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Science / Quand les plantes s’entraident pour lutter contre les maladies


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Les maladies des plantes, et en particulier celles causées par les champignons pathogènes, provoquent des pertes considérables en agriculture et conduisent à une utilisation massive de pesticides. À titre d’exemple 20 % de la production de blé mondiale est perdue chaque année à cause des maladies.



Jean-Benoît Morel, Inrae


Les maladies des plantes, et en particulier celles causées par les champignons pathogènes, provoquent des pertes considérables en agriculture et conduisent à une utilisation massive de pesticides. À titre d’exemple 20 % de la production de blé mondiale est perdue chaque année à cause des maladies.

Le mélange de variétés de plantes dans un même champ est une manière efficace pour réduire les épidémies. Cette pratique ancienne est documentée depuis le XVIIIᵉ siècle et connaît un renouveau extraordinaire en France, avec par exemple presque 20 % des surfaces de blé actuellement cultivées en mélange.

Cependant, les analyses globales sur les effets des mélanges montrent que tous les mélanges ne se valent pas et que comme pour tout, il y en a des bons et des mauvais. Concevoir de bons mélanges est un enjeu pour l’agriculture et de nombreux projets sont actuellement en cours pour y parvenir. En associant des généticiens, des écologues et des physio-pathologistes des plantes, nous avons découvert que des interactions directes entre plantes modulent l’immunité des plantes.

Ces interactions se déroulent dans le sol, via des échanges encore inconnus ; par exemple, la variété CULTUR et la variété ATOUDUR de blé dur ont une meilleure résistance à la maladie de la rouille brune quand elles poussent ensemble et cette résistance disparaît si l’on sépare leurs racines. Fait notable, il n’est pas nécessaire que les plantes soient malades pour échanger des informations, elles le font de manière permanente.

Cette découverte sur les mélanges apporte un éclairage tout à fait nouveau sur le fonctionnement des mélanges, avec notamment la mise en évidence qu’il existe chez les plantes une reconnaissance des autres à l’intérieur de l’espèce. Cette découverte laisse entrevoir des opportunités pour l’amélioration et l’adoption de cette pratique vertueuse pour la protection des cultures et de l’environnement.

Les plantes savent se défendre mais…

Il faut savoir que les plantes sont un peu comme les animaux : elles possèdent un système immunitaire. Cependant, le système immunitaire des plantes n’est pas adaptatif au sens où il n’y a pas de véritable mémoire des maladies déjà rencontrées. Les plantes se défendent de deux façons : d’abord grâce à des gènes de résistance qui reconnaissent certains agents pathogènes, conférant de très hauts niveaux de résistance mais qui sont malheureusement rapidement contournés par ces agents pathogènes. Lorsque plus aucun gène de résistance ne fonctionne, les plantes disposent alors d’une immunité dite basale qui leur permet de reconnaître des molécules assez communes à tous les agents pathogènes, par exemple la chitine des parois de champignons. Malheureusement, l’immunité basale ne confère que de faibles niveaux de résistance, sauf quand on la « booste », par exemple avec des stimulateurs de défense à base de molécules dérivées d’agents pathogènes que l’on pulvérise ou l’on met dans le sol.

Chez toutes les espèces de plantes, comme chez tous les organismes vivants, il existe une variabilité à l’intérieur de l’espèce. Chez les plantes cultivées, on parle de variétés, par exemple le blé pour la farine et celui pour la nutrition animale qui sont deux variétés de la même espèce.

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« Booster » l’immunité des plantes

Dans les expériences que nous avons menées, nous avons volontairement enlevé de l’équation les gènes de résistance pour ne s’intéresser qu’à l’immunité basale. Pourquoi ? Parce que les gènes de résistance ne sont généralement pas durables, au contraire de l’immunité basale et que notre objectif est de fournir des solutions durables aux agriculteurs qui permettent de « booster » l’immunité basale.

L’originalité de notre approche a été de réaliser plusieurs centaines de mélanges au laboratoire, en l’absence d’épidémie et en inoculant nous-mêmes les plantes avec des champignons pathogènes. Nous avons testé deux céréales cultivées pour lesquelles les mélanges sont connus pour réduire les maladies : le blé dur et le riz.

J.B. Morel en train de marquer des jeunes plantules de blé en vue de réaliser une inoculation manuelle de chaque planteJ.B. Morel en train de marquer des jeunes plantules de blé en vue de réaliser une inoculation manuelle de chaque plante. Fourni par l'auteur

Au champ, les hypothèses communément évoquées pour expliquer la réduction des épidémies dans les mélanges sont de trois ordres. D’abord, on conçoit assez aisément que les agents pathogènes se propagent moins facilement dans des milieux hétérogènes (mélanges) qu’homogènes (culture pure). En effet, si un agent pathogène est adapté du fait de son arsenal à une variété donnée, il existe des chances qu’il le soit moins à une autre : être virulent sur tout le monde est rare, et heureusement !

