Analyse / Migrations d'hier et d'aujourd'hui
A deux reprises, dans la Genèse, le premier livre de la Bible, Dieu dit aux hommes: «Soyez féconds, remplissez la terre et soumettez-la» (Genèse). Force est de constater que son commandement a été suivi à la lettre et même trop bien suivi, y compris dans la suite: «remplissez la terre... et soumettez-la; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre!»
Cet article a été publié sur Herodote.net le 18 novembre 2024 et reproduit avec l'aimable autorisation de son auteur
Depuis l'origine des temps, l'humanité se multiplie, bouge et se déplace tout en transformant son environnement. Des hommes, des femmes, des familles ou des clans quittent le lieu où ils ont grandi pour d'autres cieux, à titre temporaire ou définitif. Ce phénomène est désigné depuis le XVIe siècle par le mot migration, du latin migrare (« passage d'un lieu à un autre »). Il recouvre des réalités diverses et parfois trompeuses.
Vous avez dit «migrations»?
- Les migrations individuelles :
Elles sont une réalité de tous les temps et de tous les pays. Partout, il se trouve en effet des individus qui partent pour de longues années ou font souche loin de chez eux, pour les besoins du commerce, par goût de l'aventure, par rejet de l'oppression, par le hasard des rencontres et de l'amour...
Ainsi des commerçants vénitiens s'établissaient-ils au Moyen Âge à la cour du Grand Khan, à Pékin, tandis qu'un aventureux Toulousain ramenait dans sa patrie une jeune épouse rencontrée sur les bords du Niger ! Au XVIIe siècle, des huguenots ont fui la France et se sont installés à Berlin ou même au Cap, en Afrique australe. À l'inverse, des Irlandais catholiques ont fait souche en France et même au sud des Pyrénées. Citons encore Marie Curie et Savorgnan de Brazza qui ont au XIXe siècle quitté leur pays pour servir et honorer la France.
Ces migrations partent dans tous les sens et contribuent à la circulation des idées et des techniques et donc au progrès humain. Elles concernent néanmoins des flux réduits de personnes qui n'ont pas de mal à se fondre dans la population d'accueil de sorte qu'elles ne changent pas la nature des sociétés concernées.
- Les migrations collectives :
Elles sont très actuelles comme le montre l'actualité politique en Europe et en Amérique mais elles résultent de contraintes ou d'aspirations très variables.
• Les « migrations de peuplement » : elles sont caractérisées depuis l'aube des temps par des déplacements à partir de territoires en expansion démographique vers des territoires faiblement peuplés ou en décroissance démographique. Elles procèdent le plus souvent par expansion progressive en tâche d'huile et c'est comme cela que l'Homo sapiens, parti d'Afrique, a peuplé la Terre. De façon plus rare, elles procèdent par déplacements organisés. Dans tous les cas, elles représentent des effectifs somme toute limités en regard des populations de départ, les humains étant par nature attachés à leur lieu de naissance.
• Les déplacements forcés de population liés aux guerres ou à la traite imprègnent fortement la mémoire des peuples.
• Les invasions contribuent à modifier les équilibres démographiques, souvent avec des effectifs limités. Les Germains qui ont pénétré en Gaule par exemple aux IVe et Ve siècles étaient tout au plus quelques centaines de milliers face à une dizaine de millions de Gallo-Romains...
Premières rencontres
La première expansion notable remonte à l'aube des temps. Elle concerne un très lointain aïeul, Homo erectus, qui aurait migré il y a deux millions d'années d'Afrique vers l'Eurasie. Ce fut la première « sortie d'Afrique ».
En Afrique même, l'Homo erectus évolua il y a 300 000 ans vers notre propre espèce, l'Homo sapiens. En Eurasie, il eut des descendants tels que Néandertalet l'homme de Denisova, il y a environ 500 000 ans. Il engendra aussi une espèce originale sur l'île de Florès (Indonésie), il y a seulement 80 000 ans.
