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Reportage / Nouvelles du Qinghai et du Xizang (Tibet)


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La prochaine fois que vous irez à Lhassa, n’oubliez pas d’y visiter le musée d’Art moderne. Grimpez les escaliers souvent étroits et raides du Palais Blanc et du Palais Rouge du Potala, brûlez une chandelle de beurre de yack devant l’un des milliers de bouddhas peints du Jokhang. Ils sont à Lhassa ce que Versailles et Notre-Dame sont à Paris. Mais ne négligez pas l’étape du tout nouveau musée d’art, ouvert en décembre 2023 dans l’ancienne cimenterie de Lhassa, magistralement transformée et restaurée par les designers et architectes de l’Université Tongji de Shanghai. Vous y découvrirez une facette radicalement nouvelle de la province autonome du Tibet, ou plutôt du Xizang, comme elle s’appelle officiellement.



J’ose cette recommandation parce que je sais que vous ne serez déçus ni par le contenant ni par le contenu, tant ils sont riches et surprenants d’innovations visuelles. Le mélange d’histoire industrielle et de modernité culturelle y est très réussi. Ce faisant, je sais que je prends le risque de me faire conspuer et traiter «d’idiot utile du régime de Pékin», tant le cliché des Tibétains «envahis et opprimés» par les Chinois a la vie dure chez nous. Risque assumé, dans la mesure où je me contente de raconter ce que j’ai vu, et qui finira tôt ou tard par s’imposer à nos consciences.

Le Potala à Lhassa. © G.M.

Pendant quinze jours, j’ai donc arpenté la province de Qinghai et les environs de sa capitale, Xining, et celle du Xizang, de la vallée de Lhassa à la préfecture de Nyingchi, en compagnie d’un cadre d’une fondation culturelle catalane, d’un photographe et d’une designeuse canadiens, d’un médecin de Xian et de chargés de la communication locaux. 

Les deux provinces sont très semblables. Montagneuses, semi-désertiques, au climat très rude et peuplées d’une dizaine de millions d’habitants pour un territoire grand comme quatre fois la France, elles forment à elles deux le cœur des hauts plateaux et du bouddhisme tibétains. Contrairement au stéréotype qui en fait un espace soumis au seul dalaï-lama, elles abritent des sectes bouddhiques de différentes obédiences et de nombreuses minorités religieuses et ethniques, Musulmans, Chrétiens, Taoïstes, Han, Hui, Tu, Salar, Mongols. S’étageant entre 2'600 mètres et 8'000 mètres d’altitude, la région forme le château d’eau de l’Asie et sert de source aux grands fleuves qui irriguent les plaines chinoises, Fleuve Jaune et Yangtsé notamment.

Pour faire simple, on rappellera que le bouddhisme tibétain dérive du tantrisme et se divise en quatre écoles principales: Gelug, l’école la plus récente, dite des Chapeaux Jaunes, dont se réclament à la fois le XIVème Dalaï-lama, réfugié en Inde depuis 1959, et le XIème Panchen-lama, qui vit entre Pékin et Shigatse; Nyingma, la plus ancienne, dite des Chapeaux Rouges, plus proche de la religion tibétaine primitive et regroupée autour de six grands monastères; Kagyu, la secte Blanche à cause des bandes blanches ornant la robe des moines, et la plus petite, l’école Sakya, dite bigarrée (Gris-blanche). Chacune possède ses traditions, sa doctrine, ses pratiques, plus ou moins rigoristes, et qui ne font pas toujours bon ménage entre elles. Les diverses obédiences comptent quelque 46'000 moines.

Voilà pour le contexte général.

A Xining, notre programme comprenait la visite de complexe monastique de Ta’er, l’un de plus anciens et des plus vastes du pays, avec des dizaines de bâtiments et près de dix mille moines, la réserve biologique du lac salé de Qinghai, l’un des plus étendus et des plus hauts d’Asie continentale (3'000 mètres d’altitude), le village de Deji, qui abrite près de 250 familles provenant des régions les plus isolées de la province, la ville de Tongren, centre commercial et culturel historique, la célèbre Ecole d’art Regong de Longshu (peinture traditionnelle sur thangka, fresques et patchwork), et le lycée ethnique de Golog, un internat gratuit qui regroupe 800 élèves issus des diverses minorités ethniques de la région.

Des moines étudiant dans une académie de bouddhisme. © G.M.

Mais la visite la plus spectaculaire fut sans doute celle du complexe énergétique de la préfecture de Hainan. Vingt milliards de dollars y ont été investis pour construire, à perte de vue, la plus grande ferme solaire du monde (600 km2 de panneaux photovoltaïques soit plus deux fois le canton de Genève), couplée avec des tours d’énergie solaire concentrée et de vastes parcs éoliens sur une aire plus grande que le canton de Vaud (4'000 km2), le tout couplé avec des barrages hydroélectriques sur le Fleuve Jaune. Avec 1'200 gigawatts de puissance solaire et éolienne installée à ce jour (Cf. Le Temps du 14 décembre), la Chine est devenue de loin le premier producteur mondial de ces formes d’énergie renouvelable.

Au Xizang (province autonome du Tibet), le programme était tout aussi concentré: palais du Potala, avec ses murs blanchis au lait de yack, temple du Jokhang, haut lieu de pèlerinage, musée d’art moderne et galerie d’art contemporain Jieguan avec des œuvres valant plusieurs millions de dollars, Centre de médecine tibétaine, Université, Académie du bouddhisme tibétain (un vaste campus de théologie comprenant 700 moines et une centaine de nonnes des différentes écoles), et même une fabrique de casseroles et de poêles antiadhésives hightech à base de titane! 

