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Reportage


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Entre modernité et tensions communautaires, le Kosovo, qui a fêté le 17 février dernier les 16 ans de son indépendance, vit dans une incertitude diplomatique permanente. Le pays, avant-poste de l’Occident dans les Balkans, est toujours soutenu à bout de bras par les Etats-Unis et une partie des pays de l’Union européenne. Reportage.



Par l’un de ces hasards dont la vie a le secret, je me trouvais à Pristina, la capitale du Kosovo, lors des célébrations de l’indépendance de ce jeune Etat issu des guerres de Yougoslavie, le 17 février 2024. J’y retrouvais un ami, expatrié dans ce pays qui compte bon nombre de ressortissants allemands, autrichiens, italiens, suisses et surtout américains présents pour aider à la consolidation des institutions locales. Le pays abrite aussi la base militaire de Camp Bondsteel, l’un des points d’ancrage les plus importants de l’OTAN en Europe. Les Etats-Unis sont aujourd’hui, avec certains pays de l’Union européenne, les principaux soutiens et bailleurs de fonds du Kosovo, dont les structures étatiques souffrent d’une corruption «omniprésente», de l’avis de la Confédération helvétique.

En arrivant dans Pristina depuis l’aéroport, je passe devant un bâtiment imposant et flambant neuf: l’ambassade américaine, où siègerait aussi une antenne de la CIA. Quelques centaines de mètres plus loin, le nouveau bâtiment municipal de la ville, visiblement construit au rabais, fait pâle figure en comparaison. Un pan de son mur s’est d’ailleurs récemment écroulé, blessant un habitant. Bill Clinton et George W. Bush disposent respectivement d’un boulevard et d’une rue à leur nom, tandis qu’un buste de Madeleine Albright trône à deux pas de la Banque centrale. Le nom de Tony Blair, grand artisan de l’intervention occidentale lors de la guerre du Kosovo, occupe également une bonne place dans la ville. Les locaux avec qui j’ai discuté – tous très accueillants – reconnaissent volontiers que leur pays est sous la dépendance des puissances occidentales. Mais ils soulignent unanimement préférer cela au despotisme de Belgrade.

Un îlot d'occidentalisation

Si l’existence juridique du Kosovo est fragile, le pays se développe rapidement. A Pristina, vitrine du pays, la présence occidentale s’accompagne d’une modernisation rapide qui ne s’embarrasse pas d’écologie, et dont l’islam local (peu intégriste) s’accommode parfaitement. Hôtels de luxe et immeubles de logements sortent de terre à un rythme soutenu chaque année. De nombreux restaurants proposent une nourriture de grande qualité, au niveau des standards suisses ou français. Tout est fait pour stimuler la consommation, à commencer par l’énorme Mall de la ville, le plus grand des Balkans (plus de 200 commerces), inauguré en 2023. Je note aussi avec étonnement l’absence de journaux imprimés, la presse écrite n’étant accessible qu’en ligne. Ainsi que l’absence de boîtes aux lettres dans les immeubles – il faut régler ses factures via internet et se faire livrer en poste restante.

Cette effervescence cache cependant plusieurs problèmes, bien visibles sur place: une forte pollution de l’air due aux rejets de l’usine de charbon située à quelques kilomètres de la ville, des rues jonchées d’ordures, un plan d’aménagement peu cohérent et surtout l’absence ressentie de vie culturelle (reflet, là aussi, de notre modernité). Le musée national – le seul de la ville – est désert et peu entretenu: on y entre comme dans un moulin et les collections intéressent visiblement peu les locaux. La Bibliothèque nationale, datant de l’époque yougoslave, semble encagée dans un grillage de fer. Son architecture, des plus originales, tranche cependant agréablement avec les immeubles alentour. Il y a aussi plusieurs mosquées et une cathédrale très récente et surtout bien vide. Au détour d’une discussion dans un café, un Kosovar détenteur d’un doctorat en sciences politiques me glisse que la ville a été choisie comme capitale justement en raison de son peu d’histoire récente, afin de ne pas froisser les six communautés ethniques du pays. C’est cependant dans ce lieu que parut en 1685 le Cuneus Profetarum (le «Groupe des Prophètes»), premier ouvrage en albanais rédigé par Pjetër Bogdani. A une vingtaine de kilomètres du centre-ville s’est également déroulée, en 1389, la bataille de Kosovo Polje, qui a inauguré la domination ottomane dans les Balkans. Elle figure en bonne place dans l’histoire des peuples de la région, en particulier des Serbes.

