Reportage / Voyage en vélo à travers la Bulgarie
Six cents kilomètres séparent Sofia, la capitale, de Velik Tarnovo, au centre-nord de la Bulgarie. En dix-sept jours de vélo, du 17 mai au 3 juin, j'ai découvert une richesse culturelle insoupçonnée: les fresques des tombeaux thraces, vieux de 24 siècles, un stade et un théâtre romain parfaitement conservés et d'innombrables monastères. Mais aussi une campagne vidée de sa jeunesse.
La première chose que je voulais voir à Sofia est le musée de l’art soviétique. Il rassemble une petite série d’œuvres créées de 1945 à 1989. Dans le parc, une série de nains (ou de géants) de jardin: les bustes et les statues en pied de Dimitrov, Lénine, Marx et Jivkov. L’effet est saisissant. Voir des personnages puissants et redoutés, réduits maintenant à de jolies décorations de jardin. Ceux qui ont conçu ce parc ont réussi un coup de maître en y plaçant ces statues.
Il prend de haut l’animal de bât.
Sofia est en chantier, tout se transforme, les vieux immeubles deviennent des appartements de luxe, merci Airbnb. Je me promène le dimanche matin dans cette ville qui semble avoir perdu son âme, ne rencontrant que vieux et vieilles.
Un dimanche matin dans le centre de Sofia.
Comme je l’avais déjà vu l’an dernier en Moldavie, l’Etat fait tout son possible pour permettre la liberté d’expression. Aujourd’hui, ce sont une trentaine de personnes qui manifestent pour le pouvoir d’achat. Une grande avenue a été fermée au trafic pour eux. Quelques discours, pas de violence, beaucoup de sourires. Impressionnant.
Manif à Sofia.
Entre les maisons délabrées et les immeubles flambant neufs se trouve un lieu tranquille: la librairie de Younès. Il est Marocain, vend de tout, même des livres allemands et français. Comme le livre ne fait pas vivre son homme, il vend aussi revues, colifichets, rubans, semelles...
Un coin de paradis: la librairie de Younès.
Dans les sous-sols de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevski, un musée abrite les plus belles icônes des Balkans. Je suis frappé par la stylisation des éléments du visage qui nous paraît si moderne mais qui date du 13e siècle.
Icône du XIIIe siècle: le Christ pancréateur.
De Sofia, je pars à vélo vers Sapareva Banja, en passant par le lac Iskar. En chemin, de nombreux monuments célèbrent les luttes menées par la Bulgarie pour se libérer du joug des Ottomans. Celui de la photo ci-dessous est dédié aux révolutionnaires qui tentèrent, en 1923, de renverser le dictateur d’extrême droite Tsankov. Révolte matée dans le sang.
Monument aux révolutionnaires de Samarkov qui périrent en 1923.
Alors que la cathédrale de Sofia peut accueillir 10 000 fidèles, celle ci-dessous a juste la place pour deux personnes. L’intérieur est recouvert de fresques. La croix lumineuse est une fenêtre. Je trouve souvent en chemin ces églises minuscules et pleines de charme.
Une de ces toutes petites églises que l’on rencontre au bord des routes.
Merci à ces villageois qui m’avaient préparé une petite halte délicieuse à l’ombre des lilas en fleurs.
Depuis que la Bulgarie est devenue indépendante, en 1989, elle est passée de 8,9 millions à 6,4 millions d’habitants. Les villages sont peuplés de personnes âgées; les espaces de sports sont inutilisés, à l’abandon.
Dans le village Resilovo, il n’y a plus de jeunesse.
Je croise une curieuse montagne, dont certaines parties ont une coloration bleutée. Le soir, quand la robe bleue s’illumine, je comprends: ce sont des panneaux solaires. En Suisse, les champs solaires sont carrés, toujours dans le même plan; ici, les panneaux épousent le galbe de la montagne. Linceuil pour la végétation, lumière pour nous.
Panneaux solaires.
Scène villageoise à Samoranovo.
Dans une ruelle de Dupnica.
Dans un café de Dupnica.
Comme dernière étape avant la grande montée vers le monastère de Rila, je me suis arrêté à Stob. Ce fut une bourgade; aujourd’hui, plus de la moitié des bâtiments sont abandonnés. J’ai beaucoup aimé le nom de l’agence immobilière.
Le monastère de Rila est l’un des plus beaux que j'aie visités. Entouré de hautes murailles, il est couvert de fresques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il date du 11e siècle mais fut détruit et reconstruit à de nombreuses reprises. Situé au fin fond d’une longue vallée, son accès à vélo n’est pas aisé, plus de mille mètres de montée en tout ce jour-là.
Monastère de Rila.
Fresque dans l’angle Nord-Ouest du monastère de Rila.
L’église est entourée d’une galerie couverte, aux fresques resplendissantes. Les galeries et les balcons délicatement ciselés.
Les petites routes qui font le charme de nos campagnes n’existent pas ici. C’est la grande route (l’enfer) ou bien la boue. Entre Simitli et Kresna, dans les gorges de la Struma, il n’y a qu’une route, et aucune place pour les vélos. La bande rouge et les poteaux empêchent les voitures de se déporter à gauche pour dépasser un vélo. J’ai finalement pris un taxi. En chemin, j’ai vu un cycliste, paniqué, collé contre les glissières de sécurité. Une souricière.
Entre Simitli et Kresna, 20 km d’enfer pour les cyclistes. Deuxième image: Les jolies routes de la campagne.
Pour éviter le trajet scabreux entre Simitli et Kresna, je voulais d’abord prendre le train. Hélas, je l’ai raté de 5 minutes. Le suivant passait 5 heures plus tard. Le chef de gare était désolé, faisait tout pour m’aider. Quel métier! Dans une gare perdue au fin fond de la campagne, il voit passer six trains par jour. Et pour chaque train, il met sa casquette rouge, sort sa palette, fais signe au train, puis rentre dans son bureau et note, à la main, dans un grand cahier, le numéro du train et l’heure de passage. Jour après jour, jusqu’à 65 ans. Et il est si jeune.
La gare de Kocherinovo.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Pabeda 27.06.2025 | 11h50
«Merci pour votre reportage qui montre une autre réalité que celle des plages de la mer noire. »