Ce genre de mécanisme est exclu de nos expériences puisque nous infectons nous-mêmes les plantes, rendant inopérants les effets dus à l’hétérogénéité qui ont lieu dans la nature.

De manière moins intuitive, une forme d’immunité de groupe a pu être mesurée au champ dans les mélanges, contre les champignons pathogènes : dans ce cas, les plantes malades produisent des spores de champignon qui vont passer sur des plantes voisines, transportées par le vent le plus souvent. Si ces plantes voisines possèdent un gène de résistance qui reconnaît cette spore, la plante est non seulement résistante mais elle va aussi développer une sorte d’immunité générale contre la plupart des champignons, grâce à son immunité basale. On voit donc que dans cette forme d’immunité de groupe, comme chez l’humain, il est nécessaire que quelques individus soient malades pour immuniser leurs voisins. À nouveau, notre approche expérimentale, du fait que nous inoculons manuellement chaque plante, excluait de l’équation ce genre de processus.

Une autre raison pour laquelle certains mélanges sont plus résistants peut résulter de phénomènes de compétition entre plantes. En effet, on peut imaginer que dans un mélange de variétés, l’une a par exemple des racines plus grosses que l’autre, ce qui fait que la première pousse mieux que la seconde, qu’elle est donc en meilleure santé et donc plus résistante à des infections. Dans le cas de ce mécanisme, on conçoit alors que celle qui a des plus petites racines sera moins en forme et donc plus sensible. Autrement dit, dans ce genre de mélange, la plus forte résistance de l’une se fait au détriment de l’autre et le bilan est globalement nul. C’est ce dernier mécanisme de compétition que nous nous attendions à observer principalement dans nos expériences au laboratoire.

Vue générale d’un des terrains expérimentaux utilisés aujourd’hui pour mieux comprendre, en condition semi-contrôlée, le fonctionnement des mélanges. Fourni par l'auteur

Dans nos expériences, la quantité de résistance observée du fait des mélanges avoisine celle conférée par l’immunité basale, permettant ainsi de doubler la résistance totale des plantes. C’est dire le niveau de résistance obtenu par le simple fait de mettre deux variétés ensemble ! Mais contre toute attente, dans les mélanges testés au laboratoire, presque toutes les plantes deviennent plus résistantes. Ce résultat ne pouvait pas se comprendre à l’aide des hypothèses habituellement invoquées, comme celle sur la compétition, pour expliquer la résistance dans les mélanges.

Dès lors, pourquoi une telle observation et quelle nouvelle hypothèse formuler ? Une façon simple de résumer nos observations était de dire qu’une plante change son immunité basale si elle n’est pas avec une plante de sa propre variété. Cela suppose qu’une plante est capable de reconnaître une plante d’une autre variété que la sienne. La nouvelle hypothèse qui s’imposait était donc que nos observations résultaient d’une reconnaissance des autres. Chez les animaux, il existe de nombreux systèmes de reconnaissance des membres de la famille qui permettent d’optimiser les comportements pour maximiser la survie de l’espèce. Chez les plantes, une telle reconnaissance entre variétés d’une même espèce est encore totalement inconnue.

Des conséquences en biologie, écologie, évolution et pour l’agriculture

Cette découverte ouvre des perspectives dans plusieurs domaines : en biologie des plantes, nous voilà face à la possibilité de découvrir les systèmes de communication qui permettent à deux individus de se reconnaître. En écologie, un tel système de reconnaissance est essentiel à considérer pour mieux comprendre comment les communautés sont régulées et se construisent. En termes d’évolution, il s’agira de comprendre quel avantage un tel système de reconnaissance procure à l’espèce et bien entendu il faudra déterminer quelles espèces de plantes possèdent un tel système.

Enfin pour l’agriculture, la découverte qu’il existe probablement des molécules impliquées dans cette reconnaissance ouvre la porte à l’identification des gènes sous-jacents et donc, par ricochet, devrait permettre d’optimiser, par des approches de génétique, les mélanges pour les rendre encore plus résistants aux maladies, par la simple co-culture des bons voisins et ainsi réduire l’usage des pesticides.


Le projet MUSE est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.The Conversation

Jean-Benoît Morel, Directeur de l’Institut de Santé des Plantes de Montpellier, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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