A vif / «La Reprise» de Milo Rau à Vidy bouscule tous les codes
«Le théâtre ne doit pas seulement refléter le monde, il doit le changer». L’auteur de cette phrase et metteur-en-scène bernois Milo Rau fait un passage éclair au bord du lac avec sa dernière production. Pour trois soirs seulement «La Reprise» est un spectacle d’une puissance à faire exploser un volcan et qui se donne ce soir encore.
Une Suisse pas si lisse
Régulièrement invité à Vidy, Milo Rau est l’un des auteurs de théâtre les plus controversés de nos temps et des plus efficaces. Récemment nommé à la tête du Théâtre national de Gand en Belgique, il appartient à cette génération de jeunes quadragénaires qui détruisent l’image d’une Suisse qui ne produirait que du lisse et du bien-pensant.
Car il y a une violence inouïe dans son propos, mais jamais de gratuité, comme si le cinglant était le seul moyen de faire bouger les choses. Depuis 2007, son International Institute of Political Murder livre des spectacles qui ne laissent personne indifférent. «Compassion. L’histoire de la mitraillette» et «Les 120 journées de Sodome» illustraient des thèmes de société que personne d’autre n’ose prendre avec des pincettes.
L’homophobie
Milo Rau récidive avec «La Reprise: Histoire(s) du théâtre (I)», une dénonciation de l’homophobie avec des relents d’islamophobie. C’est l’histoire d’une nuit d'avril en 2012, lorsque Ihsane Jarfi a parlé à un groupe de jeunes hommes dans une polo grise à Liège à la sortie d’une fête d’anniversaire dans une boîte de nuit. Dix jours plus tard, son corps mutilé est retrouvé dans un terrain vague, défoncé par la haine excitée par le chômage, le désœuvrement et le désespoir d’une région dévastée par le retrait de l’industrie minière. Rau n’excuse rien, il essaie de comprendre.
Le phénomène curieux avec Milo Rau, c'est que l’insoutenable devient si familier, presque acceptable. Nous assistons à un va et vient entre la scène (le réel) et des images filmées (la fiction). Ce balancement produit un effet vertigineux lorsque Ihsane se fait démolir devant nos yeux. Mais il nous rapproche aussi d’un ensemble de comédiens dont les visages en gros plan livrent un jeu si subtile, si sous-entendu, que nous sommes frappés au coeur de l’émotion.
Comme dit un des personnages, «Il y a une liberté dans le théâtre: on peut faire des choses qu’on ne peut pas faire dans la vie.»
La beauté du théâtre de Milo Rau, c’est qu’il abolit les frontières entre les deux. Et il nous donne à voir la profondeur de nos propres indignations.
Vidy 2018-2019
Depuis 5 ans, Vincent Baudriller amène à Lausanne un théâtre exigeant, polyforme, engagé. Pour annoncer la saison prochaine il prend à son compte la citation de Milo Rau en tête de cet article et propose un programme pour tous les goûts.
Une sélection :
- Le cirque Baro d’evel, une troupe d’artistes et d’animaux ébouriffés,
- L’auteur et cinéaste Christophe Honoré convoque les idoles de sa jeunesse fauchées par le sida,
- Jean-Luc Godard a choisi Vidy pour présenter son nouveau Livre d’image,
- Ariane Mnouchkine est invitée par plusieurs théâtres romands pour présenter la dernière création du Théâtre du Soleil, Une Chambre en Inde,
- Serge Martin convoque les figures de Lear et du fou,
- La Winter Family témoigne d’une rue « stérilisée » à Hébron,
- Les Chiens de Navarre démontent avec insolence les mythes de l’identité française,
- Le collectif anglais Forced Entertainment raconte Le Grand Cahier d’Agota Kristof,
- Le Lausannois Massimo Furlan partage les souvenirs d’émigrés italiens en Suisse,
Thom Luz arrive avec ses machines à fumée musicales,
- Yasmine Hugonnet conjugue l’espace et le temps dans ses danses,
- Gisèle Vienne chorégraphie une rave party,
- Le duo burlesque La Ribot/Mathilde Monnier.
A noter: le lancement de l’Abonnement Général Vidy qui donne un accès illimité au théâtre pour un coût mensuel inférieur au prix d’un seul billet ; et le tarif «Découverte» en dernière minute et lors de certains samedis de la saison.
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