Le monastère orthodoxe de Dečani. © M.B.

Des tensions communautaires

L’autre grand thème du pays, souvent mentionné jusque dans nos journaux, est la rivalité profonde entre la population albanaise et la minorité serbe. Le Kosovo, peuplé en majorité d'Albanais, fut longtemps rattaché à la Serbie. La région occupe une place centrale dans l’histoire de ces deux peuples, qui s’écharpent donc à son sujet. Entre 1998 et 1999, la guerre opposant l'Armée de libération du Kosovo (l’UÇK, soutenue par l’OTAN) et la Serbie a engendré de nombreuses pertes civiles. Le Fonds pour le droit humanitaire (FHP), une organisation non gouvernementale basée à Belgrade, a établi une liste de 13’472 victimes (dont 9'260 Albanais et 2'488 Serbes). Pour l'ONG Human Rights Watch, les frappes de l'OTAN ont tué environ 500 civils. Après l’intervention de l’OTAN, la population serbe a souvent été réprimée. A Prizren, ville importante sous l’ère ottomane, elle a été chassée à la suite de pogroms en 2004. Cette expulsion s'est accompagnée de l'incendie des églises orthodoxes de la ville ainsi que de la résidence de l'évêque. La cathédrale est depuis protégée par la police du Kosovo.

Des troupes de l’OTAN protègent aussi le très beau monastère orthodoxe de Dečani, situé dans le nord du pays, région où vivent quelque 120’000 Serbes. J’ai pu me rendre en voiture dans ce haut lieu de la mémoire nationale serbe, inscrit à l’UNESCO. Dans le magasin du monastère, il est toujours possible de payer en dinars, même si les transactions commerciales dans cette monnaie sont interdites par le gouvernement kosovar depuis le 1er février 2024. Les mesures punitives ont été repoussées de peur d’attiser les tensions communautaires. En pratique, de nombreux habitants de ces régions du nord travaillent ou ont travaillé pour des institutions serbes, avec des salaires ou retraites payés en dinars. Belgrade, qui n’a jamais reconnu l’indépendance du Kosovo, y soutient la communauté serbe via des emplois ou des aides financières. Le budget de la Serbie prévoit chaque année environ 120 millions d’euros pour le Kosovo. 

Un avenir incertain

Depuis le 1er janvier 2024, les Kosovars peuvent aussi voyager sans visa dans l’espace Schengen. Cette mesure, saluée par beaucoup d’observateurs, est une réelle avancée dans la reconnaissance du Kosovo. Mais beaucoup craignent aussi un exode de la population et une pénurie locale de main-d’œuvre. Mon ami, qui vit à Pristina depuis quelques années, observe déjà une diminution visible de la circulation dans la capitale, qu’il met en lien avec cette mesure. Aujourd’hui, bien malin qui pourrait dire de quoi sera fait l’avenir du pays, dont l’existence dépend toujours du bon vouloir de l’Occident (comprendre essentiellement les Etats-Unis). Les 1,9 million d'habitants, à 90% albanophones et musulmans, vivent dans une incertitude diplomatique permanente. Le Kosovo n'est à ce jour reconnu ni par l'ONU, 95 pays dont la Russie et la Chine refusant de le faire, ni par l'Union européenne, dont cinq Etats membres (Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie et Chypre) contestent encore son existence. 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@castorp 23.02.2024 | 10h08

«Merci pour ce tour d'horizon instructif qui me donne envie d'aller y faire un tour prochainement. La dernière fois pour moi, c'était en 2001, et l'employé du CICR m'avait convié à une promenade car "mon bureau est sur écoute de la mafia locale, comme tous les bureaux des employés étrangers", ce qui était très rassurant. Le plus grand mall des Balkans, hélas, est à Belgrade avec ses 300'000 m2 de laideur inutile. Et puis dire aussi que, pour un tout petit pays sans débouchés, rongé par la corruption, avoir produit deux mégastars mondiales - Dua Lipa et Rita Ora - indique une certaine vitalité.»