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Actuel / «Ils volent, mais ils partagent!»

Jacques Pilet

16 octobre 2019

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Victoire écrasante du parti au pouvoir? Le «PiS» est sorti en tête avec 43,6% des voix, ce qui lui offre une courte majorité au Parlement, pas au Sénat. Mais pourquoi donc le père de cette formation, de son idéologie, pour ne pas dire le père de la nation, Jaroslaw Kaczynski, avait-il une mine si tendue en recevant fleurs et félicitations devant les caméras?




En direct de Varsovie


On percevait dans ses rangs une légère déception. La très forte participation avait fait espérer un appui plus massif au parti dominant. Il faut dire que ces derniers temps, le gouvernement avait mis le paquet. Des cadeaux et des promesses tous azimuts. Les fameux 500 zlotys (130 francs) par enfant. L’abaissement de l’âge de la retraite (65 pour les hommes, 60 pour les femmes). La hausse des rentes et du salaire minimum promis encore à de fortes augmentations. La dispense de tout impôt jusqu’à 26 ans. Si l’on ajoute que le chômage est à son niveau le plus bas, environ 5%, le tableau aurait de quoi doper le pouvoir.

Mieux encore: au plan économique, le sentiment général dans la population, même chez les opposants, est plutôt optimiste. La croissance est là. Les projets – généreusement aidés par les subventions européennes – avancent bien. Varsovie est méconnaissable. D’immenses tours de verre et d’acier ont poussé au centre. Des chantiers, des chantiers partout... La capitale offre une image de dynamisme et de richesse qui contraste avec bien des villes fatiguées à l’ouest du continent. Et dans le pays profond? «J’ai voyagé dans les campagnes du sud de l’Italie, dans les Alpes françaises, eh bien! les villages y sont plus pauvres, plus endormis qu’en Pologne!» confie Ewa, pourtant grande opposante au régime. Il faut dire que les  milliards d’euros déversés en Pologne par l’UE depuis 2004 – mieux que le plan Marshall d’après-guerre à l’ouest! – ont totalement bouleversé et amélioré les conditions de production et de vie à la campagne.

Certes, les hôpitaux sont débordés, les classes maternelles négligées, les écoles mal équipées, les enseignants mal payés... Mais quand arrive à la maison une augmentation sonnante et trébuchante, les failles des équipements publics, bof, on y pense moins.

Ambiance de bar à la veille du vote. Varsovie, octobre 2019. © Jacques Pilet

Dans une telle situation, le parti au pouvoir espérait faire mieux. Et songeant à l’avenir, il a quelques soucis à se faire. Le refroidissement de l’économie allemande, automobile en particulier, va se ressentir en Pologne. D’autant plus que les hausses de salaires rendent le pays moins attirant. Les mesures sociales ne dissuadent guère les jeunes diplômés d’aller, comme d’habitude, chercher du travail et s’établir à l’étranger. La main d’œuvre manque. Dans tous les métiers, la santé en particulier. D’où l’arrivée, ces dernières années, de centaines de milliers d’Ukrainiens. «Inutile de chercher un plombier polonais à Varsovie, note l’amie Ewa, si tu en trouves un, il sera ukrainien.»

Le gouvernement, qui s’est égosillé sur la question des migrants, en parle moins aujourd’hui... et, sans rien en dire, en accepte un assez grand nombre, par nécessité. Des Pakistanais, des Syriens, des Afghans, des Palestiniens... Avec un critère: qu’ils soient chrétiens!

L’heure n’est plus aux rodomontades contre l’UE. Les enquêtes le confirment, année après année: les Polonais sont les Européens les plus attachés au projet. Les jeunes tiennent dur comme fer à la possibilité d’aller et venir, de travailler ici ou là. Le gouvernement évite dès lors de trop irriter les partenaires européens. Il assure même qu’il acceptera la décision de la Cour européenne de justice, saisie des réformes prévues pour mâter les juges.

Bureau de vote à Varsovie. © Jacques Pilet

Les traditionnels chevaux de bataille du parti se trouvant donc un peu essoufflés, il fallut en trouver un autre. Ce fut la croisade en faveur de la famille traditionnelle, la tempête contre les LGBT, l’homosexualité, l’avortement et toutes ces dérives que l’Eglise catholique dénonce. Son pouvoir reste fort, d’autant qu’elle est soutenue par le gouvernement, dans les médias publics, dans les écoles.

Tout cela n’a pas suffi à convaincre une majorité de Polonais et Polonaises. 43,6 % des voix, c’est beaucoup, mais c’est moins d’une voix sur deux! La chance du parti PiS, c’est la faiblesse du camp d’en face. Le centre-droit (Plateforme civique) traîne la mauvaise image de ses années de pouvoir, marquées par un affairisme suspect. «Les gens de PiS volent aussi, comme les autres, mais au moins, ils partagent!», entend-on. La pauvreté du discours de la droite est soulignée par tous, même en son sein. Reste qu’avec ses 27%, cet assemblage mène le bal contre le PiS.

Autre acteur qui pèsera dans un sens ou l’autre: l’opportuniste parti des paysans (11,9%). Très conservateur au chapitre des mœurs, mais carrément pro-européen. On sait dans les campagnes combien sont vitales les aides communautaires.

«Madame Olga, félicitations pour le Nobel!», Varsovie, octobre 2019. © Jacques Pilet

Et la gauche? Elle est encore vue comme l’héritière de l’époque communiste, plus honnie ici que partout ailleurs. Les nouvelles têtes, les nouveaux thèmes «sociétaux» ne suffisent pas à la faire décoller. Mais avec son score de 12% des voix, elle entre enfin au Parlement.

Autre nouveauté: une «confédération» de groupuscules d’extrême-droite enverra aussi ses représentants. Ils pourront pourfendre haut et fort les étrangers, les musulmans, les juifs et les orthodoxes. Et maudire l’Union européenne.

Et, vous dites-vous, et les Verts? Entrée de justesse au parlement, leur minuscule formation se retrouve sur un strapontin de la coalition de centre-droite. La question du climat a été peu ou pas évoquée dans les débats. Quelques groupes s’alarment pourtant de voir le pays miser à fond, aujourd’hui comme hier, sur le charbon comme principale source d’énergie. Ils s’indignent aussi de voir des forêts ancestrales massacrées. Mais ces voix vertes ont grand peine à se faire entendre.

Cela arrivera. Tôt ou tard. Car à bien des égards, la Pologne se transforme, progresse et ressemble de plus en plus à ses voisins de l’ouest. Avec ou sans ce régime qui se veut national et social. Allez en juger sur place. Le voyage stimule les neurones politiques.


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