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Actuel / La fausse bonne idée

Yves Genier

5 avril 2018

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Elle semble attirante, l'idée de conférer à la BNS l'exclusivité de créer de la monnaie. Et pourtant, elle concentrerait l'octroi des crédits entre quelques mains. Au détriment de la souplesse du système actuel.



Comme il arrive souvent avec les initiatives populaires, Monnaie Pleine pose une bonne question et apporte une mauvaise réponse. La bonne question, c'est comment empêcher les banques de prendre des risques excessifs en accordant des crédits à l'excès, au point de provoquer une crise financière se concluant par une récession destructrice d'emplois. La mauvaise réponse, c'est de conférer à la Banque nationale le monopole absolu de la création de monnaie, et donc de l'octroi du crédit.

Parce que c'est cela que propose l'initiative: concentrer entre peu de mains la capacité de prêter de l'argent, en l'occurrence à la Banque nationale. Dans le système actuel, cette prérogative est partagée entre la BNS d'une part, qui crée de la monnaie et détermine le loyer de l'argent par la fixation des taux d'intérêt à court terme, et les quelque 230 banques commerciales actives en Suisse d'autre part, qui créent elles aussi de la monnaie lorsqu'elles octroient des prêts à leurs clients et fixent le loyer de l'argent applicable à chacun d'entre eux en fonction d'une foultitude de critères, à commencer par les conditions dictées par la BNS.

Le cuisant souvenir de la fin du franc fort

En clair, la banque centrale détermine les conditions générales: quand elle estime que l'économie peut progresser, elle maintient ses taux d'intérêt bas pour stimuler le crédit, et donc, les investissements, et les banques commerciales suivent. Et lorsque l'économie menace de surchauffe et que les banques prêtent trop, la BNS renchérit le loyer de l'argent pour ralentir la machine et les banques commerciales s'adaptent. Dans l'ensemble, ce système, basé sur le partage des responsabilités, ne marche pas trop mal si l'on en juge au fait que la Suisse est l'un des pays les plus riches du monde.

Si l'initiative Monnaie Pleine était appliquée, la BNS concentrerait l'essentiel des prérogatives. Elle aurait non seulement le monopole absolu de la création de monnaie, mais garderait, en plus, celui du loyer de l'argent. Une telle concentration de pouvoirs en bien peu de mains – la direction générale compte trois personnes, six lorsque l'on compte les adjoints – fait courir un risque non seulement à l'économie mais au pays tout entier. Que se passerait-il si la BNS prenait de mauvaises décisions? On se rappelle du tollé, et de l'impuissance publique, lorsqu'elle a abandonné le cours plancher en janvier 2015... Alors n'imaginons même pas ce qui se passerait si elle abusait volontairement de sa position!

Vilains gnomes de la Bahnhofstrasse!

Les partisans de l'initiative critiquent le pouvoir conféré aux banques commerciales du fait qu'elles peuvent aussi créer de la monnaie. Certes, mais c'est un pouvoir dispersé. Aucune n'en détient le monopole. Gagnent-elles de l'argent en créant de l'argent? C'est non seulement leur vocation, mais le bénéfice qu'elles en retirent est plutôt faible en regard de leurs autres activités: 5% environ de leur chiffre d'affaires, quelque 2,8 milliards de francs, selon une étude danoise mise en avant par les initiants. Alors que les résultats nets annuels de l'ensemble des banques oscille entre 50 et 60 milliards de francs par an, selon l'Association suisse des banquiers. Ouh, les vilains gnomes de la Bahnhofstrasse...

L'avantage de ce pourvoir dispersé, c'est la souplesse qu'il permet. Vous voulez un prêt? Vous allez voir une, deux, trois, quatre banques, autant que vous voulez. Chacune vous répondra en fonction de l'intérêt qu'elle verra de faire des affaires avec vous, mais avec sa propre marge de manœuvre. Et sans avoir besoin d'en référer à une Banque nationale, que l'initiative transformerait en incontournable bureau central des prêts.

Ah, un point encore: ce n'est pas parce que l'on est opposé à l'initiative Monnaie Pleine que l'on est inféodé au lobby des banques et d'Economiesuisse. On a le droit, aussi, dans ce pays, de manifester une opinion indépendante. Surtout si c'est pour répondre à la négative à une mauvaise proposition.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Lagom 05.04.2018 | 10h02

«Attention à l'usage des mots: créer en bon français = faire naître or les banques commerciales ne font pas naître de l'argent puisqu'elles empruntent pour prêter. Seul la BNS fait naître de l'argent. Excellent article ! je profite pour rappeler que la BNS, qui gagne actuellement beaucoup d'argent, passe pour une institution irréprochable mais on oublie très vite le désastre qu'elle a provoqué en abandonnant, sans aucun signe coureur, le taux plancher contre l'EUR à 1,20 en janvier 2015. ce jour là beaucoup d'épargnants ont été ruinés et plusieurs intermédiaires financiers avaient mis la clef sous la porte à cause de la BNS. Comment a-t-elle osé provoquer un mouvement de baisse de 25% de la monnaie la plus solide au monde en un jour et une nuit. »


@petitpie 10.04.2018 | 07h44

«Je ne travaille pas dans le domaine, mais il me semble que les banques ne CRÉENT pas de monnaie au sens de la BNS. Les banques reçoivent de l’argent de prêteurs (les gens et les entreprises qui placent leurs économies, les caisses de pension) et prêtent cet argent à d’autres acteurs pour réaliser des projets. Tous ces échanges sont consignés dans des papiers, la MONNAIE SCRIPTURALE, qui peut s’échanger en lieu et place de monnaie réelle, d’où cette idée que les banques créent de la monnaie. Les banques jouent le rôle d’intermédiaires et sont responsables des prêts qu’elles ont accordés. Si quelques prêteurs redemandent leur prêts, les banques peuvent le faire quasi instantanément à partir de leurs fonds propres, mais si trop de prêteurs exigent leur argent au même moment, elles ne peuvent pas récupérer les fonds immobilisés dans les projets de leurs clients et font faillite, d’où l’exigence de fonds propres minimaux.
On parle des fonds prêtés, qui devraient être garantis par la BNS. Mais qu’en est-il des fonds prêtés à la banque ? Faudra-t-il les placer à la BNS avec des intérêts négatifs ?
Nous sommes à l’ère du crowd funding. Le processus est le même que celui que j’ai décrit ci-dessus et il y a donc création de monnaie scripturale, sans intermédiaires. Comment cela sera-t-il géré ? Faudra-t-il demander une autorisation à la BNS ? Et que fait-on avec le bitcoin ? A mon avis, d’amateur, c’est le seul endroit où il faudrait exiger une couverture. claude.petitpierre@epfl.ch
»


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