Center de l'EPFL. Il faut préciser que le secteur de l'audio est en plein boom économique: tous les grands acteurs médias investissent dedans.
Les podcasters, qu'ils appartiennent à des groupes média ou qu'ils soient indépendants, viennent avec une mentalité de start-uppers, hackant la distribution verticale du mass media aux larges bassins d'auditeurs dans leurs autos ou sur un récepteur de maison, en proposant un mode de diffusion de producteur à consommateur unique. L'un des intervenants du salon, Paul Keenan, le grand patron de Baeur Media au Royaume-Uni (Kiss FM, Magic FM, Jazz FM et Absolute, entre autres stations de radio) touche 22 millions d'auditeurs dans tout le pays. Il a peint un tableau très ambitieux pour ses médias hertziens diffusant à la fois en FM et en DAB+, et créant des contenus nouveaux au sein de ses radios pour toucher des amateurs de podcasts. Les contenus disponibles en podcasts sont toujours plus importants chez Bauer, ils le sont chez son concurrent public BBC grâce à l'application BBC Sounds, ainsi que chez IheartMedia qui a compris que ses productions de programmes radio syndiqués dans plusieurs villes américaines pouvaient rapporter gros sous forme de podcasts via les plateformes de podcasts de ses meilleurs produits (American Top 40 ou les animateurs Elvis Durant ou Ryan Seacrest le matin).
Privé et public réunis
En sérieuse opposante à la lutte privé/public, la patronne de radios publiques suédoises Cilla Benkö est intervenue au SwissTech Convention Center, pleine d'enthousiasme sur la révolution que vit son secteur. Elle a une vision qui réaffirme le pouvoir des groupes publics de médias. La Suède est un endroit où le secteur commercial est en plein boom avec l'arrivée de l'entreprise locale (et mondiale) Spotify sur le segment des podcasts. Le secteur privé a gagné un milliard de couronnes suédoises en 2018, pour la première fois, gagnant 77% de revenus en plus sur ces cinq dernières années.
Cilla Benkö de Sveriges Radio, la radio publique suédoise. © SR
Le Danemark a, de son côté, annoncé que la concurrence entre radios publiques et privées serait de moins en moins bridée car le gouvernement pense au bien commun et à l'utilité de chacun des acteurs. Cilla Benkö pense la même chose. «La radio publique suédoise, c'est 77% de citoyens satisfaits, et 86% des auditeurs qui disent que nous faisons un bon travail au service de la démocratie. L'objectif est de ne pas perdre les auditeurs que nous avons, c'est à dire 7 millions par semaine sur 10 millions d'habitants. On veut créer de nouveaux formats d'émissions, rendre les programmes d'information plus attractifs pour les auditeurs qui choisissent le podcast. On sait que les 15 premières secondes sont les plus déterminantes dans l'écoute d'un podcast.» D'où cette volonté des créateurs de programmes radio traditionnels de travailler leurs écritures. «Quand on est heureux d'un podcast, on va aujourd'hui lui faire prendre le chemin de la programmation traditionnelle via les ondes. Quant au secteur privé, on essaye d'être encore plus complémentaires avec eux en ne faisant plus de programmes musicaux. Même notre chaîne jeune propose des contenus parlés à 40%. On va aussi de plus en plus vers les nouveaux arrivants en proposant des programmes en dix langues étrangères, dont l'arabe. Sveriges Radio propose aussi un podcast quotidien en suédois facile. Enfin, on souhaite que les radios commerciales suédoises soient fortes, car c'est une porte d'entrée plus évidente dans la culture suédoise pour les auditeurs qui ne comprennent pas encore bien notre langue. Aujourd'hui, on voit des groupes média mondiaux avec leurs gros moyens, on veut se battre avec nos moyens et nos spécificités suédoises. Les autres pays nordiques sont sur la même longueur d'onde.»
A une autre échelle, la nouveauté dans ce monde de la radio en constante évolution, c'est l'audience que peuvent attirer à la fois les secteurs publics et privés qui ont pris au sérieux la question du podcast, ce qui implique que ces mêmes acteurs aient réfléchi à la production et à la diffusion de leur offre de podcasts, en continu exclusif et intemporel avec les mêmes critères qualitatifs de production que sur une radio comme La Première, Couleur 3 ou France Inter. Carine Fillot a lancé son entreprise Hack The Radio il y a quelques années après avoir travaillé pour les radios Europe 2 et Le Mouv' en France. Aujourd'hui, sa start up est devenue Elson et elle recommande, sur sa plateforme, une sélection de podcasts. Les cibles sont essentiellement les amoureux traditionnels de programmes radios.
L'interview de Carine Fillot:
En conclusion, revenons sur cette question: la radio est-elle morte ou pas? Le mot «radio» seul, certainement, il faudrait plutôt parler d'audio pour inclure tous les contenus disponibles sur le web via les plateformes de podcast, mais aussi de streaming (Spotify, Deezer... ) et de vidéo (Dailymotion ou YouTube). La RTS et ses collègues publics, ainsi qu'Elson délivrent leurs listes de podcasts taillés sur mesures pour les goûts de chacun, le but étant de personnaliser l'expérience. Spotify se place aujourd'hui sur ce territoire de la personnalisation pour la musique et les contenus parlés. Les Américains de la radio pubique NPR ont misé sur une application qui vous donne les dernières nouvelles et les podcasts ou émissions des radios partenaires du réseau public comme s'il s'agissait d'une seule et même station faite pour vous. Tamar Charney, managing editor à NPR, explique que NPR One résume bien ce que le monde du podcasting veut dire pour la radio publique: «Je ne sais pas où ça va aller, c'est un nouvel espace. On essaye de construire ce que l'on sait bien faire et de l'étendre à ce nouvel espace.» Même philosophie chez Radio France et ses sept chaînes, sa présidente directrice générale Sibyle Veil semble voir dans les podcasts ainsi que dans les contenus distribués là où les jeunes générations vont (YouTube) des moyens de trouver des nouveaux auditeurs de ses sept marques. Elle n'hésite pas à penser à des partenariats éventuels avec des acteurs du marché privé.
L'interview de Sibyle Veil:
Chez les Américains de IHeartMedia, on pense «audience». Darren Davis, leur directeur opérationnel explique: «Le podcast est au centre du boom de l'audio, la moitié des Américains écoutent des podcasts chaque mois, c'est donc une partie prenante de notre stratégie, aller là où les publics sont.» Sachant que le public américain aime beaucoup écouter «ce compagnon» dans sa voiture. IHeartMedia et tous les autres opérateurs de la radio aux Etats-Unis (Entercom, Cumulus, Emmis... ) se sont mis d'accord avec les fabricants d'automobiles pour distribuer de manière intelligente – comme pour les assistants vocaux (Alexa, Google Home) pour offrir la meilleure expérience audio en navigation. En Suisse, vous l'avez compris, cela dépassera les nouveaux programmes DAB+, et comprendra l'accès aux podcasts sur commande vocale du conducteur, ou d'une action d'un doigt sur l'écran du tableau de bord.
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