Une deuxième « sortie d'Afrique » se produisit il y a un peu plus de 70 000 ans, quand quelques Homo sapiens s'établirent au Moyen-Orient où ils s'unirent aux représentants locaux de Néandertal et Denisova. De ces unions seraient issus les Eurasiens actuels si l'on en croit les dernières découvertes de la génétique.
Homo sapiens atteignit là-dessus des régions encore vierges de présence humaine. Il franchit les bras de mer qui séparent la Papouasie et l’Australie de l'Eurasie. Puis, il y a 35 000 ans, il traversa le détroit de Béring qui séparait l’Asie de l’Amérique, soit à pied sec en profitant du faible niveau des océans pendant la dernière glaciation, soit à bord d'embarcations rudimentaires. C'est encore à bord de pirogues qu'il occupa beaucoup plus tard les archipels de l'océan Pacifique... et Madagascar.
Vers 30 000 ans BP (Before Present, soit avant nous), l'Homo sapiens moyen-oriental mâtiné de Néandertal gagna l'Europe où erraient de purs Néandertaliens. Ceux-ci, déjà en déclin démographique, ne tardèrent pas à disparaître, laissant le terrain libre à notre ancêtre (note).
Ces groupes humains étaient de faible nombre, souvent réduits à quelques familles, sans guère de contacts les uns avec les autres. Ils ont pu se diversifier à partir de légères mutations génétiques au gré de leur expansion démographique, chaque groupe s'adaptant à son environnement (peau noire ou cuivrée sous les climats chauds, claire sous les climats froids en manque de soleil, etc). C'est ainsi qu'il y a 30 000 ans ou moins seraient apparus les différents phénotypes qui constituent aujourd'hui l'humanité (Africains, Asiatiques, Européens, etc.).
Excédents naturels
Depuis le commencement du monde, l'expansion démographique se fait tout naturellement par excédent des naissances sur les décès vers les territoires faiblement peuplés... ou en voie de dépeuplement (comme l'Europe de Néandertal au Paléolithique supérieur... ou l'Europe contemporaine). C'est de cette façon, lente, progressive et pacifique, que les chasseurs-cueilleurs ont occupé toute la planète au Paléolithique, suivis plus tard par les agriculteurs et les éleveurs.
Avec l'apparition de l'agriculture et de l'élevage, il y a dix mille ans, les femmes ont pu sevrer leurs bébés avec de la bouillie de céréales ou du lait animal. N'allaitant plus leurs bébés que pendant un an au lieu de trois précédemment, elles redevenaient plus vite enceintes. En dépit d'une importante mortalité en couches, elles en sont venues de la sorte à donner le jour à un plus grand nombre d'enfants.
De la sorte, au Néolithique (dico), la population mondiale a brusquement décuplé en quelques millénaires, jusqu'à atteindre plusieurs dizaines de millions d'âmes. Partout dans le monde, par leur simple expansion démographique, les populations paysannes ont repoussé et supplanté les chasseurs-cueilleurs avec lesquels elles entraient en contact. Jusque-là limitées au rapt des femmes, les guerres se sont aussi intensifiées, alimentées par le désir de s'approprier les richesses du voisin, troupeaux, réserves de céréales et objets précieux.
- Expansions africaines :
Les Africains actuels ont acquis la maîtrise de l'agriculture il y a environ dix mille ans, en même temps que les habitants du Moyen-Orient. Bénéficiant de ce fait d'une croissance démographique relativement forte, ils sont sortis de leur foyer natif, entre le delta du Niger et le mont Cameroun, et ont occupé progressivement l'Afrique subsaharienne en absorbant ou en repoussant devant eux les populations aborigènes à peau cuivrée ou noire qui y étaient établies (Khoisans, Pygmées, Hottentots, Hadzas).
Vers 500 av. J.-C., la diffusion de la métallurgie du fer en direction des Grands Lacs africains, en augmentant la productivité agricole et la puissance à la guerre, a donné une nouvelle impulsion à leur croissance démographique jusqu'à leur permettre d'atteindre au XVIIe siècle le Limpopo, un fleuve d'Afrique australe.