La fin du périple a été consacrée aux beautés naturelles de la préfecture de Nyingchi («Le trône du soleil» pour les Tibétains et «la Suisse du Tibet» pour les touristes), qu’on atteint par une autoroute flambant neuve qui s’élève jusqu’à 5'000 mètres d’altitude. Cette ville de 500'000 habitants est située au cœur de vallées boisées et bordées de lacs et de hauts sommets, à l’image du spectaculaire massif du Namcha Barwa, qui culmine à 7'782 mètres et est considérée comme la montagne la plus sacrée du Tibet avec le Mont Kailash.

Ferme solaire. © G.M.

Quels enseignements tirer de ce voyage? Tout d’abord, une surprenante impression de modernité et de développement économique. Autant la ville et les environs de Lhassa m’avaient paru endormis, poussiéreux, légèrement déprimants lors de ma première visite en 2003, autant ils m’ont semblé actifs, vivants, énergiques aujourd’hui. Autoroutes, voies de chemins de fer à grande vitesse (ligne Pékin-Xian-Lhassa et ligne Chengdu-Nyingchi), aéroports impeccables, mais aussi immeubles d’habitations, bâtiments patrimoniaux et vieille ville entièrement restaurés, routes bitumées et parc automobile électrique, lignes à haute tension, infrastructures touristiques, écoles, lycées, hôpitaux, petites et grandes entreprises.  Depuis la décision prise en 2012 de développer les provinces de l’est, des centaines de milliards de dollars ont été investis dans le développement des infrastructures. Cela se voit. Le Tibet est en train de devenir une destination prisée des touristes chinois et asiatiques. 

La croissance y dépasse 10% par an depuis plusieurs années. Pour parvenir à ce résultat, Pékin a mobilisé le pays à grande échelle avec une mesure assez originale, qui consiste à mobiliser les ressources financières mais aussi entrepreneuriales et sociales des riches provinces de la côte. C’est ainsi que la production d’énergie est développée par des consortiums du centre ou de l’ouest de la Chine et que les riches provinces de Shanghai ou de Canton construisent des routes, des écoles, des hôpitaux ou ouvrent des usines en fournissant non seulement les moyens matériels mais aussi les ressources humaines et techniques en y envoyant en stage des cadres, des enseignants, des managers, des fonctionnaires pour former la main d’œuvre locale. 

Une forme de mentorat qui a l’avantage de responsabiliser les uns comme les autres au développement du pays. La propagande occidentale y a vu une forme de mise sous tutelle des Tibétains. Cela reste à prouver tant les résultats sont spectaculaires: en moins de dix ans, la grande pauvreté et l’analphabétisme ont été éradiqués. Il ne faut pas oublier que jusque dans les années 1950, 90% de la population tibétaine vivait dans le servage et ne savait ni lire ni écrire.

Le musée d'Art moderne installé dans une ancienne cimenterie. © G.M.

Autre constat: la culture et le bouddhisme tibétains ne m’ont pas paru menacés, bien au contraire. Il y a vingt ans, on pouvait encore voir sur les murs de certains temples les déprédations commises par les gardes rouges lors de la révolution culturelle tandis que des moines avides tenaient entre leurs doigts des liasses de billets de banque que leur confiaient des pèlerins qui pénétraient dans le temple à plat ventre dans la boue. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Les offrandes sont déposées dans des troncs discrets. Les salles emplies de peintures et de statues de bouddhas, de boddhisattvas et autres maitreyas ont été restaurées et éclairées. Les moines en robe rouge sont nombreux dans les rues, les temples et les écoles monastiques. Nombre de monastères ont été rénovés, dotés de chauffage, de routes d’accès et de connexion internet.

Le Potala et la culture tibétaine sont inscrites au patrimoine de l’Unesco, de même que la médecine tibétaine. La langue tibétaine est enseignée dans les écoles et figure sur les monuments publics et dans les documents officiels aux côtés du chinois ordinaire. De nombreux musées et bibliothèques conservent, collectent, retranscrivent, commentent, numérisent les textes sacrés du bouddhisme tibétain et les mettent à disposition des moines et du grand public sur internet dans un effort inédit d’archivage et de préservation de documents parfois oubliés dans les archives des monastères. Plus de 200 chercheurs se consacrent à ce travail, que ce soit à l’université du Xizang ou au Centre de recherche en tibétologie de Pékin.  

Sur le site du gouvernement, on peut même trouver un document officiel qui vante la liberté de culte et de religion au Tibet. Il est vrai que dans les temples, on trouvera plus facilement le portait du panchen lama que celui du dalaï-lama, honni depuis sa fuite à Dharamshala et qu’on soupçonne d’avoir soutenu des mouvements de résistance et les émeutes de 2008 à Lhassa. C’est sans doute un paradoxe pour un Européen, mais à Lhassa et à Xining la tradition et la religion tibétaine m’ont semblé bien plus vivantes que la tradition et le culte chrétien en Europe.

La campagne de modernisation et d’intégration du Tibet historique dans la Chine moderne a été réalisée sous le slogan: «Tibet is our home, China is our homeland»: le Tibet est notre maison, la Chine est notre patrie. Il n’est pas interdit de penser que le pari est en passe d’être gagné.

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