A vif / Syrie: surprises, surprises
Retournement total et inattendu en Syrie. Les explosions de joie des exilés – ils sont 65’000 en Suisse – sont bien compréhensibles. Il faut être naïf, cependant, pour croire qu’ils rentreront en nombre dans leur pays effondré. Et il pourrait en arriver d’autres, craignant, eux, la mainmise islamiste. Comment rester indifférent à ce bouleversement de dimension régionale, après Gaza, la Cisjordanie, le Liban…
Surprise de voir les Occidentaux indifférents, sinon approbateurs, devant l’avancée israélienne sur le territoire syrien, devant les bombardements massifs – plus de 300 en trois jours – qui ont détruit toute la structure militaire du pays ainsi que le port de Lattaquié, porte vitale du commerce.
Surprise aussi de voir ces mêmes Occidentaux applaudir soudain un gouvernement en formation dirigé par un islamiste patenté, issu de Al-Qaïda, Al-Nosra, Isis et maintenant à la tête de Hayat Tahrir al-Cham (HTS). Un homme dont la tête est mise à prix aux USA. Abou Mohammed al-Joulani est fort intelligent, habile, calculateur et donne de lui aujourd’hui l’image la plus rassurante possible. Un fou d’Allah soudain touché par la grâce de la raison occidentale, par la soudaine illumination des droits de l’homme. Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».
On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?
En fait, ce n’est pas totalement surprenant. Lorsque la guerre civile fut déclenchée en 2011, ce sont les mêmes forces islamistes qui prirent très tôt le relais des manifestants qui réclamaient la démocratie, brutalisés par la police d’Assad. Elles furent soutenues aveuglément, des années durant, par plusieurs pays arabes et européens. Ce fut atroce. Un demi-million de morts, dit-on. Sous le double feu du dictateur criminel, certes, et celui des insurgés barbus. Des dizaines de millions d’exilés fuyant la fureur des uns et des autres.
N’entrons pas ici dans les spéculations sur l’avenir, sur les desseins des puissances qui, de fait, s’emparent du pays, qui s’agitent au fil de leurs ambitions géopolitiques et économiques. Sans parler du pétrole, exploité par les Américains sur la partie kurde… Qu’il nous soit permis d’évoquer plutôt un souvenir. Cinq ans avant la guerre, un voyage inoubliable en Syrie. Un prêtre nous faisait visiter Alep, tous les quartiers, animés et relativement prospères. Nous parlions avec tous. Conscients d’être dans une dictature, nous constations que chacun exprimait sans peur sa foi, son appartenance. Nous avions visité l’admirable mosquée des Omeyyades à Damas. Nous nous sommes étonnés auprès de deux jeunes filles de voir tant de monde, des familles en sortie, un dimanche et non un vendredi. Elles éclatèrent de rire: «Mais c’est le jour de Pâques!». Comme Noël, les jours de fêtes chrétiennes sont officiellement fériés en Syrie. Jusqu’à quand?
Le prêtre d’Alep, devenu un ami, qui vit aujourd’hui en France, n’a pas le cœur à applaudir le tournant actuel. Il s’est exilé avec les siens après que sa fille de dix-huit ans ait été débarquée d’un bus, violée et assassinée parce qu’elle portait une croix autour du cou. Par des «rebelles modérés» comme on disait à l’époque. Par les islamistes aujourd’hui au pouvoir.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
8 Commentaires
@Christode 13.12.2024 | 08h13
«Vous parlez d'Assad comme d'un dictateur criminel. Étrange, pour une République arabe syrienne dont les fêtes chrétiennes sont officiellement des jours fériés !»
@AndreD 13.12.2024 | 09h13
«Bonjour
Concernant les chrétiens de Syrie, le leader de HTC dit vouloir "protéger les minorités"
Si c'est le cas, cela pourrait être sous la forme de la dhimmitude (être protégé mais devoir rester discret et payer un impôt de cette protection (djizia), pratiquée en Espagne pendant des (centaines d') années (livre "les chrétiens dans al-andaluz de R. Sanchez Saus).
Voir aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/Dhimmi
Or, cette dhimmitude aurait aussi été déjà pratiquée en Syrie en 2014 (https://www.france24.com/fr/20140227-syrie-djihadistes-eiil-regles-chretiens-dhimma-raqqa-pacte-umar-dhimmi-islamistes)
A suivre»
@XG 13.12.2024 | 09h38
«Voir des journalistes ignorants et qui n'ont jamais mis les pieds en Syrie applaudir la prise de pouvoir de jihadistes issus d'Al Qaida et de ISIS est désolant. Entendre, "c'est toujours bien quand un dictateur est renversé" l'est tout autant. Voir les dirigeants occidentaux féliciter le nouveau régime me fait froid dans le dos. En tant que femme, je suis extrêmement inquiète de ce développement, pour les femmes en Syrie, et pour les autres aussi. Si des soi-disant démocraties commencent à soutenir une idéologie qui relègue la femme au deuxième plan et en fait l'inférieur de l'homme, je ne sais pas très bien ou on va, mais en tous cas, je n'ai pas du tout envie d'y aller.»
@Lou245 13.12.2024 | 10h43
«Oui, c'est bien là l'aveuglement de l'Occident: croire qu'ils "font le bien" et "amènent la démocratie" aux peuples qui n'ont pas la même histoire, la même culture, la même géographie, les mêmes besoins, les mêmes aspirations, les mêmes orientations... cela ressemble à de nouveaux missionnaires d'une vérité quasi religieuse. Le respect, c'est de ne pas se servir des autres à ses propres fins, dit le professeur de philosophie Michael Elsfeld. Gardons cette phrase à l'esprit et les yeux bien ouverts.»
@willoft 13.12.2024 | 13h39
«Le moins que l'on puisse dire est de rester plus que prudent.
Mais de là à réclamer l'expulsion immédiate des réfugiés syriens dans l'UE... Le populisme devrait avoir le statut de réfugié.»
@Baïka 13.12.2024 | 19h13
«Deux jours après leur arrivée victorieuse dans la capitale afghane Kaboul en 2021, les talibans déclaraient vouloir des relations pacifiques avec les autres pays, ils promettaient de ne pas mener des représailles contre d'anciens soldats de l'armée afghane et assuraient qu'ils allaient respecter les droits des femmes.
Certains ont la mémoire courte, très courte.»
@bouc 13.12.2024 | 22h39
«La situation rappelle celle de la chute du shah d'Iran: tout réjouis du départ d'un dictateur, nombre de personnes ne voyaient pas ce qui avait grande probabilité d'arriver ... et qui s'est produit. L'histoire monte que les transitions nous font souvent - pas toujours heureusement - tomber de Charybde en Scylla. Alors prudence en effet.»
@Maryvon 14.12.2024 | 09h18
«C'est en effet très surprenant que de nombreux médias et pire encore responsables politiques, pas tous heureusement, font semblant de croire que la Syrie est enfin libérée. Quelle sordide blague. Certains ont la mémoire courte et ne méritent plus notre considération. Souvenons nous de tous les échecs subis ces dernières années au nom d'une pseudo liberté, le printemps arabe, la Lybie etc... Je suis également très choquée et inquiète en tant que femme de la situation des femmes syriennes et le sort des hommes intelligents vivant de ce pays me préoccupe tout autant.»