Mais dans le même temps, des colons hollandais débarquaient à la pointe du continent et fondaient la colonie du Cap. Cette circonstance a évité aux Khoisans de complètement disparaître (ces populations aborigènes d'Afrique australe ont ravi le monde entier à la faveur d'une comédie de Jamie Uys, Les Dieux sont tombés sur la tête, 1980).
- Expansions indo-européennes :
De même que l'Afrique a été colonisée par les Bantouphones, l'Europe et le sous-continent indien ont été colonisés il y a six mille ans environ par des populations d'éleveurs établies dans les régions du Don et de la Volga.
Selon des travaux récents, ces éleveurs auraient bénéficié d'une mutation génétique grâce à laquelle ils auraient mieux digéré le lait de vache et ainsi survécu plus facilement aux disettes et aux famines ! Voyant leurs effectifs grandir irrésistiblement, ils auraient été amenés de proche en proche et par vagues successives à occuper les immenses espaces situés entre l'océan Atlantique et l'océan Indien.
Ces populations parlaient des langues apparentées que les linguistes modernes ont qualifiées d'indo-européennes, parce qu'elles sont à la racine de la plupart des langues européennes ainsi que de l'iranien et des langues de l'Inde du nord. Leur progression vers l'Europe et l'Inde a été plutôt violente si l'on en croit une étude publiée par Science (mars 2019) et citée par les Cahiers de Science & Vie(juillet 2019) : l'examen d'une nécropole en Espagne montre le remplacement de 40% du génome du peuple ancestral par celui des nouveaux-venus, lesquels auraient toutefois épargné les femmes pour se les approprier.
- Expansions chinoises et japonaises :
Les Chinois du Fleuve Jaune ont dès l'époque du Premier Empereur, il y a 2200 ans, entrepris de coloniser leurs marges. Ce mouvement se poursuit aujourd'hui avec la colonisation du Tibet et du Xinjiang, au détriment des populations locales et de leur culture.
Mais le Premier Empereur a aussi eu le souci de réunir ses sujets dans un ensemble indissociable et pour cela, il a procédé à des échanges de populations entre le nord et le sud de son empire. Il s'agit sans doute des premières migrations forcées de l'Histoire, si l'on met à part l'exil des juifs à Babylone, il y a 2600 ans.
On observe au Japon une expansion semblable, quoique à une échelle réduite, avec la colonisation par les Japonais de leur archipel au détriment des premiers habitants, des Aborigènes blancs, les Aïnous, lesquels ne sont plus que quelques milliers.
- Expansions européennes :
L'Europe contribua elle-même à peupler les autres continents. Mais cette expansion démographique se déroula en deux temps, de nature très différentes, voire opposées...
Au sortir du Moyen Âge, les habitants de l'Europe occidentale s'étaient déjà acquis une avance sur le reste du monde avec des institutions étatiques solides et des sociétés dynamiques, avides de connaissances et de richesses. Curieux de découvrir le monde, leurs navigateurs avaient ainsi atteint l'Amérique.
- XVIe-XVIIIe siècles : colonisation féconde
• Du XVIe siècle au XVIIIe siècle, des aventuriers essentiellement espagnols conquirent l'isthme d'Amérique centrale et les régions andines (Pérou, Bolivie...) où ils se confrontèrent à des sociétés pré-colombiennes denses, sédentaires, maîtrisant l'agriculture et fortement structurées, bien que durement éprouvées par la conquête et les épidémies apportées involontairement par les Européens.
On évalue à trois millions environ le nombre d'Espagnols qui traversèrent l'océan pour tenter l'aventure pendant ces trois siècles de colonisation. En infériorité numérique, ils se mêlèrent assez volontiers aux populations amérindiennes. Il s'ensuit qu'aujourd'hui, ces pays sont très métissés, avec une population européenne minoritaire.
