Lu ailleurs / Pression des pharmas sur les victimes de maladies orphelines
Imaginez-vous votre café matinal passe de 50 centimes la dosette à 150 francs en l’espace de quelques années. Vous arrêteriez probablement d’en boire. Imaginez-vous maintenant que ce n’est pas du café, mais le médicament qui vous aide à vivre. Certainement plus facile de se passer de caféine!
C’est bien devant ce dilemme que se trouve une population minoritaire atteinte de paralysie périodique des Etats-Unis, raconte le Washington Post. Ce produit qui n’est pas vendu en Suisse coûte 50 dollars en 2001, la même boîte de 100 comprimés vaut aujourd’hui 15'001 dollars.
Le médicament à base de Dichlorphenamide a été approuvé la toute première fois dans les années 50. Au début des années 2000, il est appelé Daranide, appartient à Merck et sert originairement à soigner les glaucomes. Néanmoins, il atténue également les symptômes de la paralysie périodique: une maladie génétique rare. Aux Etats-Unis, c’est environ 5000 hommes et femmes qui perdent toute fonction musculaire — suite à un stress, un courant d’air froid, trop de glucides dans un menu,... – et utilisent ce traitement sans qu’il soit labellisé en tant que tel. Le prix du médicament est encore bon marché à cette époque.
Peu après, de nouveaux médicaments pour soigner les glaucomes sont découverts et Merck décide de ne plus commercialiser le Daranide. Un petit sursit est offert aux malades car en 2008, Taro Pharmaceutical Industries rachète le médicament pour continuer de le vendre à un prix raisonnable. Pas vraiment par altruisme: le fils du président de cette compagnie souffre de paralysie périodique.
En 2010, Taro est mis sous pression par Sun Pharmaceutical, et cette dernière finit par prendre le contrôle de la boite pharmaceutique concurrente. Sun Pharmaceutical continue à commercialiser le produit et lorsqu’en 2015 le Daranide est enfin approuvé par les autorités comme un traitement de la paralysie périodique, il se fait appeler désormais Keveyis et son prix s’envole.
Un système super-rentable pour les pharmas
Le Keveyis (anciennement Daranide) est alors labellisé «orphan drug», médicament traitant les maladies orphelines, et profite à ce titre d’une sorte d’exclusivité commerciale de 7 ans.
En effet, pour éviter que certaines maladies ne soient pas assez rentables pour faire l’objet de recherches pharmaceutiques, le gouvernement assure des conditions de concurrence favorables aux entreprises qui s’intéressent aux maladies rares. Mais le principe actif du Keveyis est sur le marché depuis plusieurs décennies sans jamais avoir été enregistré auparavant comme un «orphan drug» ni avoir fait l’objet de recherches coûteuses sur la paralysie périodique.
Les prix des «médicaments orphelins» sont bien plus hauts par rapport aux autres médicaments. ©Washington Post
Le ping-pong d’achat-vente-rachat continue et à la fin 2015, le médicament est acquis par Strongbridge Biopharma. Les prix augmentent encore, atteignant les 15'001 dollars pour 100 comprimés. «Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres prouvant que certains dysfonctionnements de ce système doivent être réglés», explique au Washington Post Rachel Sachs, professeure adjointe à l’université de Washington à Saint-Louis. Ne serait-ce qu’une coïncidence si la Strongbridge Biopharma a vu son chiffre d’affaires augmenter de 65% à cette période? Le malheur des uns fait le commerce juteux des autres.
L’article en anglais du Washington Post: «This old drug was free. Now it’s $109,500 a year.»
Précédemment dans Bon pour la tête
Le flop du médicament à un million, par la rédaction de Bon pour la tête
Blablabla, etc., une chronique sur les pharmas (entre autres) de Michael Wyler
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