A vif / Perfusion culturelle
Faire son plein de spectacles en une sortie, c’est la formule que propose Programme Commun, le festival des arts de la scène de Lausanne (théâtre, danse et musiques dans 5 lieux jusqu’au 25 mars). Plongée à Vidy ce premier week-end dans 2 spectacles à l’opposé l’un de l’autre, mais qui partagent le don d’agir comme antidote aux petits écrans et de nous rappeler combien le théâtre est nécessaire.
Luxe, calme de Mathieu Bertholet
Le raffinement trouble
L’érosion de la lutte des classes est démontré avec humour dans Luxe, calme de Mathieu Bertholet. © Mathilda Olmi
Ces grands hôtels de luxe construits en dépit du bon sens sur les montagnes élevées de Suisse deviennent les symboles d’un glissement de la société. Mathieu Bertholet, auteur dramatique, metteur en scène valaisan et directeur du Théâtre de Poche de Genève, propose une fable subtile sur la transformation de nos besoins: perchés devant des vues sublimes, les lieux de vie des palaces deviennent des mouroirs de suicides assistés.
Par la même occasion, Bertholet démontre avec humour l’érosion de la lutte des classes. Au début de la pièce, une bourgeoisie fortunée se flatte d’avoir un personnel discret à sa complète disposition: elle lève les bras comme des anges pour se laisser extraire de vêtements raffinés (les costumes traversent la mode sur 150 ans, le début des palaces en montagne). A la fin, se jetant sur les lits comme pour les tester avant un l’envol pour l’éternité, cette même bourgeoise se montre presque nue.
Clichés de la Suisse
On erre comme dans une pièce de Pirandello, sauf que le texte ici, quelques phrases seulement, agit comme une litanie déclamée en canon par des comédiens qui sombrent ensuite dans le silence.
Le romantisme délavé de Schubert, Schumann, Chopin et Ravel joué au piano par un comédien sur scène contribue à ce sentiment d’apesanteur, «Ô temps! suspends ton vol». Lente à décoller, la pièce finit dans une frénésie qui frôle l’excès et se termine comme un lied dont l’écho part dans la vallée.
Avec tendresse et détachement, Bertholet s’attaque aux clichés suisses:
«Gardiens de vaches, les Suisses sont devenus gardiens de paysages».
«Tout est carte postale».
«Les montagnes ont besoin de quelqu’un pour les admirer et leur dire qui elles sont».
«Venir mourir en Suisse, c’est vivre plus longtemps».
Interceptée à la fin, une spectatrice a livré ses impressions:
«Le sujet est vaste, il y a beaucoup d’éléments et j’aurais aimé lire le texte avant, dit Sandra Kinzer. On part sur quelque chose de difficile, car la finitude suscite un vrai débat et nous courons le danger d’un certain voyeurisme face à la réalité. Je me suis laissée prendre à la mise-en-scène rythmée. Et comme il y avait une très grande pudeur des sentiments, ce spectacle échappe à la tristesse de la mort. J’ai beaucoup aimé.»
Evel Knievel contre Macbeth (Na terra do finado Humberto) de Rodrigo Garcia
Le chaos incandescent
Evel Knievel contre Macbeth de Rodrigo Garcia: assez hard, mais jouissif. © Marc Ginot
Pour se laisser prendre à l’extravagance virtuelle et visuelle du metteur-en-scène hispano-argentin controversé, Rodrigo Garcia, il vaut mieux arriver sans a priori. Car, l’expérience est chaotique.
La plongée dans un monde d’hystérie clinique et collective, la déambulation d’un petit dragon fluorescent au Brésil et de deux jeunes déesses campées en motards, sort tout droit d’un cerveau nourri au réalisme magique de Gabriel Garcia Marques ou Isabel Allende, sauce games coréens au 22e siècle. C’est assez hard, mais c’est jouissif.
Garcia annonce la couleur:
«Si on m’enlève la dinguerie, je meurs»
On veut bien le croire, car du début jusqu’à la fin du spectacle on est pris dans un tourbillon de mots, d’images et de sons qui ont très peu de sens à part le fil conducteur d’un Orson Welles pris dans sa mégalomanie et le motard mythique Evel Knievel dont ni vous, ni moi, nous n’avons jamais entendu parlé.
Il y a une folie à la Castellucci chez Garcia, mais plus rock, plus sauvage.
Interceptés à la fin, deux spectateurs ont livré leurs opinions:
«Il manque le socle solide de la dramaturgie. Je me sentais en plein mer et je n’arrivais pas à accrocher.»
«Là, c’est beaucoup ma tête qui a travaillé et je n’arrivais pas à comprendre ces choix; je suis restée sur le carreau. En revanche, le riche apport en vidéo m’a subjugué. Il était juste.»
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Lore 17.03.2018 | 22h23
«Evel Knievel je connais et Macbeth de Welles aussi ce qui facilite le plaisir de quelques repères sans oublier le grotesque argentin. Déjanté à souhait. Merci!
Et merci à Vincent Baudriller encore.»