• Le Brésil qu'occupèrent les Portugais n'avait pas quant à lui de société structurée. Seulement des chasseurs-cueilleurs qui furent repoussés et laissèrent la place aux colons européens et à leurs esclaves venus d'Afrique. On évalue à un million le nombre de Portugais qui ont débarqué dans le pays pendant les trois siècles de la colonisation, à quoi s'ajoutent plusieurs millions d'esclaves africains.
• Tout autre fut le sort de l'Amérique du nord, seulement occupée à l'origine par des tribus de chasseurs. Dédaignée par les aventuriers en quête d'or et d'épices, elle ne fut occupée qu'à partir du XVIIe siècle par des colons fuyant les persécutions religieuses ou la misère. Au total, les Treize Colonies anglaises qui allaient donner naissance aux États-Unis reçurent en deux siècles tout au plus cinq cent mille à un million d'immigrants européens, Anglo-Saxons, Hollandais, Allemands..., qui mirent aussitôt en culture les terres fertiles évacuées par les Indiens.
Bénéficiant de conditions optimales (pas d'épidémies, pas d'impôts, pas de guerres), ces colons connurent une expansion démographique très rapide, avec une fécondité de l'ordre de quatre à six enfants par femme qui se prolongea jusqu'au milieu du XXe siècle. Seule la Nouvelle-France (Québec) connut une fécondité plus forte et sur une aussi longue durée.
Grâce à quoi, au recensement de 1840, les jeunes États-Unis comptaient déjà 17 millions d'habitants (Amérindiens exclus) dont deux millions de noirs et deux millions de blancs nés à l'étranger. Cette population issue d'un noyau réduit d'immigrants était donc avant tout le résultat d'une forte natalité.
• Les Européens ne tardèrent pas aussi à occuper les territoires réputés « sans maître » (terra nullius) car seulement parcourus par des tribus de chasseurs. Ce sont les extrémités du continent américain, le Canada et le Rio de la Plata. Ajoutons-y l'Australasie (Australie et Nouvelle-Zélande), la Sibérie et également la pointe méridionale du continent africain.
• Partout ailleurs dans le monde, ils évitèrent les terres de vieilles civilisations non-occidentales, que ce soit en Asie, dans le monde islamique ou en Afrique intertropicale. Au temps de leur hégémonie planétaire, à la fin du XIXe siècle, ils purent soumettre ces territoires et les « coloniser » (dico) mais en réduisant leur présence à quelques poignées de cadres militaires ou civils destinés à encadrer les populations.
Démographie migratoire : l’exemple virginien
La Virginie illustre les conséquences d’une immigration exogène, même ténue (les chiffres ci-après relèvent de l'imagination de l'auteur mais sont néanmoins plausibles ; ils n'ont qu'une valeur indicative).
Au début du XVIIe siècle, la future colonie anglaise était peuplée d'environ cent mille Indiens avec une démographie stable (2500 décès par an et autant de naissances). Arrive un premier bateau avec cent couples de colons anglais et autant chacune des années suivantes. Chaque couple anglais engendre en moyenne quatre enfants. Au final, le solde migratoire annuel est d'à peine 2 pour mille. Le solde naturel annuel est quant à lui de 4 pour mille grâce à 400 naissances supplémentaires qui s'ajoutent aux naissances indiennes.
Au bout de 30 ans, la Virginie compte encore 100 000 Indiens (oublions ceux qui ont été tués par les colons ou ont choisi l'exil) et déjà plus de quinze mille Anglais (environ 15% de la population totale). Ces derniers sont devenus assez nombreux pour n'avoir plus besoin des Indiens. Ils vivent entre eux, si l'on met à part quelques coureurs des bois mariés à des Indiennes. Un siècle après, ils seront devenus très largement majoritaires et pourront envisager de forger une nouvelle nation...
