Actuel / La guerre des droites
Le paysage politique français n’en finit pas de surprendre. Voilà que soudain la gauche s’efface quasiment. Le parti socialiste est en ruines. La France insoumise patine. Pire: Mélenchon déprime et avoue que son objectif de dresser les masses contre le nouveau droit du travail est manqué. La faute, dit-il, aux syndicats divisés et mous. Mais la droite macronienne triomphe. Et les Républicains s’apprêtent à mettre à leur tête un dur de chez dur: Laurent Wauquiez. Un homme à suivre.
On pouvait s’attendre à ce que les réformes libérales menées à train d’enfer par Emmanuel Macron mette la France sens dessus dessous. Eh ! bien, non. Cela grogne un peu partout. Cela bouge un peu ici ou là. Mais aucune vague ne se dessine qui menacerait vraiment le pouvoir élyséen. Les Français sont dans l’attentisme inquiet, ils n’ont aucune envie de descendre dans la rue, au grand dam du coléreux Mélenchon.
A droite, en revanche, la redistribution des cartes après le séisme électoral, commence à se préciser. D’abord, il faut prendre acte que la «France en marche» prend un cap franchement libéral. Le budget annoncé fait la part belle aux plus riches et va peser sur les classes moyennes et populaires. La presse économique, guère gauchisante, relève carrément le fait. Mais attention: ce libéralisme favorise en priorité la finance. L’abolition de l’impôt sur la fortune, avec son maintien seulement pour l’immobilier en est l’illustration. Ainsi que la «flat tax» sur les bénéfices de société (la RIE à la française). Cela dans l’espoir de stimuler l’investissement et l’emploi. A voir.
Cette droite, disons vaguement centriste, sociale à l’occasion, se veut franchement internationaliste, libre-échangiste même si Macron, prudent, tente de retarder les accords européens avec le Canada et avec le Mercosur sud-américain. Il en va tout autrement avec la politique qu’annoncent les nouveaux leaders des Républicains.
«Macron n’a pas l’amour charnel de la France»
Leur homme fort s’appelle Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône Alpes. En voilà un qui en veut. Il pourfend le «président des riches», le banquier sans patrie, l’incarnation, selon lui, des élites parisiennes, plus à l’aise dans les capitales étrangères que dans les profondeurs souvent abandonnées du pays. Il a ce mot terrible: «Macron n’a pas l’amour charnel de la France, il nourrit une haine de la province.» Il va même plus loin que Sarkozy dans l’exaltation des racines, du terroir et du patriotisme à tout crin. La subtile analyste politique du Monde, Françoise Fressoz, juge que ces propos rappellent les discours de l’extrême-droite française des années trente. Pas étonnant si l’on sait que son conseiller discret n’est autre que Patrick Buisson, l’ancien journaliste de « Minute », l’ex-compagnon idéologique de Nicolas Sarkozy, le chantre de la ligne « identitaire ». On se trouve là dans un terreau politique plus élaboré que celui du FN, nourri par une longue tradition française, incarnée avant-guerre par Charles Maurras, le théoricien du « nationalisme intégral ».
Cela déplaît bien sûr à beaucoup de Républicains. Luc Chatel, ancien ministre de Sarkozy, quitte carrément la politique. «Quand j’entends certains élus LR opposer systématiquement les élites au peuple et clamer que le libre-échange écrase nos paysans ou nos ouvriers, je m’étrangle! » Il ajoute: « Une dérive de la droite à la polonaise ne peut que mener qu’à l’impasse.» (Le Point)
Wauquiez fait tout pour se profiler en restaurateur de la bonne vieille droite franco-française, en opposition à celle, moderniste, des brasseurs d’affaires internationaux. Maire du Puy-en-Velay (14'000 habitants), il court les marchés, connaît tout le monde, adore serre les mains. Il tient la région Auvergne-Rhône-Alpes d’une main de fer, démolit ses adversaires par tous les moyens, jusqu’aux plus brutaux. Le choix des associations dignes de recevoir des subventions régionales est son arme favorite. Il biffe ici, chez les cultureux, chez les grands cœurs sociaux et il arrose partout où on l’applaudit.
L’un des chevaux de bataille du conquérant, c’est «l’assistanat» qu’il qualifie, dès 2011, de «cancer de la société». Le refrain sur les profiteurs du système social «qui gagnent autant que les travailleurs au smic» serait payant. Au moins autant que les diatribes attendues sur «l’immigration incontrôlée».
Il est piquant cependant de rappeler les origines de cet intégriste de l’esprit de province. Issu d’une famille doublement rattachée à de grands industriels du nord. Né à Lyon en 1975, mais écolier et étudiant à Paris. Passé par la Sorbonne (études d’histoire) et l’ENA, comme Macron, Hollande et tant d’autres figures politiciennes. Un de ses camarades de l’époque se souvient qu’il habitait dans l’immense appartement de ses parents: «Si grand que l’on mettait une heure à trouver les toilettes!» (tiré de l’excellente enquête du magazine français Society).
Marine à la peine
Mais l’homme ne craint pas les retournements. Il a fait ses premières armes au cabinet du ministre des affaires sociales (1996-1997) dont il était très proche, Jacques Barrot, un centriste humaniste, profondément pro-européen, inspiré par la démocratie-chrétienne. Wauquiez approuva le traité de Rome II lors du référendum traumatisant de 2005 gagné par les partisans du non. Mais quand le vent de l’opinion tourna, il suivit le mouvement. En 2014, il publia un livre: «Europe: il faut tout changer». Où il préconise un retour à l’Europe des Six moins le Luxembourg. Il combat l’accord de Schengen qui, selon lui, favorise l’immigration. Son mentor Jacques Barrot, aujourd’hui décédé, s’en désola avec des mots très durs.
Le jeune loup ne lâche aucun morceau. C’est lui qui a fait chasser du parti ses membres qui ont accepté d’entrer au gouvernement Macron. Qui n’est pas avec lui est contre lui. Pour l’heure, cela lui réussit. Il sera nommé président des Républicains dans quelques jours. Réussira-t-il aussi à attirer des électeurs jusqu’ici au Front National? Les urnes le diront dans les prochaines années.
Et face à la droite Macron, face à la droite Wauquiez, que peut faire Marine Le Pen? Pour l’instant elle est à la peine. Son revirement sur la sortie de l’euro, sa débandade lors du tour final de l’élection présidentielle ont plus qu’égratigné sa crédibilité. Elle ne sait plus guère comment remonter la pente. Mais attention, la base électorale du FN reste nombreuse et généralement fidèle.
Voici donc comment la France a basculé à droite. Avec trois familles qui se battent sur ce terrain.
Live Facebook, 28 octobre 2017
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