Immigration de labeur et immigration de peuplement
Tout change au milieu du XIXe siècle. L'Europe connaît tout à la fois la révolution industrielle et une forte croissance démographique due à l'amélioration de l'hygiène et à la baisse de la mortalité infantile. Elle connaît aussi des troubles divers, comme la famine en Irlande, l'oppression politique en Pologne, une aggravation de la misère en Italie, etc.
- L'Europe émigre vers le Nouveau Monde :
C'est le début d'une émigration d'une ampleur sans précédent que l'on évalue à plus de cinquante millions entre 1840 et les années 1950, avec une pause pendant la Première Guerre mondiale. Elle se dirige quasi-exclusivement vers les États néo-européens en plein essor et en manque de main-d'oeuvre dans leurs usines. Ce sont les États-Unis en premier lieu mais aussi le Canada, l'Argentine, le Brésil, etc. Aux États-Unis, cette immigration massive ne remet pas pour autant en cause les équilibres démographiques car les arrivées, année après année, demeurent moins importantes que le croît naturel des premières vagues d'immigration issues du monde anglo-saxon, scandinave et germanique, les WASP (White Anglo-Saxons Protestants).
- L'Occident s'ouvre au reste du monde :
Tout bascule à nouveau dans le dernier tiers du XXe siècle en Europe occidentale comme dans l'anglosphère (Amérique du Nord et Australie) du fait de l'effondrement de la natalité conjuguée à une importante immigration asiatique et latino-américaine. Les États-Unis vont alors changer de nature.
C'est aussi à partir des années 1960 que l'Europe occidentale, par un singulier retour de manivelle, connaît une très forte immigration de labeur. Avec la chute puis l'effondrement des indicateurs de fécondité à partir de 1973, cette immigration va se convertir en immigration familiale et changer le visage de l'Europe.
Invasions nomades et déplacements forcés
En marge de ces déplacements de population guidés par l'expansion démographique et les besoins économiques, l'humanité a connu et connaît encore des mouvements violents motivés par la guerre et la cupidité...
- Invasions nomades :
À partir du Ve siècle av. J.-C., les empires apparus autour de la Méditerranée et en Chine ont excité la convoitise des peuples des steppes(Turcs, Ouïghours, Mongols etc.). Redoutables guerriers mais peu nombreux, ces peuples ont à intervalles rapprochés imposé leur domination sur les cultivateurs et les sédentaires (Chinois, Persans, Russes etc.) jusqu'à ce que l'avènement de l'artillerie les renvoie définitivement dans leurs steppes.
Les « Grandes invasions » qui ont affecté l'empire romain aux IVe et Ve siècles de notre ère apparaissent comme des sous-produits des invasions nomades. C'est en bonne partie parce qu'ils étaient poussés par les Huns que les Germains d'Europe orientale ont forcé le limes romain. En nombre restreint mais en position dominante, avec un accès privilégié aux femmes, ces envahisseurs germains ont modifié en profondeur la composition et les moeurs de la population de l'empire.
Les conquêtes d'empires par les nomades ont pu provoquer de grandes mortalités à l'instar des Mongols de Gengis Khan. Elles ont pu entraîner des bouleversements politiques, linguistiques et même religieux à l'instar des conquêtes arabes ou turques. Mais elles ont eu peu d'effet sur la composition ethnique des territoires.
Ainsi les habitants du Maghreb ont-ils conservé très peu de gènes des envahisseurs arabes tout en ayant adopté la langue et la religion de ceux-ci. A contrario, les habitants de la Grèce actuelle tirent une grande partie de leurs gènes des Slaves qui ont occupé pacifiquement le pays au VIIe siècle après que celui-ci eut été dépeuplé par insuffisance de naissances.
- Déplacements de populations et trafics d'esclaves :
Les migrations forcées concernent les déplacements de population pour cause de guerre et surtout les trafics d'esclaves à grande échelle. Ceux-ci ont débuté au VIIe siècle au Moyen-Orient. Dans les premiers temps de l'islam, les notables de Bagdad s'approvisionnèrent en esclaves blancs auprès des tribus guerrières du Caucase mais aussi auprès des marchands vénitiens qui leur vendaient des prisonniers en provenance des pays slaves, encore païens.
Si la traite des esclaves blancs a rapidement buté sur la résistance des Européens, il n'en a pas été de même du trafic d'esclaves noirs en provenance du continent africain. La traite arabo-musulmane a commencé en 652, lorsqu'un général arabe a imposé aux chrétiens de Nubie (les habitants de la vallée supérieure du Nil) la livraison de 360 esclaves par an.
Le trafic n'a cessé dès lors de s'amplifier. On évalue entre douze à dix-huit millions d'individus le nombre d'Africains victimes de la traite arabe au cours du dernier millénaire, du VIIe au XXe siècle. C'est à peu près autant que la traite européenne à travers l'océan Atlantique, du XVIe siècle au XIXe siècle, autre cas majeur de migration forcée. Mais tandis que les seconds ont contribué au peuplement des Amériques, il n'en a rien été de ceux destinés aux empires islamiques car les trafiquants avaient soin de castrer les mâles avant le grand voyage. La majorité succombait des suites de l'opération.
Ces tragédies-là relèvent heureusement du passé mais les déplacements de population pour cause de guerre restent quant à eux d'actualité. Dans ses frontières actuelles, la Grèce a ainsi accueilli en 1922-1923 les populations hellénophones et chrétiennes chassées d'Asie mineure par les Turcs... Depuis lors, tout au long du dernier siècle, la plupart des conflits se sont traduits par de brutaux transferts de populations : Allemands des monts Sudètes, de Silésie ou encore de la Volga et Polonais de l'Est (1945), musulmans et hindous du Pendjab et du Bengale (1947), Arabes de Palestine (1948), etc. Ces déplacements brutaux se poursuivent encore aujourd'hui comme on le voit en Syrie, dans le Haut-Karabagh, en Ukraine, etc.
Par un paradoxe visible seulement des personnes familières avec l'histoire des populations, le monde est aujourd'hui plus éloigné que jamais d'un « métissage généralisé ». En effet, les migrations de peuplement concernent exclusivement l'Europe (y compris la Russie) et le Nouveau Monde anglo-saxon, soit environ un milliard d'habitants, soit un huitième de l'humanité.
Pour le reste, l'humanité paraît en ce début du XXIe siècle plus cloisonnée et moins « métissée » qu'il y a un siècle, à la veille de la Première Guerre mondiale et à la fin de la première mondialisation.
À cette époque-là, pas si lointaine, les Européens constituaient avec les Nord-Américains un tiers de la population mondiale. Présents dans tous les pays du monde, en Afrique, dans les pays musulmans, en Extrême-Orient et même dans le sous-continent indien, ils brassaient les populations à qui mieux mieux, transportant des Tamouls à Ceylan, à Maurice et aux Caraïbes, des coolies chinois en Malaisie comme en Californie, des Bengalis en Birmanie etc. Sans oublier bien sûr la traite des esclaves dans la période antérieure...
Nous n'en sommes plus là. Avec la fin du « monde européen », nous nous orientons à grands pas vers un monde constitué de nations en quête d'homogénéité et dans lesquelles les minorités ethniques et/ou religieuses sont persécutées. Les Ougandais ont expulsé leur minorité indienne, les communistes vietnamiens ont « purifié » leur pays en chassant métis, Chinois et Hmongs, les Algériens ont poussé au départ les pieds-noirs, les Birmans expulsent les Rohingyas, les Chinois parquent les Ouïghours etc. etc. Notons aussi que la diversité religieuse du Moyen-Orient et de la Turquie en particulier n'est plus qu'un souvenir avec la quasi-disparition des chrétiens d'Orient.
Font exception les terres d'immigration : Europe occidentale, Nouveau Monde anglo-saxon, et dans une moindre mesure Russie et Amérique latine.
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